Préface de Quand l’austérité tue (2014) – Éditions Autrement

Qu’est-ce qu’une économie prospère ? Comment évaluer le succès d’une politique économique ? C’est d’après leur capacité à répondre à ces questions simples que devrait être jugé le talent des économistes. Mais comme souvent en sciences sociales, et c’est heureux, l’analyse du succès ou de l’échec d’une mesure donne souvent lieu à des polémiques et à des interprétations divergentes. Ainsi certains projets pourtant utiles à la majorité doivent régulièrement affronter, pour s’imposer, l’opposition d’une catégorie qui peut être puissante et influente. Quant à la prospérité, elle est rarement générale et également distribuée. Une économie peut être qualifiée de prospère malgré la misère qui ronge une grande partie de sa population et inversement, la pauvreté d’un pays n’empêche pas l’existence d’une classe d’hyper-riches.

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Pourquoi le « pacte de responsabilité » ne créera pas d’emploi

Comment lutter contre le chômage ? Interrogé en septembre dernier sur TF1, le chef de l’Etat répliquait par le raisonnement suivant : « si on veut des emplois, si on veut des productions en France, si on veut que nos enfants aient une perspective de carrière, il faut des entreprises ». « Il faut que les entreprises se sentent soutenues » ajouta-t-il avant de se proclamer « président des entreprises ». Le « pacte de responsabilité », annoncé quelques mois plus tard, est dans le droit fil de cette logique. L’idée est la suivante : puisque les entreprises sont responsables de la création d’emploi il faut les « responsabiliser », c’est-à-dire négocier avec elles un accord donnant-donnant. Moins de prélèvements d’un côté, des engagements en matière d’emplois de l’autre. Continuer la lecture

Pourquoi le chômage concerne (presque) tout le monde

Jamais, dans son histoire, la France n’avait connu un nombre de chômeurs aussi élevé. Et ce chômage n’est pas une simple courbe, une statistique abstraite. Il a de nombreux effets délétères sur la société et sur la prospérité commune. Ces effets concernent en premier lieu les 3,3 millions de personnes de la catégorie A, qui n’ont eu aucune aucune activité salariée le mois précédent, donc aucun revenu salarié, et dont certains, notamment les plus jeunes, n’ont pu bénéficier d’aucune allocation compensatoire. A ce chiffre il faut ajouter les presque 2 millions de chômeurs qui ont pu bénéficier d’une activité réduite, ou les presque 300 000 personnes qui sont dispensées de recherche d’emploi pour cause de formation ou de stage. Pour toutes ces personnes, le chômage représente à la fois une perte de revenus, une situation professionnelle précaire qui leur interdit de se projeter dans l’avenir, et parfois, une désocialisation. Au delà de ces effets immédiats, le chômage se traduit également par une perte future. L’absence d’emploi implique moins de cotisation et donc une moindre pension de retraite plus tard, et la réinsertion professionnelle sera d’autant plus difficile que les trous dans le CV seront vus avec suspicion par de futurs employeurs. Continuer la lecture

Le « socialisme de l’offre », ou la politique de la déflation

Le « socialisme de l’offre » c’est la formule trouvée par François Hollande pour expliquer sa stratégie économique lors de sa conférence de presse de novembre 2012 : « Il y a toujours eu deux conceptions, une conception productive – on a même pu parler du socialisme de l’offre – et une conception plus traditionnelle où on parlait de socialisme de la demande. Aujourd’hui, nous avons à faire un effort pour que notre offre soit consolidée, plus compétitive. » La formule est reprise par Pierre Moscovici qui explique ainsi le retournement stratégique opéré par gouvernement : « Dans l’opposition, nous avons rejeté toute idée que la France souffrait d’un problème de compétitivité liée au coût du travail. C’est l’honneur de ce gouvernement, suite au rapport Gallois, d’avoir laissé de côté une position partiellement idéologique et très datée, et d’avoir pris la mesure d’un enjeu national. »1 Continuer la lecture

Faire des économies rend-il plus riche ?

Alors que le gouvernement présente son projet de loi de finance pour 2014, la presse et l’opposition s’interrogent en chœur. Les français sont-ils trop taxés ? La baisse des dépenses publiques de 15 milliards annoncée fièrement par le ministre des finances n’est-elle qu’un artifice ? Et les arguments techniques ne manquent pas. A coups d’infographies pédagogiques, d’interviews de Pierre Gattaz et d’assertions d’experts venant de la galaxie ordo-libérale, le peuple finit par se ranger à l’évidence du « bon père de famille » : pour être plus riche il faut payer moins d’impôts, et pour diminuer les impôts il faut faire baisser les déficits et les dépenses publics. Le gouvernement aurait donc bien raison de se lancer dans la croisade des cures d’amaigrissement de l’État. Continuer la lecture

L’épopée absurde des 3 %

Ouf ! 2 ans de sursis! C’est ce que la Commission Européenne nous a accordé, pensant que la France dépassera les 3% de déficit public en 2013 et 2014.

Mais au fait, pourquoi 3%? Pourquoi pas 4 ou 5 ou zéro? D’où vient ce chiffre magique si souvent évoqué? Continuer la lecture

Chypre : La crise qui change tout

« Ultimatum », « blocus »… On peine à croire que de telles expressions aient pu être utilisées pour commenter l’actualité européenne. C’était la guerre. La guerre économique. Au petit matin du 16 mars, après une nuit de négociations, les autorités européennes avaient convaincu le président chypriote d’imposer une série de mesures de rigueur et une taxation des comptes bancaires pour éviter la faillite du système bancaire de l’île. La population était sensée se soumettre, le Parlement devait entériner. Ainsi va la démocratie en Europe ; la Troïka devient l’instance proconsulaire de tout pays qui demande l’aide européenne. Ainsi va la solidarité en Europe ; on fait payer aux peuples les mesures qui sont sensées éviter la faillite généralisée du système bancaire européen. Continuer la lecture

David Cayla : « le protectionnisme n’est pas l’autarcie »

Entretien avec l’Anjou Laïque, trimestriel de la Fédération des Œuvres Laïques de Maine et Loire qui paraîtra dans le numéro 103, disponible en janvier.

Le protectionnisme économique est en partie tabou à gauche. Son refus ou son recours souhaité traduit des analyses différentes pour arriver au changement. Nous avons interrogé sur cette question David Cayla. Maître de conférences en économie à l’université d’Angers, il est signataire du “Manifeste d’économistes atterrés” contestant l’orthodoxie néolibérale et écrit sur le site “Parti Pris”. Continuer la lecture

Compétitivité: le retour de l’idéologie de la guerre économique

Un spectre hante l’Europe : le spectre de la compétitivité. Depuis que la crise étend ses effets sur notre continent, les entreprises s’inquiètent de voir le « grand marché européen » qu’on leur avait tant promis se transformer peu à peu en un immense champ de bataille hyper-concurrentiel. Cette Europe qui avait été conçue pour être un espace d’expansion du capitalisme s’est soudain transformée en système récessif.

Les entreprises ne se battent plus pour gagner des parts de marché. Elles se battent pour leur survie. Depuis 2007, les marges des entreprises françaises ont connu un recul historique, atteignent, en 2011, leur plus bas niveau depuis 1985 1. La situation est encore plus grave dans l’industrie manufacturière où l’on constate un véritable effondrement. En seulement trois ans de crise, le taux de marge est passé de 28,3 % en 2007 à 23,8 % en 2010. Plus de 300 000 emplois industriels ont disparu pendant cette période.

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Du bon usage de l’effet de levier

« Comment on passe de 440 à 1000 [milliards d’euros] sans que ça ne coûte rien à personne ? » La question ingénue de Jean-Pierre Pernaud au Président de la République lors de l’émission spéciale « Face à la crise » avait le mérite d’être claire. Par quel tour de passe-passe, l’accord européen était-il parvenu à démultiplier le fonds européen de stabilité financière (FESF) sans en même temps exiger plus de l’Allemagne, principal contributeur de la solidarité européenne ? Continuer la lecture