Chaud devant ! Le réchauffement climatique augmente les taux de mutation et de sélection de populations sauvages d’amidonnier

Le réchauffement climatique représente un défi majeur pour les populations naturelles de plantes. Les modèles théoriques de génétique des populations prédisent que les populations végétales répondront par une sélection positive sur des mutations pré-existantes initialement en fréquence faible avant que l’accumulation de mutations délétères n’entraîne l’extinction de la population. Ces prédictions théoriques n’ont que très rarement eu l’occasion d’être vérifiées.

Amidonnier sauvage (Triticum dicoccoides)

Amidonnier sauvage (Triticum dicoccoides) (Source : Roger Culos, Wikipedia, publié sous licence CC BY-SA 3.0)

Le collectif Israélo-Canadien formé de Yong-Bi Fu et de ses collaborateurs a cherché à comprendre les mécanismes génétiques de réponse au réchauffement climatique chez des populations sauvages. Ce travail est décrit dans un article en Open Access publié dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America (PNAS) en septembre 2019. Dix populations d’amidonnier sauvage (Triticum dicoccoides Koern.), une forme de blé primitif, ont été échantillonnées en Israël, à la fois en 1980 puis 28 ans plus tard, en 2008, période sur laquelle les températures ont augmenté et les précipitations ont diminué en Israël. L’exome, c’est-à-dire les parties du génome codant pour des protéines, a été comparé entre ces populations. Les changements ont été étudiés en terme de mutation, sélection, diversité et différentiation entre populations.

Par rapport au premier échantillonnage en 1980, les populations de 2008 dans leur ensemble subissaient davantage de sélection, leur diversité génétique avaient diminué et elles portaient un fardeau génétique accru. Ce fardeau génétique représente la proportion de mutations non synonymes, c’est-à-dire qui changent la séquence en acides aminés, souvent de manière délétère. Toutefois, les résultats variaient selon les populations étudiées et certaines avaient même réussi à sélectionner des mutations bénéfiques, déjà présentes en fréquence faible en 1980 ou survenues après. La comparaison de populations poussant dans des conditions environnementales contrastées aussi bien que la fonction des gènes ayant le plus divergé au cours de la période d’étude indiquent que, sur les populations étudiées, l’augmentation de la température aurait eu un impact plus important que la baisse des précipitations.

Effet du réchauffement climatique sur les mutations

Effet du réchauffement climatique sur les mutations des populations d’amidonnier sauvage. Sur ce schéma, les populations ont été regroupées en six groupes selon la quantité de précipitations annuelle de la zone d’échantillonnage (gauche) ou de sa température moyenne annuelle (droite). Les populations des zones les plus sèches et celles des zones les plus chaudes sont celles qui avaient accumulé le plus de mutations délétères (A; fardeau génétique) et le moins de mutations avantageuses (B), qui leur auraient permis de s’adapter.

Si cette étude donne des indications sur le potentiel adaptatif des populations étudiées à résister au réchauffement climatiques en cours ou au contraire leur vulnérabilité, elle apporte surtout et plus généralement des espoirs quant à de futurs travaux de modélisation plus réalistes pour comprendre les facteurs d’adaptabilité ou de vulnérabilité des populations naturelles au changement climatique. De tels modèles pourraient être utilisés comme outils d’aide à la décision pour la prise de mesures de préservation des populations naturelles.

Ces populations naturelles ne sont pas que des « mauvaises herbes ». Ainsi, du fait de sa proximité avec le blé, l’amidonnier sauvage représente une ressource potentiellement utile pour l’amélioration génétique du blé concernant les stress abiotiques (tolérance à la sécheresse, chaleur, etc.) ou biotiques (tolérance aux pathogènes et ravageurs). Toutefois, ces ressources sont mises en péril par les activités humaines directes comme l’urbanisation et l’agriculture ou indirectes comme le réchauffement climatique.

Références de l’article :

Yong-Bi Fu, Gregory W. Peterson, Carolee Horbach, David J. Konkin, Avigdor Beiles, and Eviatar Nevo (2019) Elevated mutation and selection in wild emmer wheat in response to 28 years of global warming. PNAS. Publié en Advance Access le 19 septembre 2019

Voyage aux racines du canard fertile : comprendre la domestication de l’igname en Afrique subsaharienne

L’étude des centres de domestication permet de comprendre l’émergence des premières sociétés agricoles. Parmi les centres de domestication, le Croissant Fertile est le plus documenté alors que l’histoire de la domestication des plantes est plus incertaine en Afrique sub-saharienne. Une répartition étendue de la domestication allant du Sénégal à la Somalie a tout d’abord été proposée. Mais de récents travaux sur les centres de domestication du mil (Cenchrus americanus) domestiqué dans le nord du Mali et en Mauritanie, et le riz africain (Oryza glaberrima) domestiqué au Mali, semblent plutôt témoigner d’un centre de domestication plus restreint, dans le bassin de la rivière Niger.

L’article de Nora Scarcelli et ses collaborateurs, au sein d’un collectif de Français, Nigérians, Béninois et Camerounais paru le 1er mai 2019 dans la revue Science Advances tente de tester cette hypothèse de domestication localisée, sur une troisième espèce emblématique de l’Afrique sub-saharienne et gage de sécurité alimentaire dans la région : l’igname (Dioscorea rotundata), dont on consomme le tubercule. Cette espèce, principalement cultivée dans la « ceinture de l’igname » (Côte d’Ivoire, Ghana, Togo, Bénin, Nigéria, Cameroun) possède deux espèces sauvages apparentées : D. abyssinica qui pousse dans la savane et D. praehensilis qui pousse dans la forêt.

Tubercules de l'igname cultivé Dioscorea rotundata (A), de l'igname sauvage de la savane D. abyssinica (B) et de l'igname sauvage de la forêt D. praehensilis (C)

Tubercules de l’igname cultivé Dioscorea rotundata (A), de l’igname sauvage de la savane D. abyssinica (B) et de l’igname sauvage de la forêt D. praehensilis (C)

Le génome entier de 86 ignames cultivés et de 34 et 47 ignames sauvages des deux espèces respectivement citées ci-dessus a été reséquencé dans le but de préciser le parent sauvage direct et le lieu de domestication. L’analyse en composantes principales (ACP) réalisée sur les Single Nucleotide Polymorphism (SNP) ou substitutions nucléotidiques montre une structure des populations en 4 groupes correspondant à une subdivision selon les trois espèces et une subdivision supplémentaire de l’espèce D. praehensilis en deux groupes selon l’origine géographique des accessions : Cameroun ou un origine plus à l’ouest.

Structure des populations des ignames.

Structure des populations des trois espèces d’igname. A. Analyse en composantes principales (ACP) réalisée à partir des SNPs des accessions d’igname. L’ACP vise à représenter de la façon la plus discriminante, sur un seul plan, la variabilité génétique de l’échantillon. Chaque accession est représentée par un point. Deux points proches représentent généralement des accessions proches génétiquement. B. Pourcentage d’assignation (en ordonnée) de chacune des accessions (en abscisse) à l’un des quatre groupes génétiques définies a posteriori sur la base des marqueurs SNPs. C. Représentation géographique du pourcentage d’assignation chez les ignames sauvages. Rouge : D. rotundata; Vert : D. abyssinica; Bleu clair : groupe camerounais de D. praehensilis; Bleu foncé : groupe ouest de D. praehensilis.

Cette connaissance de la structure des populations a servi de base à la modélisation de l’histoire démographique de la domestication de l’igname. Après avoir testé différents modèles de relations entre les quatre groupes génétiques et leur adéquation avec les données génomiques observées, le modèle le plus vraisemblable appuie le scénario suivant : D. abyssinica aurait divergé en premier, suivi du groupe camerounais de D. praehensilis. L’igname cultivé aurait donc été domestiqué depuis le groupe Ouest de D. praehensilis, probablement dans une région comprise entre l’est du Ghana et l’ouest du Nigéria en longitude et depuis le Golfe de Guinée au sud du Niger en latitude. Le modèle permet aussi de prédire que l’igname cultivé a connu une large augmentation de sa taille efficace, il y a 2000 générations environ, qui correspondrait à l’élargissement de la zone de culture post-domestication, et une forte diminution de la taille efficace il y a environ 400 générations, qui pourrait correspondre à l’introduction par les Européens d’espèces non-africaines (maïs, manioc) qui sont rentrées en concurrence avec l’igname.

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Modélisation de la domestication de l’igname. A. Modèle démographique montrant les événements de divergence entre les quatre groupes génétiques. B. Origine géographique supposée de la domestication de l’igname représentée en fonction de la distribution a posteriori de la latitude et de la longitude après un modèle de type approximate Bayesian spatial. C. Changements de taille efficace de la population d’igname cultivé au cours des dernières 400 000 générations.

La recherche de régions génomiques peu diverses chez l’igname cultivé comparativement à son apparenté sauvage et/ou fortement différenciées (fort FST) entre ces deux groupes a permis d’identifier des signatures de sélection (patrons de polymorphisme témoignant d’événements de sélection passée). Parmi les gènes montrant des signatures de sélection, des gènes impliqués dans la régulation du stress pourraient avoir été sélectionnés au cours de la domestication lors du changement d’un habitat de type forestier vers des milieux agraires ouverts. Caractère majeur du syndrome de domestication chez l’igname, la transformation pendant la domestication d’une racine fibreuse à une racine tubérisée large et riche en amidon est en accord avec la mise en évidence de sélection de gènes de développement de la racine et de synthèse de l’amidon.

Cet article montre ainsi que, comme le Croissant Fertile au Proche-Orient, l’Afrique subsaharienne a connu un centre de domestication localisé dans le bassin de la rivière Niger où le mil, le riz africain et l’igname auraient été domestiqués. Si la forme du centre de domestication au Proche-Orient évoque un “croissant”, le centre de domestication identifié en Afrique subsaharienne évoque aux auteurs de l’article l’image d’un “canard”, non sans une touche d’humour. L’avenir dira si le concept du Canard Fertile trouvera sa place dans les concepts de base de la domestication.

Référence de l’article :

Nora Scarcelli, Philippe Cubry, Roland Akakpo, Anne-Céline Thuillet, Jude Obidiegwu, Mohamed N. Baco, Emmanuel Otoo, Bonaventure Sonké, Alexandre Dansi, Gustave Djedatin, Cédric Mariac, Marie Couderc, Sandrine Causse, Karine Alix, Hâna Chaïr, Olivier François, Yves Vigouroux (2019) Yam genomics supports West Africa as a major cradle of crop domestication. Science Advances. 5: eaaw1947 . Publié le 1er mai 2019.

Ils n’ont pourtant pas lu Stendhal ! Sélection équilibrante pour le maintien d’un polymorphisme de couleur chez le Diamant de Gould

Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer le cas d’une sélection équilibrante par avantage aux hétérozygotes, promouvant le maintien d’un polymorphisme de couleur, probablement assez récent, chez certaines populations alpines d’une plante, la Nigritelle noire. Il peut arriver que le maintien du polymorphisme de couleur se fasse sur une très longue période, déjouant les règles générales de l’évolution des caractères : fixation du phénotype avantageux par sélection positive ou fixation de l’un ou l’autre des phénotypes par dérive si la différence de valeur sélective entre les phénotypes est minime.

Le Diamant de Gould (Erythrura gouldiae) présente deux morphotypes vivant en sympatrie. Ces morphotypes diffèrent pour la couleur de la tête, contrôlée par un locus nommé Red porté par le chromosome Z (chez les oiseaux, les femelles portent les chromosomes sexuels ZW alors que les mâles portent les chromosomes sexuels ZZ). On distingue ainsi un allèle récessif Zr et un allèle dominant ZR. Les mâles Zr/Zr et les femelles Zr produisent de la mélanine chez le morphotype noir, tandis que les mâles ZR/ZR ou ZR/Zr et les femelles ZR produisent des caroténoïdes chez le morphotype rouge.

Morphotypes rouge et noir de Diamant de Gould, en captivité. Crédit image : Eugen Bonner, licence Pixabay

Morphotypes rouge et noir de Diamant de Gould (Erythrura gouldiae), en captivité. Crédit image : Eugen Bonner, licence Pixabay

Dans une publication parue fin avril 2019 dans Nature Communications, le consortium d’Américains, Britanniques et Australiens constitué par Kang-Wook Kim, Benjamin C. Jackson et leurs collaborateurs a précisé par génétique d’association la position du locus Red dans une région intergénique du chromosome Z. Ce locus agirait comme une région régulatrice d’un gène à effet pléiotrope localisé à proximité, le gène follistatin (FST), puisque les morphotypes diffèrent aussi pour des niveaux d’hormones de stress, de personnalité, de dominance sociale, … et notamment la structure des plumes dont le lien avec FST est bien connu.

La diversité présente autour du locus Red a été caractérisée. Sur une région d’environ 70 kpb autour de Red, et par comparaison à d’autres régions du chromosome Z, les auteurs ont identifié des patrons de polymorphisme suggérant une sélection équilibrante au locus Red : un fort déséquilibre de liaison, une forte diversité et un fort niveau différentiation entre les allèles ZR et Zr. Ainsi, l’indice de fixation de Wright FST est très élevé à Red (0,951) alors qu’il est faible (en moyenne de 0,038) sur les autres régions du chromosome Z, suggérant qu’en dehors de ce locus, les morphotypes ne sont pas en cours d’isolement génétique, contrairement à ce que le laissait suggérer les incompatibilités pré- et post-zygotiques entre morphotypes, observées sur des populations en captivité.

L’étude d’un arbre de gène montre que malgré la très forte divergence entre les allèles ZR et Zr, les allèles des morpotypes rouge et noir forment un groupe monophylétique. Cela suggère que ces deux allèles ont divergé depuis l’apparition de l’espèce Diamant de Gould et ne représentent pas un polymorphisme trans-spécifique (présence d’allèles dont l’origine remonte avant l’événement de spéciation).

Arbre de gène du locus Red. a) Illustrations des espèces du genre Erythrura, notamment à droite les morphotypes noir et rouge du Diamant de Gould (E. gouldiae). b) Arbre de maximum de vraisemblance obtenu au locus Red pour la famille des Estrildidae. La longueur des branches est proportionnelle à la divergence entre les séquences étudiées. On notera que la divergence entre les séquences portées par les deux morphotypes rouge et noir du Diamant de Gould est plus importante que la divergence entre les séquences des autres espèces du genre Erythrura.

Arbre de gène du locus Red. a) Illustrations des espèces du genre Erythrura, notamment à droite les morphotypes noir et rouge du Diamant de Gould (E. gouldiae). b) Arbre de maximum de vraisemblance obtenu au locus Red pour la famille des Estrildidae. La longueur des branches est proportionnelle à la divergence entre les séquences étudiées. On notera que la divergence entre les séquences portées par les deux morphotypes rouge et noir du Diamant de Gould est plus importante que la divergence entre les séquences des autres espèces du genre Erythrura.

Il est possible que les deux allèles aient pu dans un premier temps évoluer indépendamment dans un contexte d’allopatrie ancienne suivi d’un contact secondaire. Parmi les mécanismes expliquant le maintien de ce polymorphisme par sélection équilibrante, les auteurs proposent la sélection fréquence-dépendante. On peut penser que les mâles rouges devraient être avantagés car il a été montré qu’ils sont préférés par les femelles des deux morphotypes et ils bénéficient d’un statut de domination dans la structure sociale. Toutefois, ils sont aussi victimes de forts niveaux de stress et auraient un succès reproducteur moindre par rapport aux mâles noirs lorsque les agressifs mâles rouges deviennent trop nombreux. Il est aussi possible qu’un antagonisme sexuel intervienne : si les mâles rouges seraient sélectionnés, les femelles rouges seraient contre-sélectionnées, comme le suggère le fait que l’intensité de couleur soit très réduite chez les femelles rouges dans la nature.

Références de l’article :

Kang-Wook Kim, Benjamin C. Jackson, Hanyuan Zhang, David P. L. Toews, Scott A. Taylor, Emma I. Greig, Irby J. Lovette, Mengning M. Liu, Angus Davison, Simon C. Griffith, Kai Zeng, Terry Burke (2019) Genetics and evidence for balancing selection of a sex-linked colour polymorphism in a songbird. Nature Communications. 10:1852. Publié le 23 avril 2019.

Pourquoi les X-men végétaux ne dominent pas le monde : contrôle du taux de mutations chez les cellules d’une même plante

Chez les espèces à multiplication sexuée, seules les mutations touchant les cellules germinales sont transmissibles à la descendance. Selon un modèle sélectionniste, ce postulat doit conduire à observer des taux de mutations variables selon les lignées cellulaires. Ainsi, chez les animaux, les cellules germinales, dont la lignée apparaît tôt au cours du développement, montrent un taux de mutation plus réduit que les cellules somatiques. Le taux de mutation est aussi inversement proportionnel à la longévité des lignées de cellules somatiques : les lignées de cellules somatiques des animaux à faible longévité montrent ainsi un taux de mutation plus élevé que celles des animaux à forte longévité.

L’article de Wang et al. 2019 paru dans la revue PLoS Biology tente d’explorer la généralisation de ces conclusions aux végétaux et d’en identifier les spécificités. Pour ce faire, 754 génomes ont été séquencés, correspondant à différents tissus étudiés chez huit espèces de plantes : parmi les plantes pérennes, les pêchers cultivés (Prunus persica) et sauvage (Prunus mira), l’abricotier du Japon (Prunus mume), le fraisier des bois (Fragaria vesca) et une espèce de saule (Salix suchowensis), tandis que pour les plantes annuelles, du riz cultivé (Oryza sativa), la graminée Brachypodium distachyon et l’arabette des dames (Arabidopsis thaliana).

Un des principaux facteurs qui influencent le taux de mutation est la transmissibilité des mutations. Contrairement aux animaux, il y a encore beaucoup de débat pour savoir si les plantes disposent d’une lignée cellulaire germinale clairement et durablement indépendante des lignées somatiques, apparaissant tôt dans le développement. Toutefois, on peut faire la distinction entre les cellules des tiges et celles des racines, puisque seules les premières pourront contribuer à des lignées germinales, à travers la formation de bourgeons floraux. L’article montre ainsi que les tiges ont un taux de mutation plus faible que les racines chez les espèces pérennes. La différence n’est en revanche pas significative chez les plantes annuelles, pour lesquelles les mutations survenant sur les tiges ne disposent probablement pas des mêmes probabilités de transmission à la descendance. Chez les plantes annuelles, pour lesquelles les mutations pré-méiotiques (apparues dans des cellules somatiques des tiges) ont peu de chances d’être transmises, il n’y a pas possibilité d’accumulation de génération en génération et par conséquent il n’y a pas de nécessité sélective à réduire le taux de mutation dans les tiges chez les plantes annuelles.

Evénements de mutation détectés dans les tiges et les racines d'un pêcher.

Événements de mutation détectés dans les feuilles et les racines d’un pêcher. (A) Mutations somatiques des feuilles. Les mutations sont numérotées et entre parenthèses. La première présence ontogénétique d’une mutation est surlignée en jaune. Les éclairs symbolisent la présence de mutations survenues dans des branches internes. (B) Mutations somatiques des racine, représentées de la même façon. (C) Arbres ontogénétiques construit à partir de toutes les mutations identifiées dans les branches (vert) ou les racines (bleu). Comme pour un arbre phylogénétique, les longueurs de branche sont proportionnelles à la distance génétique. On voit ici nettement que les racines sont plus divergentes génétiquement entre elles que ne sont les feuilles.

Les auteurs ont identifié une exception à cette construction intellectuelle : les stolons de fraisiers. Les stolons sont des tiges rampantes à partir desquelles des bourgeons latéraux peuvent initier de nouvelles plantes ayant leurs propres racines. L’étude montre que ces stolons de fraisiers ont un taux de mutations anormalement élevé pour une tige de plante pérenne, selon la logique sélectionniste expliquée plus haut. Mais il semblerait que la probabilité qu’une mutation survenant dans le stolon soit transmise aux bourgeons latéraux et ainsi aux plantes filles, soit extrêmement faible. Ce résultat laisse suggérer que les lignées cellulaires des stolons et celles des bourgeons latéraux seraient ontogénétiquement indépendantes.

Les auteurs ont aussi essayé d’écarter l’hypothèse que les différences de nombre de mutations observées ne soient pas expliquées par des variations de taux de mutations, mais plutôt, à taux de mutations constant, par des variations de l’intensité de la sélection purifiante qui éliminerait les mutations les plus désavantageuses pour le devenir de la plante. Deux raisons ont mené à écarter cette hypothèse : (i) les mutations somatiques s’accumulent à un même taux quel que soit l’âge du tissu alors que la sélection purifiante, qui est un processus qui se passe sur le long terme, devrait être plus visible sur les tissus anciens, et (ii) il n’y a pas de démonstration que les mutations potentiellement plus délétères (ex : mutations non synonymes, c’est-à-dire qui modifient la séquence en acides aminés) soient moins conservées.

Les auteurs concluent donc que ce serait avant tout directement le taux de mutations qui serait sous sélection, et pas les mutations générées. Parmi les autres facteurs qui viennent appuyer ce mécanisme, on trouve la longévité des lignées cellulaires : ainsi des lignées cellulaires éphémères comme les pétales ont un taux de mutations plus élevé par comparaison à des lignées cellulaires plus durables comme les feuilles, probablement pour limiter les effets d’accumulation de mutations chez ces organes plus durables. Cependant, on doit garder en tête que des facteurs environnementaux peuvent aussi affecter ce taux de mutations. Un taux très élevé de mutations a ainsi été observé chez des plantes issues de culture in vitro, confirmant qu’un stress pouvait anormalement augmenter le taux de mutations dans les cellules.

Ce travail est une illustration du concept de métapopulation à l’intérieur d’une plante : le génome varie à l’intérieur d’une plante, du fait des mutations accumulées lors de son développement. Parmi les enjeux appliqués de ces travaux, on peut penser à la compréhension des mutants végétatifs ou sports, c’est-à-dire de branches de phénotype différent des autres branches d’un individu et qu’on peut potentiellement propager par la suite de manière végétative (bouturage, greffage). Elles ont joué un rôle important dans la création variétale de nombreuses espèces pérennes cultivées comme la vigne, le pommier ou le rosier.

Cultivar nain d'épinette blanche (Picea glauca var. albertiana 'Conica') dont une branche a réverté vers le phénotype initial. Source : Ragesoss, Wikimedia sous licence Creative Commons

Cultivar nain d’épinette blanche (Picea glauca var. albertiana ‘Conica’) dont une branche a réverté vers le phénotype initial.
Source : Ragesoss, Wikimedia sous licence Creative Commons

Références de l’article :

Long Wang, Yilun Ji, Yingwen Hu, Huaying Hu, Xianqin Jia, Mengmeng Jiang, Xiaohui Zhang, Lina Zhao, Yanchun Zhang, Yanxiao Jia, Chao Qin, Luyao Yu, Ju Huang, Sihai Yang, Laurence D. Hurst, Dacheng Tian (2019) The architecture of intra-organism mutation rate variation in plants. PLoS Biology. 17(4): e3000191. Publié le 9 avril 2019.

Entre les mouches et les abeilles, son coeur balance : un réel avantage aux hétérozygotes à un gène de couleur de la fleur chez une plante alpine

Les raisons du maintien du polymorphisme dans les populations sont parmi les plus débattues en génétique des populations. Parmi ces raisons, la superdominance, c’est-à-dire un avantage de valeur sélective (une combinaison de la survie et de la fertilité) pour les individus hétérozygotes à un locus unique, fait partie des bizarreries génétiques passionnantes, à l’impact minime sur l’évolution globale du génome, mais qui peut s’avérer important pour l’évolution de certains caractères phénotypiques. Il a en effet été documenté un rôle important de la superdominance dans les relations hôtes-parasites : par exemple la relation entre l’anémie et le risque d’infection par la malaria au niveau du gène de l’hémoglobine et les gènes HLA et la progression de la maladie chez les porteurs du VIH. Dans tous les cas étudiés, la superdominance s’explique plus par un désavantage (effet délétère) aux homozygotes que par un avantage réel aux hétérozygotes. C’est parce que les homozygotes HbAA sont plus susceptibles d’être infectés par la malaria, même s’ils ne sont pas anémiés, et parce que les homozygotes HbSS sont victimes de sérieuses anémies, même s’ils sont peu sensibles à la malaria, que les hetérozygotes HbAS sont avantagés dans les régions à forte prévalence de la malaria.

Une étude publiée début 2019 dans Nature Communications par Kellenberger et al., un consortium de chercheurs et chercheuses de Suisse, Autriche, Etats-Unis d’Amérique, Allemagne et Royaume-Uni, montre un cas réel d’avantage aux hétérozygotes chez la nigritelle noire (Gymnadenia rhellicani), une orchidée alpine.

Un morphotype noir de Nigritelle noire

Alors que le morphotype noir domine largement les populations de Nigritelle partout ailleurs, une population du plateau Puflatsch (nord de l’Italie) montre des proportions de morphotypes plus équilibrées : 62% de noirs, 28% de rouge et 10% de blanc. Un suivi de la population entre 1997 et 2016 indique que sur cette période la fréquence des morphotypes rouges et blancs a augmenté tandis que la fréquence du morphotype sauvage noir a diminué. Le morphotype rouge a montré un taux significativement plus élevé de graines produites, ce qui suggère que sa valeur sélective (fitness) serait plus importante. Chez cette espèce à fécondation croisée productrice de nectar, ce résultat s’explique par les préférences des insectes quant aux fleurs visitées : alors que les abeilles vont davantage visiter des fleurs sombres que des fleurs claires, les préférences sont inversées chez l’autre pollinisateur majeur de cette plante, les mouches. Le morphotype rouge semble être le seul qui soit à la fois populaire chez les abeilles et les mouches.

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a. Morphotypes noir, rouge et blanc.
b. Evolution de la proportion des morphotypes de la population de Puflatsch entre 1997 et 2016.
c. Valeur sélective (fitness) des trois morphotypes.
d. Relation entre la valeur sélective et la pollinisation : les plantes en cage, non pollinisée par les insectes, ont une valeur sélective quasi-nulle, contrairement aux plantes librement visitées par les insectes.
e. Nombre de visites par les mouches et les abeilles, selon le morphotype

 

Les différents morphotypes seraient expliqués par une mutation au niveau d’un facteur de transcription de type MYB qui régulerait l’expression du gène codant l’anthocyanidine synthase (ANS), l’enzyme produisant des cyanidines, principal pigment des morphotypes colorés. Les plantes de morphotype noir étaient toutes homozygotes pour l’allèle sauvage, tandis que les plantes de morphotype blanc ne portaient jamais cet allèle et que les plantes de morphotype rouge étaient hétérozygotes pour l’allèle sauvage. Des mutations différentes mais sur le même gène MYB ont aussi été observées dans une autre population de cette espèce, au Monte Bondone, à 75 km de la population initiale. Ces mutations indépendantes, observées pour des individus rouges ou blancs, suggèrent une évolution parallèle des morphotypes clairs chez au moins deux populations différentes.

Cette étude chez la nigritelle noire représente une première mise en évidence claire d’un réel cas d’avantage aux hétérozygotes, plutôt qu’une sélection indirecte des hétérozygotes par le biais d’effets délétères observés chez les génotypes homozygotes. Elle vient donc confirmer les travaux de Theodosius Dobzhansky qui avait introduit dans les années 1950 le concept de superdominance et montre que ce concept pourrait permettre d’expliquer certains cas de maintien de polymorphisme dans la nature.

Références de l’article :

Roman T. Kellenberger, Kelsey J. R. P. Byers, Rita M. De Brito Francisco, Yannick M. Staedler, Amy M. LaFountain, Jürg Schönenberger, Florian P. Schiestl, Philipp M. Schlüter (2019) Emergence of a floral colour polymorphism by pollinator-mediated overdominance. Nature Communications. 10: 63. Publié le 8 janvier 2019.

Des sangliers un peu cochons : hybridations entre cochons et sangliers en Europe

Hybride mâle entre un cochon et un sanglier (source Miguel Tremblay, Wikipedia, CC0 1.0)

Hybride mâle entre un cochon et un sanglier (crédit : Miguel Tremblay, Wikipedia, CC0 1.0)

Avec environ quatre millions d’individus, le sanglier (Sus scrofa) est le deuxième ongulé le plus fréquent en Europe. Son histoire est intimement liée à celle de son apparenté domestiqué, le cochon (Sus scrofa domesticus). De nombreux flux de gènes entre cochons et sangliers se sont déroulés depuis la domestication, à la fois en Asie et en Europe. Une étude récente par Laura Iacolina et ses collaborateurs a récemment été publiée dans le journal Scientific Reports pour tenter de mieux documenter ces cas récents d’hybridations entre cochons et sangliers en Europe.

C’est ainsi un large échantillon de 292 sangliers d’Europe et 16 sangliers du Proche Orient ainsi que 44 races commerciales et 255 races locales de cochons qui ont été caractérisés pour 47 148 marqueurs moléculaires de type Single Nucleotide Polymorphisms.

Au total, 11,4% des sangliers étudiés montraient des traces génétiques d’hybridations avec le cochon, avec des disparités importantes selon les pays, entre 0% (péninsule ibérique, Italie, Europe orientale) et 89% (Autriche). Ces flux de gènes ont été facilités par le fait que les élevages de cochons enclos ne se sont généralisés qu’à partir des XVIIe et XVIIIe siècles tout d’abord en Angleterre. Aujourd’hui, les flux de gènes sont néanmoins encore possibles mais montrent une disparité en fonction des systèmes d’élevage. Dans le Nord-Ouest de l’Europe, ces flux de gènes dépendraient largement de sangliers mis en élevage, relâchés ou échappés, sachant que les sangliers en élevage sont généralement des hybrides, à croissance plus rapide que les sangliers purs. Dans d’autres régions d’Europe, comme la Sardaigne ou la Roumanie, ce sont plutôt les élevages de cochons en liberté ou semi-liberté qui expliquent ces flux de gènes.

Les conséquences évolutives de ces introgressions du cochon cultivé dans le génome du sanglier sont encore à préciser. Elles devraient théoriquement conduire à une mal-adaptation et devraient être contre-sélectionnées. Toutefois, certains caractères cultivés pourraient s’avérer avantageux dans un environnement naturel, par exemple un taux de reproduction élevé. Il est d’autant plus important de tester cette hypothèse que les populations de sangliers sont en recrudescence, représentant un péril économique pour l’agriculture ou écologique pour les autres espèces sauvages. Du côté du sanglier, ces phénomènes d’introgression représentent aussi un risque de transmission de maladies cloisonnées jusqu’à présent aux cochons domestiques mais qui pourraient d’autant plus facilement s’étendre aux sangliers que ceux-ci deviennent de plus en plus cochons !

Références de l’article :

Iacolina, Pertoldi, Amills, Kusza, Megens, Bâlteanu, Bakan, Cubric-Curic, Oja, Saarma, Scandura, Šprem, Stronen (2018) Hotspots of recent hybridization between pigs and wild boars in Europe. Scientific Reports. 8: 17 372. Publié le 26 novembre 2018.

Les couleurs

Structure des populations entre cochons domestiques (DP) et sangliers (WB). L’abscisse correspond aux individus étudiés classés en fonction de leur caractéristique domestique/sauvage et de leur origine géographique. L’ordonnée correspond à la part du génome qui proviendrait des deux populations ancestrales. Les populations ancestrales correspondent à une population théorique pure de sangliers (représentée en rouge) ou de cochons domestiques (représentée en bleu). Ainsi, les individus “purs” sont attribués à 100% à l’une ou l’autre de ces populations. Les individus hybrides entre ces populations ancestrales possèdent une portion du génome attribuée à la population ancestrale “sanglier” et une portion attribuée à la population ancestrale “cochon”. Bal : Balkans, Car : Carpates, CE : Europe Centre-Est, CN : Europe Centre-Nord, Com : Commercial, CW : Europe Centre-Ouest, Ibe : péninsule ibérique, Ita : Italie, CNE : Europe Centre-Nord-Est, NE : Proche-Orient, Sar : Sardaigne