1930-1933 : Les « décrets de la misère » du chancelier Brüning 3/8

Troisième épisode de la série Le glorieux passé de l’austérité
Vers l’épisode 1

La brutale crise économique américaine, révélée et accélérée par l’effondrement des valeurs financières sur les marchés de Wall Street en octobre 1929, s’exporte presque instantanément en Allemagne. Durant les années 20, l’économie allemande était devenue doublement dépendante de l’économie américaine. En premier lieu, les consommateurs européens n’hésitant pas à boycotter les produits allemands, le marché américain s’avère indispensable à l’industrie exportatrice, qui elle-même est impérative pour faire face au paiement annuel des Réparations (elles ne seront suspendues qu’en 1932). En second lieu, l’Allemagne manque de capitaux et a besoin d’investisseurs pour financer sa croissance. Pour cela aussi les Américains sont indispensables. Or, la crise qui sévit de l’autre côté de l’Atlantique coupe brutalement ces deux moteurs de l’économie allemande. Dès le début de l’année 1930, les exportations chutent de moitié, ce qui se traduit immédiatement par une explosion du chômage, qui monte jusqu’à trois millions de personnes dans le courant de l’année 1930, soit 14% de la population active. Continuer la lecture

1925-1926 : Les conséquences économiques de M. Churchill 2/8

Deuxième épisode de la série Le glorieux passé de l’austérité
Vers l’épisode 1

En ce 22 février 1925, Winston Churchill, chancelier de l’échiquier, c’est-à-dire ministre des finances du gouvernement britannique, est pris de doutes. Dans une lettre qu’il adresse à l’un de ses conseillers au ministère il écrit : Continuer la lecture

1918-1925 : Dettes publiques, inflation et dogmatisme monétaire 1/8

Premier épisode de la série Le glorieux passé de l’austérité

Le 28 juin 1919, cinq ans jour pour jour après l’attentat de Sarajevo, les représentants des États vainqueurs de la première guerre mondiale se retrouvent dans la galerie des glaces du château de Versailles pour signer le traité du même nom. La guerre finie, les difficultés commencent. Et en particulier les difficultés économiques. La première question qui se pose est bien sûr celle de la reconstruction. Des pays entiers sont dévastés, des villages rasés, des villes en ruine. Dans une Europe encore très agricole, des milliers de kilomètres carrés de terres arables ont été rendus incultivables par le labourage intensif des obus. Les millions de soldats morts sont autant de main d’œuvre qui manqueront à l’effort de reconstruction. Il va falloir supprimer des centaines de milliers d’emplois dans l’industrie d’armement et reconstruire des pans entiers de l’économie civile. Continuer la lecture

Préface de Quand l’austérité tue (2014) – Éditions Autrement

Qu’est-ce qu’une économie prospère ? Comment évaluer le succès d’une politique économique ? C’est d’après leur capacité à répondre à ces questions simples que devrait être jugé le talent des économistes. Mais comme souvent en sciences sociales, et c’est heureux, l’analyse du succès ou de l’échec d’une mesure donne souvent lieu à des polémiques et à des interprétations divergentes. Ainsi certains projets pourtant utiles à la majorité doivent régulièrement affronter, pour s’imposer, l’opposition d’une catégorie qui peut être puissante et influente. Quant à la prospérité, elle est rarement générale et également distribuée. Une économie peut être qualifiée de prospère malgré la misère qui ronge une grande partie de sa population et inversement, la pauvreté d’un pays n’empêche pas l’existence d’une classe d’hyper-riches.

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Pourquoi le « pacte de responsabilité » ne créera pas d’emploi

Comment lutter contre le chômage ? Interrogé en septembre dernier sur TF1, le chef de l’Etat répliquait par le raisonnement suivant : « si on veut des emplois, si on veut des productions en France, si on veut que nos enfants aient une perspective de carrière, il faut des entreprises ». « Il faut que les entreprises se sentent soutenues » ajouta-t-il avant de se proclamer « président des entreprises ». Le « pacte de responsabilité », annoncé quelques mois plus tard, est dans le droit fil de cette logique. L’idée est la suivante : puisque les entreprises sont responsables de la création d’emploi il faut les « responsabiliser », c’est-à-dire négocier avec elles un accord donnant-donnant. Moins de prélèvements d’un côté, des engagements en matière d’emplois de l’autre. Continuer la lecture

Pourquoi le chômage concerne (presque) tout le monde

Jamais, dans son histoire, la France n’avait connu un nombre de chômeurs aussi élevé. Et ce chômage n’est pas une simple courbe, une statistique abstraite. Il a de nombreux effets délétères sur la société et sur la prospérité commune. Ces effets concernent en premier lieu les 3,3 millions de personnes de la catégorie A, qui n’ont eu aucune aucune activité salariée le mois précédent, donc aucun revenu salarié, et dont certains, notamment les plus jeunes, n’ont pu bénéficier d’aucune allocation compensatoire. A ce chiffre il faut ajouter les presque 2 millions de chômeurs qui ont pu bénéficier d’une activité réduite, ou les presque 300 000 personnes qui sont dispensées de recherche d’emploi pour cause de formation ou de stage. Pour toutes ces personnes, le chômage représente à la fois une perte de revenus, une situation professionnelle précaire qui leur interdit de se projeter dans l’avenir, et parfois, une désocialisation. Au delà de ces effets immédiats, le chômage se traduit également par une perte future. L’absence d’emploi implique moins de cotisation et donc une moindre pension de retraite plus tard, et la réinsertion professionnelle sera d’autant plus difficile que les trous dans le CV seront vus avec suspicion par de futurs employeurs. Continuer la lecture

Le « socialisme de l’offre », ou la politique de la déflation

Le « socialisme de l’offre » c’est la formule trouvée par François Hollande pour expliquer sa stratégie économique lors de sa conférence de presse de novembre 2012 : « Il y a toujours eu deux conceptions, une conception productive – on a même pu parler du socialisme de l’offre – et une conception plus traditionnelle où on parlait de socialisme de la demande. Aujourd’hui, nous avons à faire un effort pour que notre offre soit consolidée, plus compétitive. » La formule est reprise par Pierre Moscovici qui explique ainsi le retournement stratégique opéré par gouvernement : « Dans l’opposition, nous avons rejeté toute idée que la France souffrait d’un problème de compétitivité liée au coût du travail. C’est l’honneur de ce gouvernement, suite au rapport Gallois, d’avoir laissé de côté une position partiellement idéologique et très datée, et d’avoir pris la mesure d’un enjeu national. »1 Continuer la lecture

Faire des économies rend-il plus riche ?

Alors que le gouvernement présente son projet de loi de finance pour 2014, la presse et l’opposition s’interrogent en chœur. Les français sont-ils trop taxés ? La baisse des dépenses publiques de 15 milliards annoncée fièrement par le ministre des finances n’est-elle qu’un artifice ? Et les arguments techniques ne manquent pas. A coups d’infographies pédagogiques, d’interviews de Pierre Gattaz et d’assertions d’experts venant de la galaxie ordo-libérale, le peuple finit par se ranger à l’évidence du « bon père de famille » : pour être plus riche il faut payer moins d’impôts, et pour diminuer les impôts il faut faire baisser les déficits et les dépenses publics. Le gouvernement aurait donc bien raison de se lancer dans la croisade des cures d’amaigrissement de l’État. Continuer la lecture

L’épopée absurde des 3 %

Ouf ! 2 ans de sursis! C’est ce que la Commission Européenne nous a accordé, pensant que la France dépassera les 3% de déficit public en 2013 et 2014.

Mais au fait, pourquoi 3%? Pourquoi pas 4 ou 5 ou zéro? D’où vient ce chiffre magique si souvent évoqué? Continuer la lecture

Chypre : La crise qui change tout

« Ultimatum », « blocus »… On peine à croire que de telles expressions aient pu être utilisées pour commenter l’actualité européenne. C’était la guerre. La guerre économique. Au petit matin du 16 mars, après une nuit de négociations, les autorités européennes avaient convaincu le président chypriote d’imposer une série de mesures de rigueur et une taxation des comptes bancaires pour éviter la faillite du système bancaire de l’île. La population était sensée se soumettre, le Parlement devait entériner. Ainsi va la démocratie en Europe ; la Troïka devient l’instance proconsulaire de tout pays qui demande l’aide européenne. Ainsi va la solidarité en Europe ; on fait payer aux peuples les mesures qui sont sensées éviter la faillite généralisée du système bancaire européen. Continuer la lecture