Ils n’ont pourtant pas lu Stendhal ! Sélection équilibrante pour le maintien d’un polymorphisme de couleur chez le Diamant de Gould

Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer le cas d’une sélection équilibrante par avantage aux hétérozygotes, promouvant le maintien d’un polymorphisme de couleur, probablement assez récent, chez certaines populations alpines d’une plante, la Nigritelle noire. Il peut arriver que le maintien du polymorphisme de couleur se fasse sur une très longue période, déjouant les règles générales de l’évolution des caractères : fixation du phénotype avantageux par sélection positive ou fixation de l’un ou l’autre des phénotypes par dérive si la différence de valeur sélective entre les phénotypes est minime.

Le Diamant de Gould (Erythrura gouldiae) présente deux morphotypes vivant en sympatrie. Ces morphotypes diffèrent pour la couleur de la tête, contrôlée par un locus nommé Red porté par le chromosome Z (chez les oiseaux, les femelles portent les chromosomes sexuels ZW alors que les mâles portent les chromosomes sexuels ZZ). On distingue ainsi un allèle récessif Zr et un allèle dominant ZR. Les mâles Zr/Zr et les femelles Zr produisent de la mélanine chez le morphotype noir, tandis que les mâles ZR/ZR ou ZR/Zr et les femelles ZR produisent des caroténoïdes chez le morphotype rouge.

Morphotypes rouge et noir de Diamant de Gould, en captivité. Crédit image : Eugen Bonner, licence Pixabay

Morphotypes rouge et noir de Diamant de Gould (Erythrura gouldiae), en captivité. Crédit image : Eugen Bonner, licence Pixabay

Dans une publication parue fin avril 2019 dans Nature Communications, le consortium d’Américains, Britanniques et Australiens constitué par Kang-Wook Kim, Benjamin C. Jackson et leurs collaborateurs a précisé par génétique d’association la position du locus Red dans une région intergénique du chromosome Z. Ce locus agirait comme une région régulatrice d’un gène à effet pléiotrope localisé à proximité, le gène follistatin (FST), puisque les morphotypes diffèrent aussi pour des niveaux d’hormones de stress, de personnalité, de dominance sociale, … et notamment la structure des plumes dont le lien avec FST est bien connu.

La diversité présente autour du locus Red a été caractérisée. Sur une région d’environ 70 kpb autour de Red, et par comparaison à d’autres régions du chromosome Z, les auteurs ont identifié des patrons de polymorphisme suggérant une sélection équilibrante au locus Red : un fort déséquilibre de liaison, une forte diversité et un fort niveau différentiation entre les allèles ZR et Zr. Ainsi, l’indice de fixation de Wright FST est très élevé à Red (0,951) alors qu’il est faible (en moyenne de 0,038) sur les autres régions du chromosome Z, suggérant qu’en dehors de ce locus, les morphotypes ne sont pas en cours d’isolement génétique, contrairement à ce que le laissait suggérer les incompatibilités pré- et post-zygotiques entre morphotypes, observées sur des populations en captivité.

L’étude d’un arbre de gène montre que malgré la très forte divergence entre les allèles ZR et Zr, les allèles des morpotypes rouge et noir forment un groupe monophylétique. Cela suggère que ces deux allèles ont divergé depuis l’apparition de l’espèce Diamant de Gould et ne représentent pas un polymorphisme trans-spécifique (présence d’allèles dont l’origine remonte avant l’événement de spéciation).

Arbre de gène du locus Red. a) Illustrations des espèces du genre Erythrura, notamment à droite les morphotypes noir et rouge du Diamant de Gould (E. gouldiae). b) Arbre de maximum de vraisemblance obtenu au locus Red pour la famille des Estrildidae. La longueur des branches est proportionnelle à la divergence entre les séquences étudiées. On notera que la divergence entre les séquences portées par les deux morphotypes rouge et noir du Diamant de Gould est plus importante que la divergence entre les séquences des autres espèces du genre Erythrura.

Arbre de gène du locus Red. a) Illustrations des espèces du genre Erythrura, notamment à droite les morphotypes noir et rouge du Diamant de Gould (E. gouldiae). b) Arbre de maximum de vraisemblance obtenu au locus Red pour la famille des Estrildidae. La longueur des branches est proportionnelle à la divergence entre les séquences étudiées. On notera que la divergence entre les séquences portées par les deux morphotypes rouge et noir du Diamant de Gould est plus importante que la divergence entre les séquences des autres espèces du genre Erythrura.

Il est possible que les deux allèles aient pu dans un premier temps évoluer indépendamment dans un contexte d’allopatrie ancienne suivi d’un contact secondaire. Parmi les mécanismes expliquant le maintien de ce polymorphisme par sélection équilibrante, les auteurs proposent la sélection fréquence-dépendante. On peut penser que les mâles rouges devraient être avantagés car il a été montré qu’ils sont préférés par les femelles des deux morphotypes et ils bénéficient d’un statut de domination dans la structure sociale. Toutefois, ils sont aussi victimes de forts niveaux de stress et auraient un succès reproducteur moindre par rapport aux mâles noirs lorsque les agressifs mâles rouges deviennent trop nombreux. Il est aussi possible qu’un antagonisme sexuel intervienne : si les mâles rouges seraient sélectionnés, les femelles rouges seraient contre-sélectionnées, comme le suggère le fait que l’intensité de couleur soit très réduite chez les femelles rouges dans la nature.

Références de l’article :

Kang-Wook Kim, Benjamin C. Jackson, Hanyuan Zhang, David P. L. Toews, Scott A. Taylor, Emma I. Greig, Irby J. Lovette, Mengning M. Liu, Angus Davison, Simon C. Griffith, Kai Zeng, Terry Burke (2019) Genetics and evidence for balancing selection of a sex-linked colour polymorphism in a songbird. Nature Communications. 10:1852. Publié le 23 avril 2019.