« Depuis la crise financière, on a tourné le dos au principe des prix de marché »

Interview accordée à Clotilde Mathieu parue dans l’Humanité magazine.

Pourquoi estimez-vous que la crise énergétique est un symptôme de la fin du système néolibéral ?  

À l’origine, le néolibéralisme repose sur une forme de rationalité qui consiste à s’appuyer sur les prix de marché pour quantifier la valeur et par là arbitrer des choix. Ces prix permettent aux économistes, aux hommes politiques, de calculer les gains et les coûts de telle ou telle décision. Cette logique n’est cependant pas sans défaut. D’une part, les marchés sont souvent incapables d’évaluer correctement la valeur fondamentale de nos ressources. C’est cette défaillance qui a entraîné la crise des subprimes de 2008 et celle de l’énergie qu’on connait aujourd’hui. La flambée des prix du gaz et du pétrole est la conséquence non pas d’un renchérissement des coûts d’extraction mais de la spéculation liée à la réduction de l’offre. Ainsi, l’idée que les marchés permettraient de dépolitiser et de rationaliser les choix est en échec. D’autre part, on ne parvient jamais longtemps à laisser les marchés déterminer la valeur. Depuis la crise financière, on a en effet tourné le dos au principe des prix de marché en engageant des politiques de quantitative easing (assouplissement quantitatif). Ces pratiques ont permis aux banques centrales des pays développés de baisser artificiellement les taux d’intérêt afin de permettre aux États de financer des plans de relance, de faire face à la crise COVID ou de gérer la crise de de la zone euro. C’est pourquoi le monde de la finance est déjà en partie sorti du néolibéralisme.

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David Cayla: « La loi de l’offre et de la demande est une fable »

Interview accordée au journal Le Soir. Propos recueillis par Dominique Berns.

Q : Vous dénoncez les modèles trompeurs utilisés – en général, de bonne foi, dites-vous – par la majorité des économistes. Une chose peut surprendre : vous ne visez pas les constructions les plus sophistiquées, mais le cœur du raisonnement économique, la fameuse « loi de l’offre et de la demande. » Pourquoi ?

R : Cette « loi » est la pierre angulaire de l’économie dite « néo-classique », dominante aujourd’hui. Mais c’est surtout une construction historique née à la fin du XIXème siècle, résultat d’un compromis entre les économistes : ceux qui, comme les auteurs classiques, identifiaient l’origine de la valeur du côté du coût de production (l’offre) ; et ceux qui ont cherché, un siècle plus tard, à fonder la valeur sur l’utilité pour le consommateur (la demande). En associant les deux de manière parfaitement symétrique, la théorie néo-classique a mis le marché au cœur de son analyse tout en cherchant à montrer que les prix s’imposaient d’eux même à l’ensemble des acteurs et qu’ils n’étaient donc contrôlés par personne en particulier. Selon cette théorie, offre et demande poussent chacune dans des sens opposés : quand le prix augmente, l’offre croît et la demande décroit. Aussi, le prix d’équilibre serait celui qui se trouve à l’intersection des deux courbes. Malgré l’absence de vérification empirique, les économistes craignent de rompre ce compromis et ne remettent jamais cette théorie en question. Continuer la lecture