Jacques Delors et le marché unique européen

Jacques Delors est décédé.

Il a été l’initiateur et le négociateur de l’Acte unique, le traité européen qui a fait basculer l’UE dans le néolibéralisme.

Pour la plupart des gens, le traité européen le plus important est celui de Maastricht (1992), car il a permis la création de la monnaie unique et qu’il a donné lieu à un référendum âprement débattu où le « oui » l’a emporté de justesse.

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« La transition écologique implique un effort similaire à celui du passage à une économie de guerre »

Entretien accordé à Jean Bastien pour le site Nonfiction.

Vous avez intitulé ce nouvel ouvrage Déclin et chute du néolibéralisme, mais avant d’envisager cette issue, vous rappelez les conditions qui ont permis l’installation du néolibéralisme à partir des difficultés rencontrées par les économies régulées, qui, elles, faisaient une large place au contrôle des prix à partir de la fin des années 1960 et du début des années 1970. Quelles sont ces conditions ? Pourriez-vous en dire un mot ?

Rappelons tout d’abord que le principe fondamental de la doctrine néolibérale est d’organiser le fonctionnement de la société à partir des prix de marché.

Pour les néolibéraux, les prix sont censés avoir deux grandes fonctions. La première est de déterminer la valeur et de permettre le calcul économique. En effet, tout choix politique suppose un calcul coût / avantage. Mais pour effectuer ce type de calcul il faut au préalable quantifier la valeur. C’est à cela que servent les prix de marché. Leur seconde fonction est de coordonner les actions et les choix individuels en établissant un système d’incitations dynamique. Les agents économiques sont ainsi « programmés » par les prix. Ils consomment moins et produisent davantage une ressource dont le prix s’accroit et inversement si son prix diminue.

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« Depuis la crise financière, on a tourné le dos au principe des prix de marché »

Interview accordée à Clotilde Mathieu parue dans l’Humanité magazine.

Pourquoi estimez-vous que la crise énergétique est un symptôme de la fin du système néolibéral ?  

À l’origine, le néolibéralisme repose sur une forme de rationalité qui consiste à s’appuyer sur les prix de marché pour quantifier la valeur et par là arbitrer des choix. Ces prix permettent aux économistes, aux hommes politiques, de calculer les gains et les coûts de telle ou telle décision. Cette logique n’est cependant pas sans défaut. D’une part, les marchés sont souvent incapables d’évaluer correctement la valeur fondamentale de nos ressources. C’est cette défaillance qui a entraîné la crise des subprimes de 2008 et celle de l’énergie qu’on connait aujourd’hui. La flambée des prix du gaz et du pétrole est la conséquence non pas d’un renchérissement des coûts d’extraction mais de la spéculation liée à la réduction de l’offre. Ainsi, l’idée que les marchés permettraient de dépolitiser et de rationaliser les choix est en échec. D’autre part, on ne parvient jamais longtemps à laisser les marchés déterminer la valeur. Depuis la crise financière, on a en effet tourné le dos au principe des prix de marché en engageant des politiques de quantitative easing (assouplissement quantitatif). Ces pratiques ont permis aux banques centrales des pays développés de baisser artificiellement les taux d’intérêt afin de permettre aux États de financer des plans de relance, de faire face à la crise COVID ou de gérer la crise de de la zone euro. C’est pourquoi le monde de la finance est déjà en partie sorti du néolibéralisme.

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« Cela coûte très cher de ne pas augmenter les fonctionnaires! »

Interview pour Marianne à Hadrien Mathoux dans le cadre de la préparation d’une enquête sur les rémunérations du secteur public

Nos chiffres montrent que les revenus de toute une série de fonctionnaires (profs, magistrats, cadres, ingénieurs) s’effondrent depuis les années 1980. Y a-t-il une paupérisation de la fonction publique ?

Le mot « paupérisation » me semble excessif si l’on parle de la fonction publique en général. Le salaire moyen y est proche de celui du privé (2276 euros net par mois contre 2238 euros en 2017). Il faut cependant tenir compte du fait que les personnes qui travaillent pour le secteur public sont en moyenne plus qualifiées que celles du privé. Le problème est moins un risque de paupérisation qu’un sentiment d’injustice que ressentent les fonctionnaires lorsqu’ils constatent qu’à compétence et niveau de responsabilité équivalents ils sont moins bien moins payés qu’un salarié du privé. Continuer la lecture

Qu’implique la décroissance du PIB?

Posons le problème directement.
Faire décroitre le PIB revient à diminuer l’ensemble des revenus monétaires. Ces revenus monétaires correspondent soit aux revenus directs des ménages (revenus du travail et du patrimoine) soit à leurs revenus indirects (prestations sociales en nature ou en espèce, valeur de leur capital financier).

La question à laquelle il faut répondre est donc la suivante:
Si l’on part du principe qu’il n’est pas possible de découpler la croissance du PIB et les atteintes environnementales, alors comment rendre acceptable politiquement et socialement une baisse du PIB, soit une diminution globale des revenus, dans des sociétés dominées par la défiance envers les institutions après 30 ans de néolibéralisme? Continuer la lecture

« L’UE a pour valeur la démocratie, mais a grand mal à la faire fonctionner à l’échelle continentale »

Cet entretien est paru originellement dans le média en ligne Résilience Commune.

Quel est l’impact de la crise sanitaire sur l’UE? Assistons-nous à une technocratisation, une bureaucratisation, ou à une décentralisation – au vu des réponses nationales éparses de chaque État ?

L’Union européenne, par nature, fonctionne de manière technocratique. Ce n’est pas un pouvoir politique : les dirigeants européens ont une autorité très faible sur ce que font les différents pays, de sorte qu’ils ne parviennent pas à imposer aux pays membres des choix particuliers. Cette impuissance est visible dans les cas de la Pologne et de la Hongrie. L’UE, c’est une administration, un ensemble de règles qui s’imposent via le droit national. Comme nous sommes dans des États de droit, il est impossible pour un gouvernement de transgresser ces règles, surtout lorsqu’elles sont de fait constitutionnalisées dans le cadre de ce que les juristes appellent la « constitution matérielle » de l’Europe.

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« Ce n’est pas un hasard si l’Union européenne est particulièrement vulnérable au populisme »

Interview pour Mr Mondialisation réalisée avec Tristan Barra.

Depuis quelques années, le terme populisme s’est largement imposé dans le débat public. On a l’impression cependant qu’il est utilisé pour désigner tout et son contraire. On accuse Marine Le Pen d’être populiste, quand François Ruffin se revendiquait comme tel dans nos colonnes. Qu’est-ce que le populisme exactement ?

Il y a, en gros, deux manières d’aborder le populisme. La première, pour caractériser un parti ou un leader politique. Dans une optique souvent péjorative, on dit d’un leader qu’il est « populiste » parce qu’il serait démagogue et qu’il manipulerait les colères populaires pour se faire apprécier des électeurs en jouant sur l’opposition peuple / élites. Il arrive aussi que l’étiquette soit revendiquée et assumée. Dans ce cas, le populisme renvoie à un projet plus structuré qui impliquerait de rassembler et d’unifier les revendications populaires pour porter un programme de transformation sociale et politique. C’est cette seconde acceptation qui a cours parfois à gauche, notamment chez François Ruffin, et qui explique qu’il puisse se revendiquer comme populiste sans forcément être un démagogue. Continuer la lecture

David Cayla: « La loi de l’offre et de la demande est une fable »

Interview accordée au journal Le Soir. Propos recueillis par Dominique Berns.

Q : Vous dénoncez les modèles trompeurs utilisés – en général, de bonne foi, dites-vous – par la majorité des économistes. Une chose peut surprendre : vous ne visez pas les constructions les plus sophistiquées, mais le cœur du raisonnement économique, la fameuse « loi de l’offre et de la demande. » Pourquoi ?

R : Cette « loi » est la pierre angulaire de l’économie dite « néo-classique », dominante aujourd’hui. Mais c’est surtout une construction historique née à la fin du XIXème siècle, résultat d’un compromis entre les économistes : ceux qui, comme les auteurs classiques, identifiaient l’origine de la valeur du côté du coût de production (l’offre) ; et ceux qui ont cherché, un siècle plus tard, à fonder la valeur sur l’utilité pour le consommateur (la demande). En associant les deux de manière parfaitement symétrique, la théorie néo-classique a mis le marché au cœur de son analyse tout en cherchant à montrer que les prix s’imposaient d’eux même à l’ensemble des acteurs et qu’ils n’étaient donc contrôlés par personne en particulier. Selon cette théorie, offre et demande poussent chacune dans des sens opposés : quand le prix augmente, l’offre croît et la demande décroit. Aussi, le prix d’équilibre serait celui qui se trouve à l’intersection des deux courbes. Malgré l’absence de vérification empirique, les économistes craignent de rompre ce compromis et ne remettent jamais cette théorie en question. Continuer la lecture

Le protectionnisme n’est pas un enfermement mais un interventionnisme

Interview accordée à Le Vent se Lève. Propos recueillis par Lenny Benbara.

Jeune économiste en vue, vous êtes membre des Économistes atterrés, association qui a sorti l’an dernier son second manifeste. Ce rassemblement d’économistes hétérodoxes critique les idées reçues diffusées par la science économique dominante. Parmi les combats que vous menez, il y a la possibilité de mesures protectionnistes, qui sont considérées comme une plaie couteuse pour l’économie par une grande partie des économistes et de la classe politique. Selon vous, le protectionnisme peut être un levier pour une politique de progrès social, pouvez-vous nous en dire plus ?

Lors du discours de renoncement de François Hollande, je n’ai pu m’empêcher de noter une phrase : « Le plus grand danger, c’est le protectionnisme, c’est l’enfermement », a-t-il affirmé en faisant référence à l’extrême droite (mais on peut penser qu’il s’adressait aussi à Arnaud Montebourg). Il y a là une double erreur. D’abord une erreur de définition. François Hollande, comme beaucoup de monde, confond protectionnisme et autarcie. Or, les deux termes n’ont strictement rien à voir. Continuer la lecture

Zone euro: le trou noir de l’économie mondiale

Malgré la baisse du prix du pétrole et une politique monétaire très accommodante, l’année 2015 n’a pas rempli ses promesses en matière de croissance et d’emploi pour les pays de la zone euro. La faute en incombe à une politique économique aberrante qui pourrait à terme menacer l’économie mondiale dans son ensemble.

La croissance annoncée pour 2015 aura finalement fait « pschitt ! ». Malgré « l’alignement des planètes », c’est-à-dire la combinaison de facteurs extérieurs extrêmement favorables (taux d’intérêt très faibles, baisse du cours du pétrole, euro très bas sur le marché des changes), la croissance de la zone euro devrait finalement s’établir à 1,6% d’après l’INSEE (1,1% pour la France). Un chiffre qui reste loin de celui prévu par la Banque mondiale pour les États-Unis (2,7%) ou le Royaume-Uni (2,6%). Continuer la lecture