Posons le problème directement.
Faire décroitre le PIB revient à diminuer l’ensemble des revenus monétaires. Ces revenus monétaires correspondent soit aux revenus directs des ménages (revenus du travail et du patrimoine) soit à leurs revenus indirects (prestations sociales en nature ou en espèce, valeur de leur capital financier).
La question à laquelle il faut répondre est donc la suivante:
Si l’on part du principe qu’il n’est pas possible de découpler la croissance du PIB et les atteintes environnementales, alors comment rendre acceptable politiquement et socialement une baisse du PIB, soit une diminution globale des revenus, dans des sociétés dominées par la défiance envers les institutions après 30 ans de néolibéralisme?
Quand on voit la difficulté avec laquelle on gère la pandémie de Covid, à quel point on galère pour faire accepter des contraintes face à un danger vital qui touche à la santé et à la vie des gens, comment va-t-on les convaincre de diviser par deux ou trois leur consommation?
Déjà on pourrait être honnête dans le discours et reconnaitre que la décroissance signifie la baisse du pouvoir d’achat et des revenus monétaires ou, au minimum, la forte limitation des consommations très polluantes: voiture individuelle, transport aérien, produits low-costs, viande rouge…
Ces contraintes sont évidemment incompatibles avec le capitalisme actuel, les traités de libre-échange et nécessiteraient de réduire très fortement les inégalités. Elles pèseront sur tout le monde, mais bien plus fortement chez les classes dirigeantes et supérieures.
Elles nécessiteraient aussi de transformer radicalement le rôle de l’État qui devra planifier et réorganiser l’ensemble du système productif pour économiser les ressources. Cela suppose la constitution d’une économie plus dirigée et non de simples mécanismes incitatifs.
- Comment ce nouveaux système productif et ces contraintes très fortes qui pèseront sur la consommation des ménages pourraient-ils être mis en œuvre dans un contexte démocratique et sans limiter fortement certains droits économiques?
- Est-ce que les classes dirigeantes qui ont le plus à perdre dans cette transition vont accepter de réorienter en profondeur le système économique et de sacrifier ainsi une grande partie de leur pouvoir et de leur niveau de vie?
- Est-ce que les classes populaires qui souffrent déjà d’une baisse de leur niveau de vie vont accepter de soutenir politiquement un projet qui vise à limiter le niveau de consommation global?
- Et dans l’immédiat, comment faire accepter un discours écologiste qui ressemble beaucoup au discours néolibéral dominant?
Si je pose toutes ces questions, ce n’est pas pour dire qu’il ne faut rien faire, ni pour minimiser l’importance de la contrainte écologique, mais parce que je pense qu’il faut réfléchir sérieusement aux problèmes de mise en œuvre en partant de la société telle qu’elle existe et non telle qu’on voudrait qu’elle soit.
Car le problème n’est pas d’inventer la société idéale mais de gérer la transition entre celle-ci et celle de demain. Or, pour cela, il faut porter une attention particulière à l’acceptabilité politique et sociale des mesures écologiques.
Je pense que nous devons tirer les leçons de la crise Covid. La gestion politique a été largement défaillante alors même qu’il s’agissait d’un danger immédiat et que les mesures étaient relativement faciles à prendre et à mettre en œuvre. De plus, pour la crise covid, les contraintes ont toujours été présentées comme transitoires et chacun pouvait donc se dire qu’un retour au “monde d’avant” serait possible. En revanche, la transition écologique devra être organisée sans retour en arrière possible.
En ce moment les candidats écologistes se réunissent à Poitiers pour débattre de leurs projets. Est-ce qu’ils ont des réponses à ces questions?
D’ailleurs, si j’ai écrit cette réflexion c’est d’abord en réaction à certains discours sur la décroissance, comme cette interview de Delphine Batho qui fait comme si la décroissance ce serait “une société du plus”
Je comprends que lorsqu’on est en campagne, on veut vendre des jours meilleurs et promettre que tout sera facile. Mais nier les contraintes de la décroissance ne sert pas les intérêts à long terme de l’écologie.
Bien sûr on peut préférer la croissance verte en affirmant qu’il est possible de faire croitre le PIB sans atteinte à l’environnement. Mais en vérité personne ne sait s’il sera possible technologiquement de réorienter en profondeur notre croissance pour limiter notre impact environnemental. Certes, les émissions européennes de CO2 diminuent depuis 1990. Mais cette diminution masque une hausse de l’empreinte carbone liées aux importations. Donc nous n’avons pas trouvé la formule magique du découplage.
En somme, ceux qui parlent de croissance verte font le pari que la technologie trouvera la réponse aux problèmes environnementaux, alors que ceux qui parlent de décroissance font le pari que cette dernière sera acceptable socialement et que la révolution de notre système économique pourra être mise en œuvre politiquement dans un avenir proche.
Honnêtement, je crains qu’aucun de ces paris ne marche. Mais bonne soirée à tous!