Ouf ! 2 ans de sursis! C’est ce que la Commission Européenne nous a accordé, pensant que la France dépassera les 3% de déficit public en 2013 et 2014.
Mais au fait, pourquoi 3%? Pourquoi pas 4 ou 5 ou zéro? D’où vient ce chiffre magique si souvent évoqué?
Par deux articles dans La Tribune (10-2010) et dans Le Parisien (09-2012), M. Labeille nous explique avec humour qu’il en est l’inventeur : « On a imaginé ce chiffre en moins d’une heure, il est né sur un coin de table, sans aucune réflexion théorique. » En 1981, Monsieur Labeille, jeune diplômé de l’École Nationale de la Statistique et de l’Administration Économique, était chargé de mission à la direction du Budget. Il devait surveiller le budget de l’État et prévoir le déficit à venir. Selon la période (élections, pas élections…) il devait présenter au gouvernement puis aux médias une comptabilité optimiste et raisonnable voulue par les ministres.
Il rappelle un peu d’histoire dans ces articles. En 1975 les budgets publics sont en déficit suite au premier choc pétrolier. Sous Giscard, les finances publiques entrent dans le rouge pour ne plus en sortir. En 1979, c’est le second choc pétrolier avec cette fois un déficit public de 50 milliards (de francs). En 1981, Monsieur Labeille informe le nouveau gouvernement que ce déficit de 50 milliards sera dépassé pour atteindre les 100 milliards en 1982, les différents nouveaux ministres ayant des demandes très budgétivores. Pour freiner leurs ardeurs dépensières, Mitterrand demande qu’on leur oppose une règle simple qui paraîtra irréfutable car émanant « d’experts économistes ». M. Labeille et Roland de Villepin (cousin de Dominique) seront ces experts.
Après avoir soupesé sans conviction les avantages et inconvénients qu’il y aurait à trouver une règle en s’appuyant sur les dépenses ou les recettes de l’État, la voie du déficit fut privilégiée. C’est un mot que chacun comprend, et s’il est associé au PIB on devine que parler de « déficit sur PIB » devient compréhensible.
M. Labeille fait quelques remarques et réserves d’ordre technique sur la définition du mot « déficit » et expose qu’il n’a pas le même sens s’il est ponctuel (et résorbé dans les années à venir), ou s’il est le résultat de nombreuses années « négatives ». Il estime en effet que « le ratio du déficit/PIB n’est en aucun cas une boussole, ne mesure rien, n’est pas un critère…».
C’est pourtant ce ratio qui est retenu et présenté comme étant « ce qui est le plus sérieux et le plus fondé en magasin ». Il était d’à peu près 3% cette année-là. Laurent Fabius s’en sert pour annoncer à la presse un déficit de 2,6% du PIB tandis que Jacques Delors, ministre de l’économie, officialise que le déficit ne doit pas dépasser les 3% du PIB… Laurent Fabius n’est pas en reste et déclare alors qu’il a « toujours pensé que le déficit acceptable ne doit pas dépasser 3% du PIB »…. et lui qui ne disait rien !
Bien entendu, Delors et Mauroy useront aussi de ces 3% comme argument pour maîtriser les finances publiques, jusqu’à ce que Mitterrand en parle comme d’une évidence. Puis viendra Maastricht et ce « 3% » français, tout prêt à servir à tout le monde, puisqu’il deviendra une condition pour intégrer la zone euro.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Très vite, les responsables de l’Union européenne s’inquiètent : comment garantir le respect des 3 % une fois les pays entrés dans la zone euro ? La solution viendra du Pacte de stabilité, signé en 1997, et auquel on concède à Lionel Jospin, nouvellement élu, l’ajout d’un substantif complémentaire. C’est ainsi qu’à Amsterdam est signé le Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC) qui inscrit dans le marbre européen le critère des 3 %.
Mais paradoxalement ce critère ne satisfait personne. En 2002, le président de la Commission européenne, Romano Prodi, se permet même de le qualifier de « stupide ». La règle des 3 % est considérée comme aveugle, rigide et bien souvent inapplicable, notamment en période de récession. De fait, elle ne sera pratiquement jamais appliquée. Avec l’arrêt brutal de la croissance européenne en 2002, les trois plus grands pays de la zone euro (Allemagne, France, Italie) voient leurs déficits dépasser allégrement les 3 % entre 2002 et 2004. Bien sûr, aucune sanction n’est prise. A cette époque, Raffarin engage l’épreuve de force avec la Commission et s’explique : « Mon premier devoir, ce n’est pas d’aller rendre des équations comptables et de faire des problèmes de mathématiques pour tel ou tel bureau ». Résultat, les grands pays d’Europe obtiennent un assouplissement de la règle des 3 % et évitent les sanctions.
Après 2005, la situation se maintient quelques années. Tous les pays font semblant de respecter cette règle, tout en sachant qu’aucune sanction ne sera jamais prise vu que l’Allemagne a connu un déficit public supérieur à 3 % pendant cinq années consécutives, de 2001 à 2005 sans jamais être sanctionnée. C’est la crise de 2008-2009 qui met fin définitivement aux 3 %. En 2009, les déficits publics de tous les pays explosent. Au sein de la zone euro, seul le Luxembourg parvient à maintenir un déficit public inférieur à 3 %. L’heure est alors aux plans de soutien à l’économie et à la consommation des ménages. En France, Devedjan est nommé ministre de la relance. Des aides financières sont accordées aux chômeurs pour favoriser leur consommation. L’État intervient tous azimuts dans l’industrie, dans ses dépenses d’investissement, en instaurant le RSA, en sauvant les banques… et parvient à éviter l’effondrement de l’activité. Cette année, la France connaîtra un déficit public de 7,5 % de son PIB.
Cette parenthèse sera néanmoins de courte durée. En 2010, la crise grecque est l’occasion d’une revanche des tenants de la rigueur. C’est la BCE de Jean-Claude Trichet qui est à la pointe du combat. L’institution de Francfort s’inquiète en effet des conséquences de l’endettement massif des États sur le système bancaire européen. Il apparaît en effet que de nombreux pays du sud risquent l’insolvabilité et le défaut, ce qui serait une catastrophe pour les banques des pays du Nord. Machine arrière toute ! Les dettes doivent être remboursées. Et pour cela, rien de tel que la mise en place de politiques d’austérité drastiques, sous l’égide du FMI et sous l’arbitrage des marchés financiers et des agences de notation.
Ce renversement brutal de politique économique sera l’occasion de mettre en place une nouvelle règle d’austérité qui sera plus dure, plus brutale, en d’autres termes plus stupide que la précédente. C’est le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance (TSCG) de l’Union européenne. Ce traité supprime toute référence aux 3 % et remplace ce critère par une notion encore plus confuse, le « déficit structurel » qui doit être égal à… 0 % lorsque les États connaissent une dette publique supérieure à 60 % du PIB (ce qui est le cas de la France).
Le problème est que personne ne sait comment on calcule un « déficit structurel » qui ne mesure non pas le déficit comptable, constaté en fin d’année, mais un déficit théorique celui que connaîtrait l’État si sa croissance était à son niveau « potentiel ». Or, la croissance potentielle, en période de crise, personne ne sait la calculer. Tout comme le PSC, le TSCG prévoit des sanctions pour les pays ne respectant pas cette règle. Mais comme très peu d’États sont en en mesure de la respecter, la Commission européenne a demandé aux États, non pas d’atteindre immédiatement l’équilibre, mais d’aller vers l’équilibre. C’est dans le cadre de ce retour à l’équilibre que s’inscrit le 3 % dont on parle actuellement. La règle est donc très différente aujourd’hui de ce qu’elle fut. La France ne s’est pas seulement engagée à respecter les 3 % en 2014… mais aussi à atteindre les 0 % en 2017 (maintenant 2019). Ces 3 % ne sont donc plus qu’un critère d’étape. Ils n’en restent pas moins stupidement dogmatiques. Et de même que les 3 % n’ont jamais été réellement appliqués, nous pouvons parier que le sort réservé au TSCG et aux 0 % ne vaudra guère mieux.