L’exploration des archives de Jean Laugier (1924-2006), à l’occasion du traitement d’un supplément donné à la BU d’Angers en 2024, a permis de redécouvrir un pan de la vie de l’auteur peu mis en valeur jusque-là : Jean Laugier, homme de théâtre.
Lien vers l’inventaire du fonds : https://bu.univ-angers.fr/sites/default/files/2025-05/inventaire_laugier.pdf
Jean Laugier s’est senti une vocation littéraire dès sa jeunesse, en se tournant aussi bien vers la poésie que vers le théâtre, un genre qu’il n’abandonnera jamais complètement mais qui passera au second plan derrière la poésie à partir des années 1970.
Il rêvait d’être un auteur dramatique reconnu : dans les faits, ses pièces ont été peu jouées et plutôt dans des petites salles, Laugier devant même créer sa propre compagnie pour faire représenter Buldor en 1969. Il continua néanmoins à écrire du théâtre dans les années 1960, un pan de sa création littéraire dont il fit le bilan dans sa conférence « Mon théâtre et ses miroirs » (1980, publiée en 1985).
L’écriture ne suffisant pas à vivre, Laugier fut dans sa jeunesse un « intermittent du spectacle ». Il avait fait ses premières armes de comédien comme étudiant en art dramatique, jouant, par exemple, Le Médecin malgré lui en 1944. Il intégra la compagnie du Regain (dir. Christian Casadesus) cette même année, et joua aussitôt Double-main dans Le mariage de Figaro.

En 1948 il se lança dans une tournée aux Antilles, où il interpréta avec son acolyte René Pommier un choix de classiques du répertoire. Aimé Césaire aurait voulu qu’il prolonge sa tournée, mais, faute d’argent, dès l’été 1948 le jeune acteur rentrait en métropole.



Affiche de la tournée en Guadeloupe ; lettre de soutien de Louis Jouvet ; lettre d’Aimé Césaire (1948) [R 840 021]
À son retour, il intégra les troupes de Georges Vitaly (théâtre de la Huchette), puis de Jacques Fabbri (où il côtoya le jeune Raymond Devos), et de Georges Wilson (TNP). Voué aux seconds rôles, il joua, entre autres, dans La Pucelle de Jacques Audiberti (1950), La famille Arlequin de Claude Santelli (1955), ou encore dans Le diable et le bon Dieu de J.-P. Sartre (1968) où il interprétait un lépreux. Il fit aussi des incursions au cinéma.



Programme des Hussards de P.-A. Bréal (1953) ; J. Laugier dans La Pucelle de Jacques Audiberti (1950) et dans L’homme à l’imperméable, film de Julien Duvivier (1956) [R 840 021 et -070, 073]
Cependant, pour Laugier, le métier d’acteur n’était qu’un moyen de percer dans le monde du théâtre en tant qu’auteur. Après avoir fait jouer Mala à Paris dans sa première version en 1946, et pour trois représentations seulement en mars 1958, Laugier redoubla d’efforts pour monter sa pièce suivante, Buldor. Ce n’est qu’en octobre 1969 qu’il y parvint, au théâtre de Courbevoie, dans une mise en scène de son ami Bertrand Espouy avec une troupe semi-professionnelle recrutée par Laugier lui-même. Malheureusement, le manque d’argent causa la défection de deux acteurs et la fin du spectacle quelques jours avant le terme prévu. Toutefois, la pièce fut rejouée à Lyon, toujours mise en scène par Espouy, le 19 avril 1983.



Représentation de Buldor (1969) [R 840 022, -073, -079]
La seule pièce de Laugier à avoir été montée par la suite fut Un brasseur de lune, monologue à un seul acteur, d’abord joué en Allemagne (1984-1985) encore grâce à B. Espouy, devenu directeur d’instituts culturels. Cette pièce connut quelques représentations supplémentaires à Paris, en 1995 puis en 2005, avec l’acteur Christophe Mali (membre du groupe Tryo).
On ne connaît pas d’autre représentation du théâtre de Laugier, sinon Le mendiant de Ninive, sous forme d’une simple lecture en 1982.
Jean Laugier a écrit aussi en tant qu’adaptateur. En 1965, il a signé la version française d’ El Greco, œuvre d’un auteur flamand, Luc Vilsen. Jouée par la troupe du Vieux-Colombier dirigée par G. Vitaly, la pièce créée le 30 août 1965 n’eut pas les faveurs du critique B. Poirot-Delpech dans Le Monde.
Figure pittoresque de la scène parisienne de l’après-guerre, Jean Laugier conserva de cette période des amitiés solides dans le milieu théâtral, dont témoigne sa correspondance avec de grands noms comme Georges Vitaly ou Silvia Monfort.


Lettre de recommandation de S. Monfort (à Jean-Pierre ??) pour une pièce de Laugier [R 840 021]
Si la carrière de Jean Laugier comme dramaturge s’avéra décevante, son œuvre fut néanmoins appréciée par certains critiques comme Jean Alter, de l’université de Pennsylvanie. Arrivé à la maturité, J. Laugier vit son théâtre mis à l’honneur par son ami Bruno Durocher, directeur des éditions Caractères, qui lui permit de publier l’intégrale de son Théâtre, ne comptant pas moins de 4 volumes (1981-1994) illustrés par Vincent Fillol-Roig.


Théâtre vol. I, Paris, Caractères, 1981, exemplaire n° 1 de l’éd. originale, enrichi de 8 dessins et 2 gouaches de Vincent Fillol-Roig.