La dette : une promesse dénaturée par la marchandisation

À propos de la pensée de David Graeber

« Qu’est-ce qu’une dette, en fin de compte ? s’interroge l’anthropologue David Graeber. Une dette est la perversion d’une promesse. C’est une promesse doublement corrompue par les mathématiques et la violence » écrit-il en conclusion de Dette : 5000 ans d’histoire.

Comment nos sociétés en sont arrivées à « corrompre » des promesses est la question à laquelle se propose de répondre Graeber. Pour cela, il convient d’abord de partir d’une définition. La dette est donc, à l’origine, une promesse, un engagement entre deux personnes. En ce sens, il s’agit d’un rapport social fondamental sur lequel se construisent les autres relations. C’est parce que les individus se font des promesses, parce qu’ils se doivent des choses, qu’ils entretiennent des liens entre eux. Dans son Essai sur le don , Marcel Mauss ne dit pas autre chose et montre comment le don structure les rapports humains. Donner, c’est à la fois rendre service à l’autre et en même temps créer l’engagement d’une réciprocité, recevoir donc une promesse, celle d’un contre-don. C’est un mécanisme fondamental qu’on retrouve dans toute société. Continuer la lecture

Interview: « Pour Smith, le libéralisme est une théorie de l’émancipation individuelle »

Interview parue dans Royaliste n° 1199
Propos recueillis par Cazimir Mazet

Dans le débat public, les concepts de « populisme » et de « néolibéralisme » sont fréquemment invoqués, pas toujours à bon escient. Comment définir, synthétiquement, l’un et l’autre ?

Le néolibéralisme est une doctrine politique qui se donne pour objectif d’assurer un fonctionnement harmonieux des marchés dans l’espoir d’engendrer un ordre social performant et équitable. Historiquement, il nait les désordres économiques des années 30. La crise de 1929, la fin de l’étalon-or, la monté du protectionnisme et l’émergence des contre-modèles fasciste et communiste imposaient une révision profonde du libéralisme manchestérien qui s’accrochait à un strict laissez-faire en matière de régulation économique. À la différence du libéralisme doctrinal du XIXème siècle, le néolibéralisme conçoit le rôle économique de l’État comme devant garantir un système institutionnel qui protège le marché et empêche ses dysfonctionnements. Continuer la lecture

David Graeber : Penseur iconoclaste et créateur d’idées

Tribune parue dans Le Figarovox.

Peu d’intellectuels peuvent se vanter d’avoir inventé un concept tellement évident qu’il se diffuse en quelques mois dans le monde entier et devient un outil essentiel pour comprendre le monde dans lequel nous vivons. C’est pourtant ce qu’a fait David Graeber en août 2013 en publiant dans une revue militante un court article consacré aux « bullshit jobs », ces « métiers à la con » qui envahissent les entreprises et le secteur public sans produire la moindre utilité sociale ou économique. Un article qui fut traduit dans de très nombreuses langues dont le français et qui vaudra à son auteur une avalanche de témoignages dont il se servira pour approfondir son concept et écrire un livre entier sur ce sujet. Continuer la lecture

Les conséquences économiques de la crise sanitaire

Article publié dans Le SNESUP, n°685, mai 2020

Le confinement a entrainé une brutale décélération de l’économie française. Un tiers de la production nationale a disparu. C’est considérable et cela explique la chute de 5,8% du PIB calculée par l’INSEE pour le premier trimestre. Il est à peu près certain que le second trimestre verra une contraction encore plus forte se produire, la période de confinement y étant plus longue. Il ne faut pas non plus perdre de vue que la qualité de l’activité s’est elle-même dégradée. Ainsi, malgré le dévouement de son personnel, notre système éducatif n’a pas été en mesure d’apporter un service public satisfaisant à l’ensemble des élèves et étudiants. La distanciation n’est pas compatible avec l’éducation et de nombreuses activités sociales. Continuer la lecture

Comment la retraite à points va faire baisser les pensions

Tribune publiée sur le blog Alter éco des Économistes atterrés

Tandis que les experts1 se penchent sur l’étude d’impact annexée au projet de loi sur les retraites et pointent ses insuffisances ainsi que, ce qui est bien plus grave pour la qualité du débat, ses biais méthodologiques et son insincérité, un chiffre mérite plus particulièrement notre attention, celui de la trajectoire des dépenses de retraite prévues à l’horizon 2050. Continuer la lecture

De l’attractivité en général et du macronisme en particulier

Le 20 janvier dernier, profitant du passage à Davos de l’élite économique mondiale, Emmanuel Macron a reçu avec faste 200 grands patrons au château de Versailles afin officiellement de valoriser le label « Choose France » qui vise à inciter les entreprises du monde entier à investir et à créer des emplois sur notre territoire. Ces 200 patrons, c’est 50 de plus que l’année dernière, lorsque l’opération fut lancée pour la première fois. Au menu de cette entreprise de charme, une mise en avant des réformes et des incitations fiscales qui se sont multipliées ces dernières années au bénéfice des entreprises, et en particulier des multinationales. Continuer la lecture

La science économique face à la crise agricole

Le monde agricole a connu de très nombreuses transformations. La politique agricole, française puis européenne, initiée dans les années d’après-guerre a permis la modernisation accélérée des campagnes. Qualifié de productiviste par les organisations écologiques et de protectionniste par les pays en voie de développement, le modèle agricole européen est remis en question dans les années 1980, puis progressivement démantelé à partir de la fin des années 1990. Continuer la lecture

Brexit : Une Union européenne impuissante

Dans un éditorial du 27 novembre 2018 rédigé à l’issue de l’accord conclu avec Theresa May, le journal Le Monde se félicitait que le Brexit ai été le « ciment » de l’unité européenne. « Face à Londres, les Vingt-Sept ont réussi à maintenir une quasi parfaite unité », écrivait le quotidien. Il était alors de bon ton de louer la cohérence et la solidité du camp européen, ainsi que l’habileté du négociateur en chef, le Français Michel Barnier. La France avait d’ailleurs pris le parti de jouer un rôle moteur dans le processus de négociation en tenant une ligne intransigeante. Emmanuel Macron espérait ainsi se confectionner une stature de leader européen à un moment où l’influence d’Angela Merkel, contestée sur le plan intérieur, semblait fléchir, et favoriser la place financière parisienne, persuadé qu’un Brexit sans concession allait pousser les entreprises de la City à s’exiler à Paris. Continuer la lecture

Brexit: « Ce deal est une victoire pour Boris Johnson »

Interview de Paul Sugy pour le Figarovox.

FIGAROVOX.- Le «deal» conclu entre Boris Johnson et Jean-Claude Juncker résout-il une bonne fois pour toutes la question de la frontière irlandaise?

David CAYLA.- Le dispositif du backstop, prévu par Theresa May et vivement critiqué par Boris Johnson, a été abandonné dans ce «deal» au profit d’un autre dispositif plus satisfaisant pour les Britanniques. Continuer la lecture

Coralie Delaume et David Cayla: « La privatisation d’Aéroports de Paris serait un scandale politique »

Interview parue dans Le Figarovox. Propos recueillis par Étienne Campion.

Dans cette pétition, vous dénoncez le caractère « scandaleux » de la privatisation d’ADP. En quoi ce projet serait-il un scandale ?

La privatisation est une aberration économique. On l’a vu dans le cas des privatisations autoroutières qui ont engendré des hausses de tarifs pour les usagers en laissant les concessionnaires exploiter des rentes de situation exorbitantes. Une situation dénoncée à juste titre par le mouvement des Gilets jaunes. Ce n’était vraiment pas le moment d’en rajouter ! Continuer la lecture