L’avenir selon Attali

En 316 décisions, le rapport Attali ne s’est pas contenté de proposer quelques mesures économiques, mais a cherché à mettre en musique l’idéologie sarkozienne : travailler plus, libéraliser, communautariser. C’est le programme des réformes à venir.

« Ceci n’est pas un rapport, ni une étude, mais un mode d’emploi pour des réformes urgentes et fondatrices ». C’est par ces mots que commence le Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française. Et comme tout mode d’emploi, il ne se contente pas de simples « propositions » laissées à l’arbitrage du débat public, mais il dicte et « décide ». Toute loi doit être « efficace », et seuls des experts comme Attali sont à même d’en juger. On se souvient de la proposition iconoclaste de Ségolène Royal qui voulait instaurer des « jury citoyens » pour évaluer l’action de leurs représentants. Le rapport Attali prend acte de l’incompétence des citoyens et des élus pour prendre les « bonnes » décisions et propose donc de « faire évaluer ex ante et ex post tout projet de loi et de règlement » par des comités d’experts (décision 231). De même, chaque service public, chaque agent, chaque dépense, devront être évalués par un système d’organismes indépendants, en concurrence les uns avec les autres (décision 228 à 230).

Le peuple français n’a plus qu’à se soumettre. Comme dirait Mme Lagarde, « assez pensé maintenant. Retroussons nos manches ». Le monde est une vaste compétition, les pays ont des « performances », et le rôle de la politique se résume à accroitre les résultats économiques de son pays : « Un pays trop lent s’appauvrit : ses concurrents lui ravissent l’une puis l’autre de ses parts de marchés » (p. 11).

Le travail c’est bon pour toi

Premières mesures : abolir l’oisiveté. Car le rapport ne se contente pas de dire ce qu’il faut faire, il explique aussi que les français « devront vouloir le changement », ce qui nécessitera « d’apprendre davantage, de s’adapter, de travailler plus et mieux » (p. 11). Claude Allègre, en son temps, avait résumé tout le mal qu’il pensait des 35h : « ce n’est pas en réduisant son temps de travail que la France parviendra à gagner la compétition mondiale ». Le rapport Attali suit exactement la même logique en comparant les performances des français et des américains : « Même si chaque Français produit encore 5 % de plus par heure travaillée qu’un Américain, il produit 35 % de moins que lui au long de sa vie active » (p. 9) ».

Apprendre aux français à « vouloir » travailler plus passera d’abord par la mise au pas du système éducatif, et plus précisément par l’enseignement de l’économie dès l’école primaire (décision 2). Un enseignement qui « devra expliquer le rôle du travail, de l’entreprise et de l’entrepreneur, montrer que le scandale est dans la pauvreté plus que dans la richesse, dans les injustices plus que dans les inégalités ». Le système éducatif n’étant que l’antichambre du marché du travail, l’orientation de nos jeunes devra tenir compte des débouchés (décision 7) et les stages seront multipliés. A partir de la 4ème, les élèves devront effectuer au moins une semaine de stage par trimestre (décision 8), tandis qu’à l’université les étudiants ne pourront obtenir leur diplôme qu’après avoir passé un semestre en entreprise avant la licence, et un an avant le master (décision 12).

Travailler plus passe aussi par une transformation des relations sociales et la lutte contre le « durcissement des positions syndicales » (p. 106). A ce titre, le rapport reprend largement les positions patronales en dénonçant un code du travail « particulièrement complexe » (p. 109). Considérant que « la loi occupe aujourd’hui dans notre pays un espace trop important » (p. 105), il propose de faire de la négociation collective le moyen privilégié de la transformation sociale (décision 119). Conséquence logique, les accords de branche ou d’entreprise pourront déroger à la loi, en particulier en matière de durée du travail (décision 138). Le travail le dimanche sera étendu (décision 137) et en matière de retraite, si le rapport promet dans son introduction le « libre choix de l’âge de la retraite » (p. 14), la décision 133 précise qu’il s’agit d’un choix qui devra « permettre à chacun de retarder, s’il le désire, son départ à la retraite ». Et afin d’orienter ce choix, la part du système par répartition dans le financement des retraites sera diminuée au bénéfice de « fonds de pensions à la française » qui seront proposés par des organismes d’assurance privés, et pour lesquels l’adhésion sera « automatique » (décisions 312 à 314).

Travailler plus, c’est aussi lutter pour l’emploi grâce à… l’assouplissement des règles de licenciement. Le rapport estime en effet que « les employeurs sont aujourd’hui réticents à embaucher » du fait « des délais et des coûts en cas de licenciement (p. 122). Il propose donc d’ajouter des motifs au licenciement économique en permettant de licencier pour cause de « réorganisation de l’entreprise » ou pour « amélioration de la compétitivité » (décision 144). Il propose également d’instaurer une « rupture à l’amiable », ce qui dispenserait l’employeur d’avoir à licencier (décision 145). L’employé garderait cependant ses droits au chômage et toucherait une indemnité.

Une fois licencié, il convient de trouver un nouvel emploi au nouveau chômeur. Cela passe d’abord par l’élimination des « incitations à l’inactivité », c’est-à-dire des prestations trop généreuses susceptibles de décourager le goût du travail (décision 301). Premières victimes, les allocations chômage dont le montant maximal est considéré comme « très supérieur à ceux des autres pays, ce qui peut démotiver un retour à l’emploi » (p. 117). Autre voie envisagée, le renforcement des mesures « d’accompagnement ». Les agents ANPE sont en effet considérés comme « réticents à demander des sanctions en cas de refus d’emploi ou de formation » (p. 121). Il est donc proposé de leurs accorder des primes en fonction de leurs « performances » (décision 141) et de renforcer le contrôle des chômeurs en atteignant un rapport de 30 allocataires par agent. L’indemnisation sera limitée à 12 mois, les entretiens hebdomadaires et les chômeurs auront l’obligation d’accepter les offres de travail qui leur seront faites (décision 142). Une telle réorganisation du service public de l’emploi sera extrêmement coûteuse : 11 milliards, que le rapport prévoit de financer « en redéployant les dépenses d’indemnisation existantes » (p. 122), c’est-à-dire en diminuant le montant des allocations.

La concurrence, c’est génial !

L’une des priorités affichée par le rapport Attali est d’assurer la « liberté réelle » qui permettrait à chacun de trouver « ce pour quoi il est le plus doué » (p. 6). Car la France serait devenue « une société de connivence et de privilèges », dans laquelle l’intervention de l’État favoriserait le « corporatisme et la défiance » en « entravant la concurrence » (p. 8). Le parti pris du rapport est donc de permettre le passage d’une économie encadrée par la puissance publique à une économie régulée par les marchés et la concurrence. Le rapport estime en effet que « les pays où le degré de concurrence dans les marchés des biens et des services privés est plus élevé ont de meilleures performances en termes de croissance » (p. 139).

Pour renforcer la concurrence, le rapport prévoit la constitution d’une Autorité de la concurrence, indépendante du pouvoir politique, qui serait chargée de contrôler les opérations de concentration (décision 187) et qui disposerait de son propre service d’enquête (décision 188). Elle serait aussi habilitée à s’autosaisir pour « maintenir l’ordre public concurrentiel » (p. 142) et pourrait donner son avis « sur les effets concurrentiels de mesures législatives ou administratives » (décision 189).

La première tâche de cette autorité sera donc de rétablir « l’ordre concurrentiel » partout où il est défaillant, et particulier dans le secteur de la distribution. Pour le rapport, les lois Galland et Raffarin ont « échoué » à faire baisser les prix (pp 145-146) et doivent donc être abrogées (p. 148). En conséquence, les grandes surfaces pourront négocier « librement » les prix avec leurs fournisseurs, et s’implanter partout où elles le jugeront nécessaires, sans avoir à obtenir une autorisation administrative spécifique.

Les lois Galland et Raffarin avaient pour objectif d’éviter deux risques pour l’économie française. Le premier était que les distributeurs, qui disposent de puissantes centrales d’achat capables d’écouler des marchandises par millions, ne bénéficient d’un pouvoir de négociation trop fort et contraignent leurs fournisseurs à des baisses de prix non soutenables à long terme. Les fournisseurs les plus fragiles (principalement les PME industrielles et les coopératives agricoles) ainsi que leurs salariés, seraient alors mis en danger. L’infrastructure industrielle de la France pourrait en être fragilisée. Le rapport Attali semble conscient de ce problème mais ne propose aucune mesure valable pour y faire face. Il se contente de propositions telles que « promouvoir l’image et la qualité des fournisseurs indépendants » (décision 198), « créer une instance arbitrale entre les distributeurs et les fournisseurs indépendants » (décision 199), et « obliger les enseignes de grande distribution à publier dans leur rapport annuel la part de leurs achats provenant de fournisseurs indépendant » (décision 200). Et si toutes ces mesures ne suffisent pas, comme cela est probable, le rapport propose de faciliter les regroupements de producteurs « afin d’aider les petites entreprises à accroître leur compétitivité et leur pouvoir de négociation vis-à-vis de la grande distribution » (décision 201). En d’autres termes, les producteurs devront sacrifier leur indépendance afin de se regrouper vis-à-vis des grandes surfaces et d’être en mesure de leur imposer… des hausses de prix.

Le second risque auquel cherchait à répondre la loi Raffarin était celui de la cannibalisation des petits détaillants par les grandes surfaces. Les conséquences sur l’emploi seraient dramatiques, ainsi que l’ambiance générale et la vie de quartier dans les centres urbains. Les commerces indépendants n’ont en effet pas la capacité de faire « chanter » les industriels et ils ne peuvent pas négocier des tarifs comparables à ceux des grands distributeurs. Face à la disparition programmée des « petits commerces », le rapport Attali propose donc « d’intégrer dans les plans locaux d’urbanisme des obligations de diversité commerciale » (décision 193) et de « concéder aux commerçants isolés la gestion de certains services publics de proximité », en particulier la poste ou la trésorerie (décision 194). Il est cependant peu probable que ces mesures suffisent à garantir la rentabilité de ces commerces… sauf si les tarifs des services publics concédés deviennent exorbitants.

Globalement, le calcul économique du rapport Attali est très étrange. Il établit que l’intensification de la concurrence dans le secteur de la distribution devrait permettre simultanément « une baisse des prix, une progression des embauches, une augmentation du pouvoir d’achat des ménages et donc la croissance de l’économie » (p. 152). Pourtant, même si les prix baissent, cela ne signifie pas que les dépenses de consommation des ménages augmenteront, mais qu’il sera possible d’acheter plus de produits avec les mêmes dépenses, à revenu identique. Dans ce cas, à chiffre d’affaire constant, il n’y a aucune raison pour que le secteur embauche. Au contraire, on peut anticiper que l’extension des grandes surfaces va se faire au détriment des petits commerces, lesquels sont beaucoup plus riches en main d’œuvre.

Concurrence, mon amour

La concurrence ne s’arrête pas aux rayons des supermarchés. Il convient de l’étendre aux autres secteurs, en particulier à ceux qui sont «  protégés » par des règlementations ad hoc. Les décisions 208 à 217 cherchent ainsi à ouvrir un certain nombre de métiers à la concurrence (taxis, coiffeurs, avoués…) en allégeant les contraintes qui encadrent la « libre entrée » sur ces métiers.

Le secteur public ne doit pas non plus être épargné, en particulier l’éducation et la santé. Dans l’éducation, l’autonomie des établissements sera renforcée et ces derniers pourront recruter les enseignants de leurs choix et développer une pédagogie spécifique (décision 4). Cette autonomie sera complétée par une évaluation « publique » des enseignants et des établissements. Les critères d’évaluation des professeurs devront intégrer « une évaluation de leur pédagogie par leurs élèves » (décision 5). Enfin, les parents seront autorisés à choisir « librement » l’établissement de scolarisation de leurs enfants, en arbitrant entre les différentes écoles publiques, et entre les secteurs publics et privés. « En pratique, l’État affectera aux parents une somme d’argent par élève. Chaque parent pourra l’utiliser dans un établissement public ou privé de son choix » (décision 6).

Gare aux parents peu attentifs qui feraient le mauvais choix. Le rapport prévient que toutes les écoles n’enseigneront pas la même chose : « l’ensemble de ce qui précède suppose un allègement substantiel de la pression exercée par les services déconcentrés de l’Éducation nationale pour faire respecter les programmes actuels et les cursus » (p. 31).

La grâce concurrentielle touchera également l’enseignement supérieur. Le rapport Attali propose même de la renforcer en proposant la mise en place d’un classement annuel des universités européennes (décision 25), et en distinguant 10 pôles universitaires d’excellence (décision 24). Cela passera par la modification du mode de financement des universités. Au lieu de garantir une dotation égalitaire, l’État sera tenu de favoriser les plus performantes en créant « des fonds destinés à récompenser les universités ayant les meilleurs résultats » (décision 21). Les universités devront aussi augmenter la part du privé dans leur financement (décision 22) et s’ouvrir au marché lucratif des étudiants étrangers payants (décision 221). En contrepartie, elles pourront valoriser leurs « marques » en ouvrant des antennes à l’étranger comme la Sorbonne à Abou Dhabi (décision 28).

Les enseignants-chercheurs devront s’adapter. Tout nouveau chercheur sera recruté sur un contrat précaire de quatre ans (décision 30), et il faudra lui « dispenser davantage d’enseignements de gestion » (décision 31), pour l’aider à valoriser ses découvertes auprès du secteur privé.

En matière de santé, le rapport Attali fait le constat que c’est un secteur qui va connaître une forte croissance dont il faudra profiter. Plus de dépenses nécessiteront plus de financement, ce qui permettra de « développer les produits d’assurance privée et de mutuelle » (décision 74). L’industrie pharmaceutique pourra elle aussi bénéficier de ce marché dynamique. Les prix des médicaments qui ne nécessitent pas de prescription médicale seront libéralisés et leur publicité sera autorisée (décision 281).

Les hôpitaux seront incités à externaliser l’ensemble des services « périphériques », comme la restauration, la blanchisserie ou le gardiennage (décision 75), ce qui permettra de « favoriser de nouveaux acteurs de croissance », tels que la Sodexo. Pour répondre à la concurrence des cliniques, le rapport propose de « permettre aux hôpitaux publics d’opter pour un statut équivalent à celui des hôpitaux privés à but non lucratif » (décision 275). La responsabilité et le pouvoir des directeurs d’hôpitaux seront accrus (décision 278) et, tout comme les universités, ils seront tenus de s’ouvrir au marché des riches patients étrangers (décisions 76 et 282).

La république, c’est ringard !

La France s’est développée sur un modèle qui combinait un État fort et centralisé avec un modèle démocratique républicain, fondé sur la stricte égalité juridique de chaque citoyen face à cet État. Les propositions du rapport Attali tendent à attaquer ce modèle en s’en prenant à ses deux aspects à la fois.

Du côté de l’État, les auteurs du rapport considèrent que celui-ci « n’a presque plus les moyens d’agir sur la croissance » (p. 11). Après avoir dénoncé les déficits, et « le train de vie excessif de l’État et de l’ensemble des collectivités publiques » (p. 18), ils proposent de réduire les dépenses publiques de 1% du PIB par an à partir de 2009, soit 20 milliards d’euros par an pendant 5 ans. Ces économies devront se traduire par le non remplacement de deux fonctionnaires sur trois partants à la retraite (décision 252). Le rapport entend aussi développer massivement l’e-administration en espérant « dégager au total 15 milliards d’euros d’économies » (décision 246). La magie d’Internet, sans doute.

Mais la réduction des déficits apparaît mal engagée : 21 dépenses supplémentaires non financées sont proposées (villes nouvelles, investissement dans la recherche, prime à la mobilité, éducation…). Quand à la réduction du nombre de fonctionnaires dans un pays où le nombre d’enfants scolarisés augmente et où les besoins en services hospitaliers et dans les domaines régaliens (sécurité, justice) sont croissants, cela relève du phantasme.

Peu importe ! L’essentiel est bien qu’il n’y ait plus du tout de fonctionnaire. L’État est ainsi sommé de procéder à l’externalisation massive de ses activités considérées comme « annexes du secteur public » (p. 192). Afin d’améliorer l’efficacité de la puissance publique, le rapport propose également de développer une administration resserrée autour d’une vingtaine de ministres au maximum (décision 240), organisée en agences sur le modèle américain (décision 248).

L’État devra également gérer ses employés comme une entreprise, et ses agences pourront même recruter sur la base de contrats privés (décision 256). Il faudra ainsi « instituer, dans toute la fonction publique, une gestion managériale, dynamique et flexible des personnels » (décision 257). Les employeurs publics pourront « déterminer les conditions de rémunération de leurs agents » (décision 253) et remettre en cause les règles d’avancement à l’ancienneté. Enfin, le rapport entend « moderniser » les rémunérations en instaurant des primes « liées à la performance (collective et individuelle) des agents » (décision 254).

Dans le cadre d’un État national fort, la République n’entend théoriquement reconnaître aucune spécificité ethnique ou religieuse, aucune distinction culturelle, et cherche à traiter également chacun de ses membres. Mais dans le cadre d’un État affaibli, ce sont souvent les logiques communautaires qui l’emportent, le sentiment d’appartenance à une communauté locale se substituant au sentiment d’appartenance à la nation. Le rapport Attali est donc parfaitement cohérent avec lui-même lorsqu’il entend renforcer les logiques communautaires après avoir proposé d’affaiblir l’État.

De manière générale, chaque individu est renvoyé à ses déterminants visibles, c’est-à-dire à son âge, son sexe ou son origine. Le rapport propose ainsi d’intégrer le taux d’emploi des jeunes dans un système de bonus/malus pour les entreprises (décision 128). Afin d’aider les banlieues difficiles, il entend développer l’enseignement privé « dans les quartiers » (décision 153) et favoriser le recrutement de bacheliers issus de ZEP dans les classes préparatoires et les grandes écoles (décision 152). Pour favoriser la « diversité » les entreprises, les administrations, les syndicats, les partis politiques et les établissements d’enseignement supérieur devront présenter chaque année, « un bilan de la diversité, par sexe et par origine, des recrutements et des salariés » (décision 157). Enfin, à l’échelle politique, le rapport propose d’« imposer par quotas la diversité dans les élections municipales, régionales, nationales, européennes et syndicales » (décision 163). Rappelons que ces deux dernières mesures nécessiteront logiquement de caractériser l’origine, et sans doute la religion, de chaque citoyen dans son état civil.

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