À l’impérissable présence de l’ami disparu : la poésie de l’amitié entre Michel Manoll et René Guy Cadou.

Ô visiteur toi qui reviens je ne sais d’où

Mais d’un pays aux grands espaces inconsolés oscillant sur le vide aux prunelles béantes

Que l’on voudrait aimer comme on aime la plante

Pour son frêle silence et sa fragilité

M’apportes-tu dans la corbeille des saisons

Ce visage des branches nues fruit de l’aurore

Que tant me ressemblait et chantait mes chansons ?

Michel manoll, Ô visiteur

Lorsque l’on travaille au contact de fonds littéraires différents, il est facile de se perdre dans les méandres de leurs contenus. Lors du traitement de ces documents, on y jette un bref coup d’œil, puis un autre, et on se retrouve à lire des pages et des pages de textes tous plus intéressants les uns que les autres. Cela a été mon cas, durant de mon expérience en tant que monitrice à la bibliothèque universitaire de Belle-Beille, dès lors que j’ai croisé la route des poètes de l’École de Rochefort. Au travers de cet article, nous nous promènerons ensemble sur les bancs de l’École, et nous discuterons de l’amitié autour d’un verre, ou plutôt, autour de vers.

Prenons le temps de nous arrêter sur l’histoire de la création de l’École de Rochefort. L’École de Rochefort voit le jour en 1941, et constitue l’un des principaux mouvements de la poésie française du XXème siècle. À l’époque, les amis poètes se retrouvent dans l’arrière boutique de la pharmacie tenue par Jean Bouhier, le fondateur du mouvement. Les poètes s’élèvent contre la littérature du régime de Vichy, prônant le droit de chanter et louer l’amour de la vie. Si l’on parle du mouvement des poètes de Rochefort comme d’une « École », c’est aussi parce que le noyau dur du groupe était principalement composé d’amis avant même d’être composé de poètes. René Guy Cadou, l’un des membre des poètes de Rochefort, qualifiera ce mouvement comme une « cour de récréation » plutôt qu’une « École ». C’est l’une des raisons qui m’ont amenée à m’intéresser davantage à ce mouvement.

Une fenêtre sur le monde, Michel Manoll.

Il y a quelques années, dans le cadre de mon travail à la bibliothèque universitaire, je suis tombée nez-à-nez avec un exemplaire d’une fenêtre sur le monde, un recueil de poèmes de Michel Manoll, l’un des principaux piliers de l’École de Rochefort. Je me rappelle de ce sentiment très fort que j’ai pu ressentir de par la justesse de ses mots.

L’écho d’une source frémit encore dans le buisson de l’orage

Et, jusqu’au fond du temps, un oiseau attardé

Lacère un pan du jour, entraînant en son vol

Le sillage mouvant des anciennes clartés.

michel manoll, en quel temps vivons-nous

En faisant de plus amples recherches sur le travail de Michel Manoll, j’ai découvert sa proximité avec le poète René Guy Cadou, que nous avons évoqué un peu plus tôt. Les deux amis étaient très proches, et ont beaucoup appris l’un de l’autre. René Guy Cadou voyait Michel Manoll comme un mentor, un poète dont il admirait le travail. Cette admiration était réciproque et allait au delà de la simple collaboration artistique.

Louisfert-en-Poésie, recueil de poèmes de Michel Manoll, paru à titre posthume en 1992 aux éditions de la Maison de Poésie.

Dans la nuit du 20 mars 1951, René Guy Cadou décède après un long combat contre la maladie, ce qui laisse une absence difficile à combler dans la vie de Michel Manoll. À travers le recueil de poèmes Louisfert-en-Poésie, presque tous rédigés après le décès de René Guy Cadou, et paru à titre posthume en 1992, nous pouvons retrouver de nombreux poèmes faisant référence à René Guy Cadou et à sa disparition, de manière plus ou moins explicite. Le nom de René Guy Cadou apparait dans certains vers, tandis que dans d’autres, il est implicitement évoqué. Michel Manoll exprime la douleur du deuil de son ami à travers ses vers, dont voici quelques exemples.

Je ne sais à qui parler et ma voix a perdu son rebond

Puisque derrière mon cœur une faille s’entr’ouvre

Là où germait un grand espace transfiguré

Par la seule présence de quelqu’un de ma vie

[…]

Vous n’entendrez que cette brisure d’absence

Et le flux dévorant des jours sans espérance.

Michel manoll, je ne sais à qui parler

Portrait de Michel Manoll par Roger Toulouse, 1945

Tout seul la force me manque puisque tu n’as plus l’air

De savoir qu’il fait jour et que j’éteins ma lampe.

michel manoll, ce n’est pas possible

Portrait de René Guy Cadou par Roger Toulouse, 1947.

Je suis le seul désormais à porter la croix de la poésie

Écrasé par le poids des mots et lapidé de solitude

Et face à face avec l’atroce certitude

Que tu n’es plus d’ici ni d’aucun jour futur

Je ne retourne plus la tête si l’on m’appelle

Car cette voix comme la blanche flamme d’un bouleau qui chancelle

Erre déracinée couchée dans ses feuillages

Sans aborder jamais à l’éternel village

Où derrière la vitre entr’ouvrant la fumée

Je t’ai crié : franchis la nuit qui nous sépare

[…]

Ferme tes yeux ô mon ami, le temps se couvre

Les trains stoppent soudain à l’orée des signaux

Au bord de l’escalier par la porte qu’on ouvre

Un flot de feuilles mortes comme un cliquetis d’os

Jonche nos pas, je vais vers toi ombre d’automne.

michel manoll, nuage noir

La bibliothèque universitaire d’Angers dispose de nombreux recueils de poèmes de l’École de Rochefort. Ces derniers sont disponibles au prêt, ou, pour les exemplaires en Réserve (souvent dédicacés) en consultation sur place, en effectuant une demande auprès des bibliothécaires. Il ne tient plus qu’à vous de vous lancer sur le chemin de la poésie, en direction de l’École de Rochefort, et de découvrir la beauté des vers écrits par ces artistes.

  • Clö Egéa (étudiante du M2 SIB, année 2023-2024)

Une réflexion sur « À l’impérissable présence de l’ami disparu : la poésie de l’amitié entre Michel Manoll et René Guy Cadou. »

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