Les cryptoactifs : une tentative de mise en œuvre de l’utopie libertarienne

Dans un ouvrage remarquable publié en 2011 et traduit en français deux ans plus tard[1], l’anthropologue américain David Graeber entend montrer que les sociétés sont largement fondées sur des rapports de dette, c’est-à-dire sur des engagements qui lient les individus entre eux et structurent leurs relations. Toute relation interpersonnelle approfondie implique des promesses qu’on se fait les uns aux autres. On doit la vie à ses parents, assistance à son conjoint et soutien à ses amis. Ces engagements mutuels se retrouvent partout où coexistent des êtres humains. Ils peuvent néanmoins prendre des formes variées. Par exemple, chez les femmes Tiv du Nigéria, les relations sociales sont sans cesse entretenues par des cadeaux qui nécessitent d’être rendus mais qui ne le sont jamais pour une valeur équivalente, ceci afin de préserver les dettes et de perpétuer les échanges et les rapports de bon voisinage. Car payer sa dette, c’est « être quitte », rompre toute promesse, et n’avoir plus besoin de l’autre[2].

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Pourquoi le bitcoin est sans avenir

Article paru dans la Tribune.

Le bitcoin est né dans une période de crise, après le krach de 2008. A l’époque, il se présentait comme une innovation radicale et entendait répondre à la défiance envers l’État et les banques. Il s’agissait, pour ses partisans, de promouvoir un système financier et monétaire alternatif et autonome, détaché des États, des banques, et qui ne reposerait pas sur des tiers de confiance. Cependant, force est de constater que le bitcoin tombe dans les mêmes travers que la finance classique. Le cours du bitcoin est procyclique, c’est-à-dire qu’il suit et amplifient les évolutions des marchés financiers traditionnels. Ainsi, contrairement à l’or ou au franc suisse, il ne s’agit pas d’une valeur refuge qui s’apprécierait en période de crise.

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« L’idéologie du Bitcoin refuse l’existence même de l’État »

Entretien avec Thomas Chenel pour Capital.

Pourquoi n’avez-vous pas souhaité participer à la conférence Surfin’Bitcoin?

D’un point de vue déontologique, je préfère ne pas participer à ce genre d’événement, qui est soi-disant pluraliste, mais avec des intervenants libertariens qui ont des postures très idéologiques. C’est en outre un événement payant, organisé par une entreprise. Pour moi, cela ne relève pas du colloque scientifique, mais plus d’une forme de propagande. Je ne fais pas du tout partie de ce milieu-là.

Dans l’absolu, j’aurais bien aimé débattre avec des militants des cryptos sur les questions monétaires. Mais le cadre payant et l’environnement acquis à une certaine cause ne me semble pas très pertinent pour avoir un débat contradictoire.

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David Graeber : Penseur iconoclaste et créateur d’idées

Tribune parue dans Le Figarovox.

Peu d’intellectuels peuvent se vanter d’avoir inventé un concept tellement évident qu’il se diffuse en quelques mois dans le monde entier et devient un outil essentiel pour comprendre le monde dans lequel nous vivons. C’est pourtant ce qu’a fait David Graeber en août 2013 en publiant dans une revue militante un court article consacré aux « bullshit jobs », ces « métiers à la con » qui envahissent les entreprises et le secteur public sans produire la moindre utilité sociale ou économique. Un article qui fut traduit dans de très nombreuses langues dont le français et qui vaudra à son auteur une avalanche de témoignages dont il se servira pour approfondir son concept et écrire un livre entier sur ce sujet. Continuer la lecture

Faire des économies rend-il plus riche ?

Alors que le gouvernement présente son projet de loi de finance pour 2014, la presse et l’opposition s’interrogent en chœur. Les français sont-ils trop taxés ? La baisse des dépenses publiques de 15 milliards annoncée fièrement par le ministre des finances n’est-elle qu’un artifice ? Et les arguments techniques ne manquent pas. A coups d’infographies pédagogiques, d’interviews de Pierre Gattaz et d’assertions d’experts venant de la galaxie ordo-libérale, le peuple finit par se ranger à l’évidence du « bon père de famille » : pour être plus riche il faut payer moins d’impôts, et pour diminuer les impôts il faut faire baisser les déficits et les dépenses publics. Le gouvernement aurait donc bien raison de se lancer dans la croisade des cures d’amaigrissement de l’État. Continuer la lecture