L’ab-surdité d’un débat séculaire : l’absence de « danger » des unions entre sourds sera-t-elle entendue ?

La limitation de la reproduction entre les individus jugés inaptes est l’un des fondements de l’eugénisme. Ainsi, l’inventeur du téléphone Alexander Graham Bell, qui fut aussi éducateur dans des écoles pour personnes sourdes et marié à une femme sourde, expose ses craintes en 1883 dans une publication intitulée ‘Memoir Upon the Formation of a Deaf Variety of the Human Race’. Il y explique que les mariages très fréquents entre personnes sourdes, encouragés à la fois par le déficit de communication entre personnes entendantes et personnes sourdes et par le développement de structures éducatives dédiées aux sourds, risquait à terme de créer une sous-population humaine sourde. A la demande de Bell, une étude est menée dans les années 1880 par Edward Allen Fay sur 4 471 pedigrees de sourds étudiant au Gallauget College (une Université dédiée aux sourds et malentendants, à Washington DC) ou inscrits dans des écoles de sourds des Etats-Unis. Les conclusions de cette étude démentent les craintes de Bell : les mariages entre sourds n’augmentent presque pas la probabilité de naissance d’un enfant sourd.

Le comédien et metteur en scène Levent Beskardes signant le mot "poème" pour la série Les Mots du silence, de la photographe Jennifer Lescouët (Jennifer Lescouët, CC-BY-SA 4.0).

Le comédien et metteur en scène Levent Beskardes signant le mot “poème” pour la série Les Mots du silence, de la photographe Jennifer Lescouët (Jennifer Lescouët, CC-BY-SA 4.0).

Le déterminisme génétique de la surdité, inconnu au XIXe siècle, est aujourd’hui mieux documenté. La surdité congénitale est causée dans un quart des cas par des allèles déficients récessifs du gène de la connexine 26 (GJB2), mais ce sont des mutations sur plus de 140 gènes qui ont été rapportées. Ainsi, des parents sourds peuvent être homozygotes pour des allèles déficients mais à des gènes différents ; leurs enfants, parfaitement entendants, bénéficieront d’un effet de complémentation en récupérant un allèle fonctionnel pour chacun des gènes défectueux chez leurs parents. Une autre cause de naissance d’enfants entendants issus d’un couple de sourds est que la surdité de certains parents n’a pas toujours une origine génétique, mais parfois une cause environnementale, comme par exemple des infections.

Le fait qu’une personne sourde soit plus susceptible de fonder une famille avec une autre personne sourde est considéré comme une forme d’homogamie linguistique. En biologie, l’homogamie est définie comme un choix de partenaire de reproduction en direction des individus présentant des similitudes phénotypiques avec soi. Au début du XXe siècle, les travaux des biostatisticiens Ronald Fisher et Sewall Wright sur les attendus théoriques de l’homogamie en génétique des populations sont éclairants sur ce sujet. Dans le cas théorique d’un gène unique à transmission récessive contrôlant la maladie, des parents atteints donneront systématiquement des enfants atteints. Ce modèle théorique prédit que la proportion d’homozygotes augmenterait dans la population et par conséquent le taux de personnes sourdes. Toutefois, la fréquence de l’allèle récessif déficient resterait constante.

Néanmoins des études récentes, réalisées sur la population américaine contemporaine, suggèrent que les unions entre personnes sourdes ont entrainé l’augmentation de la prévalence de la surdité dans la population, mais aussi de la fréquence des allèles responsables. De tels résultats peuvent avoir des impacts négatifs sur le financement de structures éducatives accusées de renforcer l’endogamie dans la communauté des sourds. Derek C. Braun et ses collaborateurs américains de la Gallaudet University ont cherché à tester ces conclusions par des simulations bioinformatiques incluant des paramètres choisis au regard de la littérature disponible sur ce handicap. Leur démarche et leurs résultats ont été publiés dans la revue PLoS ONE en novembre 2020.

C’est ainsi l’évolution d’une population de 200 000 individus qui a été simulée sur 20 générations, soit environ 400 ans, c’est-à-dire l’âge approximatif de la langue des signes d’après l’article. La fréquence initiale de l’allèle récessif de la surdité a été fixée à 1,304%, c’est-à-dire la fréquence de l’allèle c.35delG du gène GJB2, majoritaire chez les Américains blancs et les Européens. Une proportion de 0,8‰ des individus sains ont été rendus sourds, ce qui correspond à la proportion des cas de surdité causés par d’autres gènes, par des causes épigénétiques ou par des troubles d’origine périnatale. Quelle que soit la cause de leur surdité, les personnes sourdes ont été accouplées, avec un taux d’homogamie linguistique variable, sachant que dans la population contemporaine réelle, ce taux d’homogamie est estimé à 90%.

Effet de l’homogamie sur (a) la prévalence de la surdité et (b) la fréquence de l’allèle récessif à l’origine de la surdité au cours de 20 générations. Les droites représentent des statistiques descriptives de la dispersion des valeurs selon les simulations avec de haut en bas : le 98e percentile, le 3e quartile, la médiane, le 1er quartile et le 2e percentile. Cette dispersion est aussi visible sous forme d’un diagramme en violon, sur la droite. Ces simulations ont été réalisées avec une valeur sélective relative pour les sourds de 1.

Effet de l’homogamie sur (a) la prévalence de la surdité et (b) la fréquence de l’allèle récessif à l’origine de la surdité, au cours de 20 générations. Les courbes représentent des statistiques descriptives de la dispersion des valeurs selon les simulations avec de haut en bas : le 98e percentile, le 3e quartile, la médiane, le 1er quartile et le 2e percentile. Cette dispersion est aussi visible sous forme d’un diagramme en violon, sur la droite. Ces simulations ont été réalisées avec une valeur sélective relative pour les sourds de 1.

Après simulation des 20 générations, la fréquence des sourds est passée à 0,022% avec un taux d’homogamie de 90% contre 0,017% sans homogamie, soit une augmentation significative de 23% imputable à l’homogamie. Les simulations montrent que c’est au cours des trois premières générations d’homogamie que cette variation s’opère puis les variations sont marginales sur les générations suivantes. Au contraire, la fréquence de l’allèle récessif n’a pas varié significativement : 1,306% avec homogamie contre 1 ,304% sans homogamie. Ces simulations informatiques sont donc en accord avec les prédictions théoriques basées sur des équations mathématiques.

L’étude va plus loin en simulant l’impact synergique de l’homogamie et d’une hausse de la valeur sélective relative des individus sourds, c’est-à-dire de leur capacité à survivre et à se reproduire comparativement aux individus normaux. En supposant notamment une valeur sélective relative des sourds de 1,5, c’est-à-dire une augmentation de 50% par rapport à celle des personnes entendantes, voire plus, on observerait une augmentation significative de la fréquence de l’allèle récessif déficient dans la population. Mais cette valeur relative est loin d’être en phase avec la réalité puisque la fertilité relative des personnes sourdes est généralement faible, comprise entre 0,31 et 0,91 selon les études, c’est-à-dire toujours une fertilité plus faible que celle des personnes entendantes.

Avec cette fertilité réduite, comment expliquer que certains allèles récessifs déficients aient quand même été mesurés entre 1% et 4,4% dans les populations humaines ? Une des hypothèses avancées est celle d’une sélection équilibrante pour ces allèles. La fréquence allélique actuelle serait le résultat d’un équilibre entre l’effet négatif lié à la fécondité réduite observée chez les personnes sourdes et un effet positif que pourraient apporter ces allèles. Il a notamment été montré que le gène GJB2 est requis pour l’infection de Shigella flexneri, agent bactérien de la shigellose, une forme de dysenterie. Pour vérifier si les allèles déficients des sourds entraînent réellement une résistance à la dysenterie et si cette résistance s’exprime à l’état hétérozygote autant qu’à l’état homozygote, il faudra prêter l’oreille aux futurs travaux scientifiques.

Références de l’article

Derek C. Braun, Samir Jain, Eric Epstein, Brian H Greenwald, Brienna Herold, Margaret Gray (2020) Deaf intermarriage has limited effect on the prevalence of recessive deafness and no effect on underlying allelic frequency. PLoS ONE 15(11): e0241609.

Faut pas se « gèner » pour consommer des produits laitiers : la piste d’une adaptation culturelle ou du microbiote intestinal chez les populations pastorales d’Asie centrale davantage qu’une adaptation génétique

Les jeunes enfants sont dépendants d’une alimentation à base de lait et dans toutes les populations du monde, cela est rendu possible par l’expression du gène codant l’enzyme lactase, chargée de dégrader le lactose en galactose et glucose, des molécules plus simples et facilement incorporables par leur métabolisme. C’est à partir de trois ans que des inégalités apparaissent : certaines populations, dites « lactase persistantes » (LP) restent capables de digérer le lactose, même à l’âge adulte, tandis que d’autres perdent cette capacité du fait que le gène codant la lactase n’est plus exprimé. La répartition des populations LP, fréquentes chez les populations européennes, africaines et arabes, a été largement associée à leurs ancêtres qui ont domestiqué des animaux exploités pour leur lait depuis le Néolithique. L’hypothèse adaptative étant que chez les populations qui disposaient de la ressource en lait, le phénotype LP était avantagé car il apportait un gain nutritionnel, tandis que les individus non LP étaient victimes de crampes intestinales et de diarrhées sévères.

Une jument en cours de traite, dans la vallée de Suusamyr, au Kirghizistan (Crédit : Firespeaker, CC-BY-SA 3.0)

Une jument en cours de traite, dans la vallée de Suusamyr, au Kirghizistan (Crédit : Firespeaker, CC-BY-SA 3.0)

L’article de Laure Segurel et ses collaborateurs français et ouzbeks, publié dans PloS Biology le 8 juin 2020, vise à tester si cette hypothèse largement diffusée est généralisable à tous les peuples d’éleveurs. La comparaison de la fréquence des populations LP et de la carte des populations pastorales, dépendantes de l’élevage, montre une incohérence en Asie centrale (prise au sens large : ex-républiques soviétiques d’Asie centrale mais aussi Mongolie, Chine occidentale et sud-est de la Russie). Les éleveurs kazakhs et mongols ont seulement une fréquence d’individus LP de 12 à 30 %, malgré une consommation importante de produits laitiers. Le génotypage de 30 populations d’Asie centrale montre même que les populations d’éleveurs auraient une fréquence d’individus LP encore plus faible que les populations de fermiers, pourtant moins dépendants du lait dans leur alimentation. Ce résultat vient encore questionner la véracité de l’hypothèse adaptative sur l’ensemble de l’Eurasie.

Variation de la fréquence en Eurasie de l'allèle -13.910*T, responsable du phénotype LP, au cours des 10 000 dernières années.

Variation de la fréquence en Eurasie de l’allèle -13.910*T, responsable du phénotype LP, au cours des 10 000 dernières années. La carte de l’Eurasie est indiquée pour quatre périodes : il y a 4 000 à 10 000 ans, il y a 3 000 à 4 000 ans, les 3 000 dernières années (toutes trois alimentées par des échantillons d’Hommes issus de fouilles archéologiques) et enfin l’époque contemporaine (échantillons d’Hommes actuels). Les zones de couleurs représentent une extrapolation de la fréquence de l’allèle -13.910*T : les zones claires représentent des régions avec une faible fréquence de cet allèle (l’autre allèle C y domine) tandis que les zones sombres représentent des régions avec une forte fréquence de cet allèle. Pour les cartes de périodes anciennes, les points bleus foncés représentent l’allèle mutant T tandis que les points bleus clairs représentent l’allèle originel C. On voit sur la première carte que les premiers porteurs de l’allèle muté se situent en Europe centrale et on observe sur les suivantes l’expansion de l’allèle en Eurasie et sa forte augmentation de fréquence en Europe du Nord contrairement à l’Asie centrale où la fréquence allélique reste faible.

Vu que l’adaptation est un processus qui s’inscrit dans la durée, il est important de remettre la problématique dans une perspective temporelle, notamment parce qu’il y a pu y avoir au cours du temps des remplacements de populations. La version du gène responsable du phénotype LP, nommée allèle -13.910*T a ainsi été suivie chez 1 434 individus ayant vécu en Eurasie au cours des 10 000 dernières années. C’est en Europe centrale, il y a 5 950 ans, que l’allèle -13.910*T apparaît pour la première fois. Il se répand ensuite rapidement dans toute l’Eurasie à l’Age de Bronze tardif et on en trouve trace en Asie centrale pour la première fois il y a 3 713 ans. Et c’est à l’Age de Fer que le phénotype LP en Europe et en Asie centrale prend des trajectoires différentes : sur les 3 000 dernières années, la fréquence des individus LP s’élève en moyenne à 31% en Europe alors qu’elle n’est que de 6% en Asie centrale. Cela signifierait donc que l’allèle -13.910*T aurait été fortement sélectionné chez les peuples d’éleveurs d’Europe, notamment l’Europe du Nord, mais pas ou peu sélectionné chez les peuples d’éleveurs d’Asie centrale. Pourquoi ?

Même s’il existe une forte diversité d’animaux domestiques élevés pour leur lait en Asie centrale, le lait de jument occupe depuis très longtemps une place traditionnelle. Paradoxalement, c’est pourtant l’un de ceux dont la teneur en lactose est la plus importante mais c’est aussi l’un de ceux qui est le plus enclin à faire spontanément de la fermentation. Plus généralement, quelle que soit l’origine du lait, les peuples d’Asie centrale ont coutume de ne presque jamais consommer de lait brut, mais plutôt des produits laitiers issus de fermentation, par exemple les boissons fermentées nommées ‘kumis’ ou ‘ajrag’. Dans ces produits fermentés, la teneur en lactose est réduite et, à teneur égale, celui qui reste est plus facilement digéré dans les produits fermentés que dans les produits laitiers non fermentés. D’après l’hypothèse de l’article, si la consommation de produits laitiers en Europe du Nord et en Afrique a pu se faire par une adaptation génétique humaine, l’Asie centrale, où la mutation avantageuse était pourtant présente, a plutôt été marquée par une adaptation culturelle par consommation de produits laitiers fermentés.

Si les peuples d’Asie centrale ne se sont pas eux même adaptés à la consommation de lactose, ils auraient donc exploité les bactéries impliquées dans la fermentation. L’article pose aussi une deuxième hypothèse impliquant encore une fois des bactéries : celle d’un microbiote intestinal qui se serait adapté pour digérer le lactose. La métagénomique, c’est-à-dire l’analyse du contenu en espèces microbiennes dans un environnement donné, par exemple l’intestin, appliquée à des échantillons de différents peuples permettra de tester cette hypothèse.

Finalement, l’une des questions qui reste la plus ouverte est pourquoi y a-t-il pu y avoir adaptation génétique humaine si une autre voie était possible ? Est-ce lié au fait que l’élevage en Europe du Nord et en Afrique est dominé par les espèces bovines (spécificité en terme de quantité/qualité du lait ?) ? Ou est-ce simplement parce que les produits fermentés n’ont pas trouvé d’adeptes dans ces régions ? Nul doute que le généticien des populations ne réussira à répondre à ces questions que dans le cadre de travaux interdisciplinaires et ces passionnants futurs développements seront à surveiller… comme le lait sur le feu.

Références de l’article

Laure Segurel, Perle Guarino-Vignon, Nina Marchi, Sophie Lafosse, Romain Laurent, Céline Bon, Alexandre Fabre, Tatyana Hegay, Evelyne Heyer (2020) Why and when was lactase persistence selected for? Insights from Central Asian herders and ancient DNA. PLoS Biology 18(6): e3000742.

Surf au bout du monde : vagues de peuplement des îles Samoa

L’archéologie montre que quand les peuples de langue papoue et les Aborigènes d’Australie réalisent le premier peuplement humain de l’Océanie il y a environ 50 000 ans, ils ne colonisent que l’Océanie proche (jusqu’aux Iles Salomon). Une seconde vague de migration, composée de peuples de langues austronésiennes, survient beaucoup plus récemment il y a 5 000 ans et se poursuit cette fois-ci jusqu’à l’Océanie lointaine, notamment le Vanuatu, la Nouvelle-Calédonie, Fidji, Tonga et Samoa. Ainsi, les restes archéologiques font remonter les premiers peuplements aux îles Samoa il y a seulement 2 750 à 2 880 ans avant une histoire démographique assez floue jusqu’à l’arrivée des premiers Européens au XVIIIe siècle.

Trois jeunes femmes samoanes de 1902. Photographie de Ernst von Hesse-Wartegg (1854-1918), publiée dans le livre Samoa, Bismarckarchipel und Neuguinea - Drei deutsche Kolonien in der Südsee; (Allemagne, 1902). Photographie du domaine public.

Trois jeunes femmes samoanes de 1900. Photographie de Ernst von Hesse-Wartegg (1854-1918), publiée dans le livre Samoa, Bismarckarchipel und Neuguinea – Drei deutsche Kolonien in der Südsee; (Allemagne, 1902). Photographie du domaine public.

L’étude de Daniel N. Harris et ses collaborateurs américains, néo-zélandais et samoans, publiée dans le journal Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America vise à comprendre l’évolution démographique des Samoans au cours de leur Histoire. Un total de 1 197 génomes complets de Samoans ont été séquencés et soumis à des analyses de génomique des populations.

L’analyse génétique confirme que les Samoans sont très majoritairement d’origine austronésienne, avec de rares introgressions de populations d’Europe de l’Ouest, du Sud de l’Asie et d’Afrique de l’Ouest. Toutefois, les Samoans auraient en moyenne 24 % d’origine papoue. Cela suggère un phénomène déjà montré pour d’autres peuples océaniens : avant d’arriver en Océanie lointaine, les peuples de langues austronésiennes se seraient hybridés avec les peuples papous rencontrés en Océanie proche. L’étude montre aussi que l’origine papoue est corrélée à l’origine dénisovienne. Les Dénisoviens ou Hommes du Denisova représentent une espèce d’Hommes “fossiles” apparentés aux Hommes de Néanderthal. Les Papous sont issus de populations humaines s’étant hybridées avec ces Dénisoviens, peut-être en Asie du Sud-Est, et conservent 3 à 6% de leur génome hérité de leurs ancêtres dénisoviens. Par leur ascendance papoue, les Samoans auraient aussi hérité de quelques portions de génome de Dénisoviens, à un degré moindre.

Variation de l’effectif efficace Ne, représenté ici après une transformation logarithmique, dans la populations des deux îles Savaii (rouge) et Upolu (bleu) en fonction du nombre de générations depuis le présent. Il y a 92 à 96 générations (2 750 à 2 880 ans), l’île d’Upolu est colonisée par des peuples de culture Lapita. Il y a 70 à 90 générations (2 100 à 2 700 ans), les autres îles sont colonisées par de petits groupes isolés. Il y a 50 à 67 générations (1 500 à 2 000 ans), possibles migrations d’individus depuis les îles Carolines. Il y a 33 à 50 générations (1 000 à 1 500 ans), les poteries disparaissent, en même temps qu’un premier goulot d’étranglement majeur sur les îles Samoa. Il y a 27 à 33 générations, les voyages entre archipels du Pacifique s’intensifient. Il y a 17 à 27 générations, des indices montrent une forte activité humaine aux Samoas:développement de chefferies, de monuments, d’infrastructures agricoles en terrasses, etc. Il y a 8 générations (230 ans), arrivée des premiers Européens qui apportent des maladies sur les îles, aboutissant au 2e goulot d’étranglement majeur sur les îles Samoa.

Variation de l’effectif efficace Ne, représenté ici après une transformation logarithmique, dans la populations des deux îles de Savai’i (rouge) et d’Upolu (bleu) en fonction du nombre de générations depuis le présent. La variation de l’effectif efficace est indiquée par une ligne. Cette ligne est comprise dans un polygone qui symbolise son intervalle de confiance à 95%. Les principaux événements historiques supposés sur les îles Samoa sont indiqués par des pictogrammes. Il y a 92 à 96 générations (2 750 à 2 880 ans), l’île d’Upolu est colonisée par des peuples de culture Lapita. Il y a 70 à 90 générations (2 100 à 2 700 ans), les autres îles sont colonisées par de petits groupes isolés. Il y a 50 à 67 générations (1 500 à 2 000 ans), possibles migrations d’individus depuis les îles Carolines (Micronésie). Il y a 33 à 50 générations (1 000 à 1 500 ans), les poteries disparaissent, en même temps qu’un premier goulot d’étranglement majeur sur les îles Samoa. Il y a 27 à 33 générations (800 à 1 000 ans), les voyages entre archipels du Pacifique s’intensifient. Il y a 17 à 27 générations (500 à 800 ans), des indices montrent une forte activité humaine aux Samoa : développement de chefferies, de monuments, d’infrastructures agricoles en terrasses, etc. Il y a 8 générations (230 ans), arrivée des premiers Européens qui apportent des maladies sur les îles, aboutissant au 2e goulot d’étranglement majeur sur les îles Samoa.

Le modèle démographique construit à partir des données génétiques donne des indications sur les changements d’effectif efficace de la population des Samoa. Cet effectif efficace représente l’effectif d’une population théorique qui serait soumise à la même dérive génétique que la population réelle. Les variations de l’effectif efficace sont à mettre en relation avec les événements historiques connus. L’histoire démographique des Samoa commencerait par une période de croissance débutée il y a 100 générations. En considérant un temps intergénérationnel de 30 ans, cela représente environ 3 000 ans. Ce temps est cohérent avec les premiers restes archéologiques et l’apparition de la culture Lapita, connue pour ses poteries décorées. Pendant 70 générations, l’effectif efficace des Samoans serait resté très faible (entre 700 et 3 440 individus), ce qui suggère de petites populations sur les îles Samoa. Cela confirme aussi la faible quantité de sites archéologiques découverts sur les îles Samoa en comparaison des îles Fidji et Tonga qui ont connu une croissance démographique plus précoce.

Alors que l’histoire démographique était jusqu’alors restée similaire entre les deux îles, l’histoire démographique de l’île d’Upolu, qui compte aujourd’hui les villes les plus importantes des Samoa, diverge de celle de Savai’i à partir de 30 à 35 générations avant aujourd’hui, soit il y a 900 à 1 050 ans, après une longue période de goulot d’étranglement (réduction de la taille de la population). Après cette date, la population des Samoa est marquée par une forte période de croissance exponentielle. Ce brusque changement d’effectif efficace suggère un changement démographique important il y a 900 à 1 050 ans. La période du goulot d’étranglement commence après l’arrivée supposée de peuples venus des îles Carolines et/ou de Micronésie. Que s’est-il passé sur cette période ? Y a-t-il eu un remplacement de la population initiale des Samoa par ces nouveaux arrivants ? Les deux populations se sont-elles mélangées ? On manque pour le moment de données susceptibles d’aider à répondre à ces questions, notamment d’ADN ancien qui pourrait être extrait des squelettes des habitants de l’époque.

Beaucoup plus récemment, à la fin de la période de croissance exponentielle, on est capable d’identifier un deuxième goulot d’étranglement il y a environ 10 générations, c’est-à-dire 300 ans. Cela correspond à l’époque des premiers contacts avec les Européens qui ont apporté des maladies auxquelles le système immunitaire des Samoans n’était pas préparé, notamment la rougeole qui se révèle dangereuse lorsque cette maladie virale est contractée à l’âge adulte.

Références de l’article

Doit-on parler de races humaines comme on parle de races canines ? La réponse des génétic(h)iens

En 1956, le généticien Haldane posait la question suivante à des anthropologues : « Les différences biologiques entre les groupes humains sont-elles comparables avec celles de groupes d’animaux domestiques, tels que les lévriers ou les bulldogs ?». Les prolongements de cette question ont donné lieu à un débat populaire qui connaît son paroxysme dans des décisions politiques, qui sans revenir à l’idéologie nazie, ont abouti aux cinq catégories raciales actuellement en vigueur dans la législation américaine (Blanc /Noir ou Afro-Américain / Amérindien ou natifs d’Alaska /Asiatique / Hawaïen ou natifs d’autres îles du Pacifique). Mais le concept de races humaines ne serait-il pas davantage une construction sociale plutôt qu’une réalité biologique comparable aux races d’animaux domestiques, notamment les races canines ?

Races canines vs races humaines

A gauche, planche de races de chiens, tirée de ‘The New Student’s Reference Work’ (Ed. Chandler B. Beach, Chicago) publié en 1914. A droite, planche de visages humains d’origine variée, tirée de ‘Evolution of Life’ par Henri C. Chapman en 1873 (Ed. J.B. Lippincott, Philadelphie). Illustrations du Domaine public.

C’est la question à laquelle la chercheuse américaine Heather L. Norton et ses collaborateurs ont tenté de répondre dans un article de synthèse paru le 9 juillet 2019 dans la revue Evolution: Education and Outreach. Le concept génétique de races repose sur le fait qu’il existerait des groupes distincts au sein d’une espèce, c’est-à-dire pour lesquels la diversité intra-groupe serait minime alors que la diversité inter-groupes serait très importante. Chez l’Homme, les anthropologues ont comparé les individus par rapport à des critères comme la couleur de la peau, des mesures de crânes, les groupes sanguins ou encore des marqueurs génétiques.

Ainsi, l’analyse de la diversité génétique de chiens à partir de marqueurs moléculaires classait les individus dans des groupes génétiques qui correspondaient aux races dans 99 % des cas. Le même type d’analyse mené sur un groupe d’humains échantillonnés sur l’ensemble de la planète aboutissait au modèle le plus vraisemblable distinguant six groupes génétiques répartis en : (1) Afrique, (2) Europe/Moyen-Orient/Asie centrale, (3) Extrême-Orient, (4) Océanie, (5) Amériques et (6) les Kalashs, une population isolée du Nord-Ouest du Pakistan. La plupart de ces groupes génétiques s’explique par la barrière reproductive que représentent les limites entre continents. Toutefois, contrairement aux chiens, ces groupes génétiques ne doivent pas être interprétés comme des races. Déjà, l’analyse n’aboutit pas à un modèle incontestable de structure et il existe plusieurs modèles plausibles. On peut même parler de modèles imbriqués, indiquant plusieurs niveaux de structuration génétique plus ou moins marqués. Ainsi, si on sépare l’humanité en deux groupes on distinguera les populations d’Afrique/Europe/Moyen-Orient/Asie centrale de celles de l’Extrême-Orient/Océanie/Amériques. Si on sépare l’humanité en trois groupes, les populations d’Afrique de distinguent des populations d’Europe/Moyen-Orient/Asie centrale. Le découpage en quatre groupes génétiques sépare les populations d’Amériques de celles d’Extrême-Orient/Océanie. Ce dernier groupe est séparé dans le cas d’une subdivision en cinq groupes génétiques. Par ailleurs, peu importe le découpage, la probabilité d’assignation d’un humain à un groupe génétique n’est souvent pas totale et une personne est généralement assignée à plusieurs groupes génétiques simultanément.

Structure génétique observée pour 85 races de chiens.

Structure génétique observée pour 85 races de chiens. (a) L’abscisse montre les 85 races de chiens représentées par plusieurs individus. L’ordonnée indique la probabilité d’assignation aux groupes génétiques, représentés par des couleurs différentes. Les groupes génétiques identifiés sont généralement cohérents avec les races canines. (b) Analyses effectués indépendamment sur des couples de races que l’analyse globale n’avait pas réussi à différencier car ces races ont une origine commune (ex : Mastiff et Bullmastiff). A l’exception de deux types de Bergers Belges (le Groenendael et le Tervueren), ces analyses sur des sous-échantillons ont permis de différencier génétiquement les races. Cette figure a initialement été publiée dans Parker et al. (2004).

Structure des populations humaines

Structure génétique observée pour 52 populations humaines échantillonnées dans le monde entier. Les cinq analyses effectuées en fonction du nombre de groupes génétiques (K=2 à 6) montrent ce concept de structure imbriquée. L’origine géographique, notamment l’appartenance à un continent, est le facteur le plus structurant. Toutefois, de nombreux individus sont assignés à plus d’un groupe génétique. Ces résultats ont été publiés pour la première fois dans un article de Rosenberg et al. 2002.

L’analyse de la variance moléculaire (AMOVA) est un outil statistique permettant de décomposer la variance génétique selon différents niveaux hiérarchiques de structuration. Elle s’avère donc un bon moyen de tester la pertinence des groupes génétiques détectés. Si 27 % des différences génétiques observées entre les chiens se situent entre races canines, seulement 3,3 à 4,7 % de la variation génétique totale observée chez les humains se situent entre les groupes continentaux ou régionaux évoqués plus haut.

Comment expliquer ces différences entre la structuration des populations canines et des populations humaines ? La plupart des races de chiens ont une origine récente, correspondant à environ cent ans de sélection drastique où l’Homme a empêché les chiens de se reproduire en dehors de la race et n’a autorisé les reproductions qu’entre un petit nombre d’individus correspondant aux standards fixés pour la race. Il en résulte une diversité réduite qu’on peut estimer par l’hétérozygotie attendue H, c’est-à-dire la probabilité de tirer deux allèles différents connaissant les fréquences alléliques de la population. Chez une race canine, H est compris entre 0,313 et 0,610. Cette consanguinité est par ailleurs à l’origine d’un nombre considérable de maladies génétiques propres à chaque race. Du côté de l’espèce humaine, les facteurs qui empêchent les flux de gènes entre groupes régionaux sont des facteurs géographiques, culturels et linguistiques, qui, même s’ils s’exercent depuis plus longtemps que la sélection des races modernes de chiens, n’a pas eu un effet d’isolement génétique aussi marqué. Il en résulte une diversité génétique intra-groupe plus élevée que celles des races canines (H=0,664-0,792). L’indice de fixation FST qui marque l’ampleur de la différentiation génétique entre des populations était aussi largement plus élevé entre races canines (FST=0,33) qu’entre groupes continentaux humains (FST=0,052-0,083).

Le concept de race suppose aussi une homogénéité phénotypique. Un caractère aussi stigmatisant que celui de la couleur de la peau chez l’humain varie en fait assez largement au sein d’un continent puisque les populations originaires des tropiques et des hautes altitudes présentent les couleurs de peau les plus sombres, afin d’apporter une forte protection contre les UV. Ces continuums de couleurs de peau sont aussi permis par un contrôle génétique complexe de ce caractère de couleur de peau chez l’Homme (des centaines de gènes impliqués) contrairement aux chiens (neuf gènes identifiés). Quant à la taille des individus, leurs distributions se chevauchent largement entre catégories raciales américaines. Cela contraste fortement aux très impressionnantes différences de taille entre les races de chiens.

Alors, que reste-t-il au concept de race chez l’espèce humaine ? Une construction sociale bâtie en parallèle du racisme permettant à une élite dominante de stigmatiser des minorités. Preuve en est que ces classes raciales ont évolué au cours du temps pour appuyer des motivations politiques telles que l’esclavage ou les politiques migratoires. On peut définir le racisme comme l’idéologie politique selon laquelle les groupes humains ne seraient pas dotés des même capacités et qu’on leur attribuerait un jugement de valeur en distinguant des races supérieures et des races inférieures. L’historien Harrington considère que l’apparition du concept de races humaines aux États-Unis n’est pas étrangère à la généralisation dans les années 1880 des races pures de chiens, par opposition à ce qu’on appelle aujourd’hui les ‘village dogs’ qui sont aux chiens ce que le ‘chat de gouttière’ est aux chats. Cet événement coïncide avec le rejet des immigrants irlandais, allemands, italiens, juifs par les White Anglo-Saxon Protestants (WASP) déjà présents aux États-Unis.

Références de l’article :

Heather L. Norton, Ellen E. Quillen, Abigail W. Bigham, Laurel N. Pearson, Holly Dunsworth (2019) Human races are not like dog breeds: refuting a racist analogy. Evolution: Education and Outreach, 12: 17.