La crise impose la fin du libre-échange

En mars 2009, Emmanuel Todd prévoyait que la crise allait remettre en question un certain nombre de dogmes économiques1. L’idéologie libre-échangiste, après avoir appauvri la classe ouvrière dans les années 80 et affaibli les classes moyennes dans les années 90, s’en prenait au portefeuille des classes supérieures. Cette idéologie ne produisant « plus aucun bien pour aucun secteur de la société », il était envisageable qu’un basculement intellectuel se produise.

Plus de deux ans plus tard, il faut bien reconnaître que ce basculement n’a pas eu lieu. Les seuls infléchissements ont concerné des questions périphériques telles que la régulation bancaire ou l’austérité des budgets publics qu’incarne la « règle d’or ». Le cœur de l’idéologie dominante, fondé sur la croyance en l’efficacité intrinsèque des marchés et de la concurrence, est resté intact. Constatant le rétablissement du secteur bancaire et la reprise des marchés boursiers à partir de la mi-2009, beaucoup se sont alors rassurés en pensant que la crise de l’économie mondiale avait été résolue grâce à l’efficace (mais coûteuse) intervention des États. Le retour de la crise bancaire engendré par les craintes de défauts de certains États et la chute brutale de la croissance engendrée par les plans de rigueurs a, depuis, sérieusement douché l’enthousiasme. Continuer la lecture

L’absurde combat de l’Europe contre les agences de notation

Tribune parue dans Mariane

Alors que l’Europe montre du doigt le rôle que tiennent les agences de notation dans la crise, l’économiste David Cayla fait remarquer que c’est elle-même qui a œuvré pour leur donner du pouvoir et privatiser les systèmes de financement des Etats.

Mais pourquoi diable ces agences de notation s’acharnent-elles à détruire notre bel ouvrage européen? A peine l’Europe s’entendait-elle pour résoudre la crise grecque en allouant au gouvernement de Papandreou de quoi passer l’été que Standard and Poor’s faisait savoir que les scénarios de sortie de crise envisagés par les dirigeants européens « conduiraient probablement à un défaut de paiement » de l’État grec. Une manière de montrer le peu de crédit que ses experts accordent aux plans de « sauvetage » qui s’acharnent en ce moment sur le peuple grec. Deux jours plus tard, c’était au tour de l’agence Moody’s de dégrader de quatre crans la note des titres portugais. D’ici à ce que le Portugal finisse en moussaka pour traders affamés… c’est sans doute l’affaire de quelques mois. Continuer la lecture

Services publics : ce patrimoine bradé de la gauche

La défense des services publics aurait pu être à la gauche ce que la thématique sécuritaire est à la droite : une valeur sûre. Quoi de plus naturel pour un socialiste que de défendre un bien public socialisé au service de la collectivité et donc en tout premier lieu des plus faibles ? Même d’un point de vue strictement électoral, l’opération paraît gagnante : les agents des services publics, des fonctionnaires de l’éducation nationale aux intérimaires de La poste en passant par les chercheurs du CNRS, ont toujours constitué une excellente réserve de voix pour la gauche. Continuer la lecture

Amère rentrée universitaire

Dans une tribune parue dans Le Monde du 31 août, l‘économiste Philippe Askenazy s’inquiétait de la hausse du taux d’activité des jeunes et de leurs désaffection pour les études. Il constatait que, marqués par le discours défaitiste ambiant, les jeunes bacheliers qui ne réussissent pas à intégrer une filière sélective préfèrent souvent tenter leur chance sur le marché du travail plutôt que d’aller à la fac. On constate en effet, depuis quelques années, une surprenante chute du taux de poursuite d’étude des jeunes bacheliers. Une note de la DEPP de juin dernier estimait qu’en 2002 99% des détenteurs d’un bac général s’étaient inscrits dans l’enseignement supérieur. Ils n’étaient plus que 94,8% à faire de choix en 2007. La note montrait que le premier cycle universitaire était particulièrement touché. La fac perd des effectifs alors que les inscriptions dans toutes les autres formations sont en hausse. Elle reste pourtant la destination majoritaire des étudiants qui ont un bac général, et la seule qui leur soit facilement accessible. C’est ainsi que les discours sur la « fac poubelle », sur l’université « déconnectée du monde réel », et autres poncifs du même topo se transforment en discours décourageant les études. Avant de dénoncer la qualité de l’enseignement universitaire, on ferait donc bien de réfléchir au fait qu’il n’y a pas d’alternative sérieuse à la fac, et qu’aucune formation privée ou publique ne peut comme elle former des centaines de milliers d’étudiants chaque année. Continuer la lecture

L’avenir selon Attali

En 316 décisions, le rapport Attali ne s’est pas contenté de proposer quelques mesures économiques, mais a cherché à mettre en musique l’idéologie sarkozienne : travailler plus, libéraliser, communautariser. C’est le programme des réformes à venir.

« Ceci n’est pas un rapport, ni une étude, mais un mode d’emploi pour des réformes urgentes et fondatrices ». C’est par ces mots que commence le Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française. Et comme tout mode d’emploi, il ne se contente pas de simples « propositions » laissées à l’arbitrage du débat public, mais il dicte et « décide ». Toute loi doit être « efficace », et seuls des experts comme Attali sont à même d’en juger. On se souvient de la proposition iconoclaste de Ségolène Royal qui voulait instaurer des « jury citoyens » pour évaluer l’action de leurs représentants. Le rapport Attali prend acte de l’incompétence des citoyens et des élus pour prendre les « bonnes » décisions et propose donc de « faire évaluer ex ante et ex post tout projet de loi et de règlement » par des comités d’experts (décision 231). De même, chaque service public, chaque agent, chaque dépense, devront être évalués par un système d’organismes indépendants, en concurrence les uns avec les autres (décision 228 à 230). Continuer la lecture

Le rapport Attali : la croissance version supermarché

L’ancien conseiller de François Mitterrand, faute d’idée originale, se contente de reprendre le discours sarkoziste… et risque de faire du marché et de la concurrence les outils principaux d’une désindustrialisation française.

Lorsque Jacques Attali travaillait à l’Elysée, au début des années 80, les responsables politiques tenaient encore en haute considération la politique industrielle, le fait que l’Etat puisse organiser sur le long terme la structure productive de l’économie. Cette politique part du principe que toute richesse économique est d’abord le résultat d’une production, et qu’engager une politique de croissance suppose de mettre l’accent sur l’efficacité productive et sur les savoir-faire, dans le cadre d’un développement territorial harmonieux. Près de trente ans plus tard, le vent a tourné et Jacques Attali aussi. Partout en Europe, la politique de la concurrence se substitut à la politique industrielle. Au lieu de mettre l’accent sur la production, la droite libérale ne voit dans le système économique qu’un vaste marché dans lequel la richesse se crée, spontanément, par l’échange. Cette conception a pour conséquence une politique économique qui vise à laisser faire le marché et à limiter au maximum les restrictions à l’échange. A ce titre, la Commission Attali pour la Libération de la Croissance Française est bien le reflet de son époque. Le nom même de la Commission laisse peu de doute à ce sujet. La croissance en France est-elle entravée ? « Bien sûr ! » répondent les zélotes de l’échange. Toute réglementation est une entrave au commerce et donc à la croissance. Le marché et la concurrence c’est l’économie ; la production, c’est ringard. Continuer la lecture

L’impasse du libre-échange

La croissance exponentielle des échanges et la dérégulation du commerce international risquent de coûter très cher aux pays occidentaux et s’avèrent incapables de porter un modèle de développement soutenable pour les pays pauvres. Continuer la lecture

Où nous entraîne l’économie américaine?

Pour relancer leur économie après les attentats du 11 septembre, les États-Unis ont conduit une politique de relance monétaire et ont massivement emprunté auprès du reste du monde. Cette stratégie, risquée, pèse actuellement sur l’économie mondiale.

En 2003, le déficit commercial américain allait afficher un montant historique de près de 500 milliards de dollars et le monde entier s’inquiétait. L’économie de la première puissance mondiale devait trouver plus d’1 milliard de dollars chaque jour auprès du reste du monde pour financer sa croissance et sa consommation. Ces déficits considérables pesaient sur le dollar, d’autant que les taux d’intérêts de la Federal Reserve (la rémunération du billet vert) étaient historiquement bas.

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Qui a peur du monstre de l’inflation ?

C’est un dessin animé d’un peu plus de huit minutes disponible sur le site Internet de la Banque Centrale Européenne. Des adolescents aux yeux clairs découvrent l’inflation, un horrible monstre bleu au sourire plein de dents jaunes, tentateur, qui multiplie l’argent de manière démagogique et entretient la hausse des prix. Cette hausse, bien sûr, va entraîner le malheur des adolescents-consommateurs et des épargnants, représentés par une pauvre retraitée qui ne peut plus acheter son poisson : « C’est toujours les moins bien lotis qui souffrent » dit-elle d’une voix chevrotante. Heureusement, nous apprend un jeune cadre qui a laissé tomber la veste, la BCE est là pour lutter contre le « monstre de l’inflation » en menant la nécessaire politique d’augmentation des taux d’intérêt que le monde nous envie.

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Référundum européen: Le déni démocratique des élites

Les élites politiques et médiatiques ont été presque unanimes à considérer le scrutin du 29 mai comme un vote de crise et de « repli », contredisant le message porté par le non de gauche pendant la campagne. Ce faisant, elles ont répondu par le conservatisme à une demande de changement. Continuer la lecture