Dans un ouvrage remarquable publié en 2011 et traduit en français deux ans plus tard[1], l’anthropologue américain David Graeber entend montrer que les sociétés sont largement fondées sur des rapports de dette, c’est-à-dire sur des engagements qui lient les individus entre eux et structurent leurs relations. Toute relation interpersonnelle approfondie implique des promesses qu’on se fait les uns aux autres. On doit la vie à ses parents, assistance à son conjoint et soutien à ses amis. Ces engagements mutuels se retrouvent partout où coexistent des êtres humains. Ils peuvent néanmoins prendre des formes variées. Par exemple, chez les femmes Tiv du Nigéria, les relations sociales sont sans cesse entretenues par des cadeaux qui nécessitent d’être rendus mais qui ne le sont jamais pour une valeur équivalente, ceci afin de préserver les dettes et de perpétuer les échanges et les rapports de bon voisinage. Car payer sa dette, c’est « être quitte », rompre toute promesse, et n’avoir plus besoin de l’autre[2].
Continuer la lectureArchives de catégorie : Analyse économique
La double crise européenne
Tribune publiée dans Les Echos, le 22/2/2017
Alors qu’elle s’apprête à célébrer les soixante ans du traité de Rome, l’Union européenne est confrontée à une crise existentielle dont on ne perçoit toujours pas l’issue.
Par David Cayla et Coralie Delaume
L’Europe se meurt. Le traité de Rome dont nous fêtons le 60ème anniversaire a engagé le continent dans un processus politique historique qui visait à la fois à rapprocher les peuples et à leur garantir une prospérité commune.
Mais aujourd’hui, les constats sont lugubres. Comme le rappelle très bien Joseph Stiglitz dans son dernier livre, l’euro est un échec. Non seulement ils n’a pas su protéger l’Europe des effets de la crise des surprimes, mais la récession a été plus forte de ce côté-ci de l’Atlantique qu’aux États-Unis. La crise grecque n’est toujours pas résolue malgré la reddition de son Premier ministre Alexis Tsipras et une application strictes des mesures prévues par les autorités européennes. De son côté, la Commission essaie de défendre de timides avancées sur la directive détachement ou pour lutter contre les paradis fiscaux, mais elle se heurte à l’hostilité des pays concernés. La crise migratoire de 2015 a d’ailleurs démontré le peu de solidarité qui existe aujourd’hui au sein de l’Union. Ainsi, malgré le vote britannique sur le Brexit, l’Europe fait du sur place, incapable de se réformer. La seule chose que parvient à faire la Commission est de préserver un fragile équilibre en refusant à la fois de sanctionner les faramineux excédents allemands et les déficits espagnols et portugais.
La croissance revient ? Oui mais le gouvernement et Hollande n’y sont pour rien !
Enfin, la situation économique s’améliore ! L’Insee estime la croissance à 0,5% pour le premier trimestre et Pôle emploi annonce une forte baisse des demandeurs d’emploi de la catégorie A. Il n’en a pas fallu plus pour que Michel Sapin pavoise : « notre action porte ses fruits » a-t-il déclaré le 29 avril. Il faut avoir un certain aplomb et assez peu de considération pour les faits pour affirmer une telle chose. Car si croissance il y a (elle est incontestable), et si le chômage n’augmente plus, cela n’a pas grand-chose à voir avec l’action du gouvernement.
Continuer la lectureZone euro: le trou noir de l’économie mondiale
Malgré la baisse du prix du pétrole et une politique monétaire très accommodante, l’année 2015 n’a pas rempli ses promesses en matière de croissance et d’emploi pour les pays de la zone euro. La faute en incombe à une politique économique aberrante qui pourrait à terme menacer l’économie mondiale dans son ensemble.
La croissance annoncée pour 2015 aura finalement fait « pschitt ! ». Malgré « l’alignement des planètes », c’est-à-dire la combinaison de facteurs extérieurs extrêmement favorables (taux d’intérêt très faibles, baisse du cours du pétrole, euro très bas sur le marché des changes), la croissance de la zone euro devrait finalement s’établir à 1,6% d’après l’INSEE (1,1% pour la France). Un chiffre qui reste loin de celui prévu par la Banque mondiale pour les États-Unis (2,7%) ou le Royaume-Uni (2,6%). Continuer la lecture
Préface de Quand l’austérité tue (2014) – Éditions Autrement
Qu’est-ce qu’une économie prospère ? Comment évaluer le succès d’une politique économique ? C’est d’après leur capacité à répondre à ces questions simples que devrait être jugé le talent des économistes. Mais comme souvent en sciences sociales, et c’est heureux, l’analyse du succès ou de l’échec d’une mesure donne souvent lieu à des polémiques et à des interprétations divergentes. Ainsi certains projets pourtant utiles à la majorité doivent régulièrement affronter, pour s’imposer, l’opposition d’une catégorie qui peut être puissante et influente. Quant à la prospérité, elle est rarement générale et également distribuée. Une économie peut être qualifiée de prospère malgré la misère qui ronge une grande partie de sa population et inversement, la pauvreté d’un pays n’empêche pas l’existence d’une classe d’hyper-riches.
Continuer la lecture