Deuxième billet sur Berlin 11, cette fois sur la position française exprimée par Roger Genet lors de la première session “Open access on the political agenda”, à la tribune puis au cours de la pause en fin de session.
Roger Genet a rappelé l’engagement fort de la France en faveur de l’Open access et développé trois points sur lesquels je voudrais revenir pour exprimer un point de vue strictement personnel :
- Il y a contradiction entre la diffusion ouverte et la préservation des systèmes de diffusion.
- La France, qui soutient l’OA sur tous les fronts, archives et publications, ne peut pas adopter une politique nationale en faveur d’un modèle car aucun n’est susceptible d’être adopté par tous.
- L’Open access est un mouvement “bottom-up”, tout est entre les mains du chercheur, une politique nationale fixant clairement un cadre réglementaire serait nécessairement malvenue.
1. “Disruption is not a bug, it’s a feature”
Roger Genet a expliqué que la politique Open access de la France se déclinait en 4 axes, présentés dans cet ordre :
- discuter avec les éditeurs, notamment des durées d’embargo
- promouvoir l’archive ouverte HAL (voie verte)
- promouvoir la publication en libre accès avec OpenEdition (voie dorée, modèle freemium)
- poursuivre le programme Persée pour la numérisation et la mise à disposition en ligne de revues papier.
Il a enfin souligné l’importance de préserver les systèmes de diffusion actuels.
On peut se réjouir des initiatives publiques citées. Il est absolument indéniable que HAL ou OpenEdition participent activement au développement de l’Open access en France. Sans ces projets, c’est sûr, nous n’aurions pas grand-chose à faire valoir. Mais on peut aussi s’étonner de voir placer en priorité numéro un (à moins que l’ordre de présentation, explicitement numéroté, ne soit pas représentatif de l’ordre de priorité ?) la négociation avec les éditeurs, et la question de leur préservation.
Comme l’a expliqué Mike Taylor lors de son intervention, la perturbation que représente l’Open access, chien dans le jeu de quilles d’éditeurs privés bien installés, n’est pas un dysfonctionnement : c’est une caractéristique intrinsèque de ce mouvement. Oui, le crétacé devait finir et les dinosaures disparaître pour que les mammifères se développent au paléocène. L’évolution de l’édition scientifique, recentrée sur la valeur ajoutée et non la simple diffusion, est à la fois urgente et inexorable. Plutôt que le freiner ou le nier, comme le voudraient certains groupes de pression d’éditeurs, il faut au contraire aider ce changement. Tout l’argent public qu’on investira pour maintenir en l’état l’écosystème est de l’argent perdu. Espérons que cet argent, s’il est utilisé pour les éditeurs privés plutôt que pour le développement de l’édition publique en OA, servira bien à accélérer radicalement cette mutation.
2. La stratégie du non-choix, aussi connue sous le nom de stratégie de l’âne de Buridan
Il est tout à fait louable de poursuivre les initiatives dans les deux voies. Mais en quoi cela empêche-t-il le pays d’adopter un mandat clair faisant d’une des deux voies un passage systématique pour les chercheurs ? M. Genet a expliqué que la diversité des pratiques disciplinaires et des écosystèmes de diffusion était telle qu’aucun modèle ne pouvait être adopté par tous. Il me semblait au contraire que les archives ouvertes présentaient cet avantage de pouvoir être utilisées par les chercheurs de toutes les disciplines, notamment parce qu’elles ne remettent pas en cause la liberté académique de l’auteur en matière de choix d’éditeur. Pourquoi donc ne pas opter pour un dépôt systématique des publications financées sur fonds publics dans des archives ouvertes, comme cela a été officiellement décidé dans d’autres pays ? Encourager l’Open access ne suffit pas, et adopter un mandat en faveur d’une des deux voies n’équivaut pas à rejeter l’autre, cela accroît juste la lisibilité de la politique nationale pour les chercheurs.
Ici je voudrais également revenir sur une phrase entendue à la pause, disant, en substance, que le problème des archives ouvertes était qu’il n’y avait pas de reviewing. C’est méconnaître le fonctionnement des archives ouvertes. Dans une archive, on peut déposer toutes sortes de documents, des articles parus dans des revues à comité de lecture, également des working papers. On trouve donc dans les archives comme HAL à la fois des publications validées par un comité de lecture ET d’autres types de documents, chacun clairement identifié. Le modèle de base, c’est que le reviewing ne se fait pas dans l’archive mais chez l’éditeur. Et aujourd’hui d’autres modèles de validation se développent pour cautionner a posteriori les preprints non publiés (le modèle des épirevues). Dans tous les cas, archive ouverte n’est en rien synonyme d’absence de validation scientifique.
Quand le “bottom” demande l’aide du “top” (et a parfois l’impression de crier dans le désert)
Pour le ministère, donc, l’Open access est un mouvement “bottom-up”, son succès dépend de la volonté des chercheurs. Au contraire, Sely Costa a fortement insisté sur le nécessaire double mouvement, un courant partant des acteurs eux-mêmes, l’autre “top-down” soutenant le premier (et par soutien il faut entendre soutien en actes). Une discussion informelle a fait entendre cette assertion : on ne peut pas exiger le dépôt en AO, les chercheurs ne l’accepteront pas, et cela sera source de grande confusion pour eux qui ne sauront plus quoi faire, pris entre la chaise du contrat d’édition et celle de la politique nationale.
Au contraire, c’est aujourd’hui que les chercheurs ne savent pas ce qu’ils ont le droit de faire et finissent par ne rien faire du tout ! Et c’est précisément pour leur donner un cadre légal clair que de nombreux pays adoptent des mandats nationaux primant sur les cessions de droit exigées par certains éditeurs. L’Allemagne a même modifié son droit d’auteur pour préserver d’office les droits de diffusion des chercheurs sur leurs travaux (même si cette loi présente elle-même des limites, j’y reviendrai sans doute, c’est tout de même une sacrée avancée au niveau de la démarche !). On se demande ce qui pourrait bien pousser les chercheurs à se révolter contre ce type d’initiative manifestement dans leur intérêt. Comme le souligne le texte du projet de loi :
“Des considérations purement pratiques militent également en faveur d’un droit d’exploitation secondaire : les auteurs sont perdus dans ce contexte aux pratiques disparates des maisons d’édition, et en raison des conditions commerciales relativement complexes des contrats d’édition en matière de droit d’auteur, pour savoir si, et dans quelles conditions concrètes de chacun de ces éditeurs, ceux-ci leur reconnaissent un droit d’exploitation secondaire. Devoir s’en informer ou interroger l’éditeur est ressenti comme une perte de temps de plus trop importante. Ainsi, la proposition législative instaure une garantie juridique : les auteurs comme les institutions scientifiques auront ainsi l’assurance qu’à un moment donné l’auteur a le droit d’autoriser la mise à disposition au public de la contribution qu’il a écrite”
(cf. traduction du projet de loi effectuée par l’INIST).
Les acteurs de terrain, chercheurs et bibliothécaires, ONT BESOIN de l’intervention de leur gouvernement, d’une politique OA engagée, et d’une réforme des modalités d’évaluation de la recherche ; ils n’ont même de cesse de le réclamer, pour preuve encore cette pétition lancée par le groupe CGT-INRA : Pour une politique publique de publication scientifique en libre accès (j’ai toujours l’impression que les éditeurs du privé savent beaucoup mieux se faire entendre que nous-mêmes, acteurs publics, de notre tutelle).
L’adhésion des chercheurs est évidemment un prérequis, mais la puissance publique doit donner armes, protection et plan d’action à ses petits soldats (oui la métaphore est guerrière ; mais elle a le mérite d’être claire). Donc ? Quelles prochaines étapes à l’agenda politique en France ?