Glyn Moody et Mike Taylor : l’Open access, un impératif moral

Les 19 et 20 novembre 2013 s’est tenue la conférence internationale Berlin 11. Au programme du dixième anniversaire de la Déclaration de Berlin, cinq sessions : “Open Access on the political agenda”, “The large picture : where are we today ?”, “The global perspective : OA at work”, “Future challenges” et enfin “Conclusions – a dialog”. À défaut d’une diffusion vidéo, live ou différée, les comptes-rendus d’Elena Giglia sont disponibles en ligne sur le blog Open Electronic Publishing.

J’aimerais dans un premier temps revenir ici sur deux interventions enthousiasmantes, celles de Mike Taylor et Glyn Moody, qui ont tous deux rappelé que l’Open access était avant tout une question éthique.

L’intervention de Mike Taylor est disponible sur son blog en CC-BY, en pdf et ppt. Celle de Glyn Moody est versée au domaine public et je le remercie pour l’envoi des fichiers source et pdf. Les références aux présentations dans ce billet sont indiquées sous la forme (initiales de l’auteur, numéro de slide). Les fichiers pdf des deux présentations sont également disponibles ici :

La publication recherche, une affaire de business ?

NON, répond sans ambiguïté Mike Taylor. “Publishing research is a mission” (MT, 12):

Et d’énumérer ce qu’est l’Open access (MT, 36 et suivantes) :

1. Open Access is about sharing/multiplying
2. Open Access is about justice
3. Open Access is about changing the world
4. Open Access is about unity
5. Open Access is about accepting reality

L’Open access au pied de la lettre : une affaire de liberté(s)

Les deux intervenants ont rappelé le texte exact des grandes déclarations de 2003, Budapest, Bethesda et Berlin. Les trois inscrivent l’Open access dans la logique de la General Public Licence, qui définit les conditions de distribution des logiciels libres en établissant quatre libertés fondamentales :

  • la liberté d’exécuter le logiciel
  • la liberté d’étudier le code
  • la liberté de redistribuer
  • la liberté de modifier et de partager les versions modifiées.

Les trois déclarations évoquent ces libertés (cf. MT 3-6). Citons Berlin :

Open access contributions must satisfy two conditions:The author(s) and right holder(s) of such contributions grant(s) to all users a free, irrevocable, worldwide, right of access to, and a license to copy, use, distribute, transmit and display the work publicly and to make and distribute derivative works, in any digital medium for any responsible purpose, subject to proper attribution of authorship

Littéralement, donc, Open access et Open source ont tout à voir ensemble. Le mouvement de l’Open access, qui concerne la diffusion des articles, mais aussi celle des données, implique l’utilisation des logiciels libres (GM, 13-14) :

Glyn Moody rappelle que Linux, système d’exploitation GNU-GPL, a fait ses preuves et que le libre est même à la base d’énormes succès entrepreneuriaux et commerciaux (GM, 6) :

Enfin, il pointe l’absurdité du système de brevetage des innovations issues de la recherche publique et plaide pour le versement systématique des avancées dans le domaine publique, pour ne pas entraver inutilement le développement qui peut en être fait ; développement source de progrès, mais aussi de richesse.

Freiner le progrès pour préserver un écosystème obsolète n’est pas acceptable

Le développement de l’Open access n’est pas aussi rapide qu’il pourrait l’être, notamment parce qu’on s’obstine à maintenir un système éditorial qui n’a plus de raison d’exister sous sa forme primitive. Aujourd’hui, la diffusion peut être immédiate et n’implique pas de coût de distribution (GM, 10, citant Clay Shirky : “publishing isn’t a job or an industry, it’s a button”) . Refuser ce progrès, endiguer la dissémination des savoirs, calquer le fonctionnement de l’édition en ligne sur le modèle de l’édition papier, pour préserver des intérêts financiers, n’est pas moralement acceptable. Un changement radical de l’écosystème éditorial est indispensable et urgent, et ce tournant n’a rien d’optionnel (MT, 76) :

Les éditeurs doivent désormais tirer leurs revenus de la valeur ajoutée, des services qu’ils apportent, et non de la simple mise en ligne d’un contenu. Mike Taylor rappelle que l’étymologie de “publication” a tout à voir avec le fait de rendre public et que les éditeurs n’ont pas à cacher les articles derrière de hauts et coûteux murs (MT, 65). Enfin, et pour toutes ces raisons, Glyn Moody préconise l’approche ZEN : zero embargo now (GM, 16).

Conclusion

Alors oui, nous sommes encore loin du real Open access, dans les esprits, dans la pratique, pour des questions juridiques, administratives, pour des questions de profits, aussi, surtout. Il va de soi que les initiatives Open access telles que nous les connaissons aujourd’hui, qui en général ne sont pas parfaitement, disons, “GNU-GPL compliant”, n’ont pas à rougir de leur pragmatisme : au point où nous en sommes, il est évident que la priorité est la diffusion des résultats de la recherche, dans les conditions que permettent le système actuel et les contrats signés par les auteurs. C’est une étape déjà majeure dans l’adoption de l’Open access. Mais il est bon de s’entendre rappeler de temps en temps quels buts plus élevés on poursuit ce faisant. Ce genre de présentations est un puissant antidote à la démotivation.

Future perfect (GM, 16) :

Quelles licences de diffusion pour une archive ouverte institutionnelle ?

Ce billet est un compte-rendu de l’entretien téléphonique qu’a bien voulu m’accorder ce jour Lionel Maurel. Je publie ces notes, certaine que ces précisions seront utiles à d’autres promoteurs d’archives institutionnelles…

Une licence pour les métadonnées ?

L’archive institutionnelle est une base de données, son producteur dispose de droits spécifiques et peut apposer une licence. Par ailleurs la base de données appartenant à une institution publique, les données contenues sont de fait des données publiques. Dans notre cas plusieurs licences sont envisageables :

  • Licence ouverte Etalab, créée spécifiquement pour la diffusion des données publiques. Elle équivaut à une licence Creative Commons CC BY. C’est la licence utilisée pour IDref par exemple.
  • ODBL : Open Database License, licence spécifique aux bases de données, équivalent d’une CC BY-SA. Cette licence libre est utilisée par le projet OpenStreetMap. À noter : la réutilisation des données via un moteur de recherche par exemple ne déclenche pas le “share alike”. Celui-ci n’entre en jeu qu’à partir du moment où les données sont modifiées.
  • CC0 : cette licence Creative Commons permet de renoncer à tout droit et de verser l’objet au domaine public par anticipation.

Peut-on utiliser les licences CC pour les articles (ou autres documents sous contrat) ?

Si l’auteur souhaite pouvoir diffuser son travail sous licence CC, le plus simple est de faire apparaître ce point dans le contrat signé avec l’éditeur. Néanmoins, lorsque le contrat signé est une cession de droit non exclusive, alors l’auteur peut librement diffuser son travail, y compris sous CC s’il le souhaite. En revanche lorsque la cession de droit est totale, l’auteur n’a pas cette liberté.
La licence de diffusion devrait donc être mentionnée explicitement dans une clause additionnelle précisant que l’auteur a le droit de déposer et diffuser son travail dans son archive institutionnelle (au moins). L’éditeur pourrait sans doute accepter une licence CC BY-NC, peut-être préférer CC BY-NC-ND.
Dans l’addendum SPARC, le choix d’une licence CC n’est pas évoqué, mais la phrase suivante offre à l’auteur la possibilité d’autoriser un usage non commercial de son travail, droit qui peut donc ensuite être exercé avec une licence CC : “the right to authorize others to make any non-commercial use of the Article so long as Author receives credit as author and the journal in which the Article has been published is cited as the source of first publication of the Article”.

Et les données de la recherche ?

Jusque très récemment, les Creative Commons ne pouvaient pas être appliquées aux données. La version 4.0 modifie cela, et désormais on peut choisir d’attribuer une licence pour l’article et les sets de données liés, ou une licence pour l’article, une autre pour les données, à la guise de l’auteur.

Une institution publique est-elle libre de disposer des productions de ses chercheurs, au moins en intranet ?

Le code de la propriété intellectuelle prévoit que tout travail produit par un agent public dans l’exercice de ses fonctions appartient de fait à son institution, qui peut en user à sa guise. Sauf que le CPI comprend une clause d’exception pour les chercheurs, qui restent propriétaires de tous leurs droits sur leur production, même s’ils sont financés par l’État.

Angers à Strasbourg

Sur invitation de Paul-Antoine Hervieux, vice-président de l’Unistra, en charge du numérique et des partenariats avec les EPST et les collectivités, une délégation angevine est allée à Strasbourg le 21 octobre dernier. Nathalie Clot (directrice BU), Stéphane Amiard (VP numérique UA) et moi-même (chef de projet archive ouverte) avons présenté sous toutes les coutures le projet d’archive institutionnelle, à un public large et averti : environ 25 personnes, dont Alain Beretz, président de l’Unistra, Jean-Luc Bischoff, vice-président recherche de l’Université de Haute Alsace, plusieurs autres VP des deux universités, ainsi que les directeurs de services recherche, documentation, informatique, plusieurs chercheurs et des représentants de la Bibliothèque Nationale Universitaire.

Voici le support de cette présentation. Il se divise en trois parties :

  • une introduction sur la valorisation du capital immatériel, par Stéphane Amiard, diapos 1 à 4
  • une présentation de la stratégie angevine, par Nathalie Clot, diapos 5 à 18
  • une présentation axée gestion de projet, par Stéphanie Bouvier, diapos 19 à 27.