Contre le populisme de gauche

À chaque fois que je lance sur les réseaux sociaux une discussion sur le sujet de la politique sanitaire, je me retrouve à devoir gérer des commentaires hostiles et bourrés de fausses informations et je reçois moultes accusations comme quoi je serais devenu un traite à la cause.

(Par contre quand je livre une tribune détaillée et argumentée sur la présidence de l’UE je reçois beaucoup moins de commentaires.)

Ceux qui croient que j’ai changé d’opinion ne m’ont sans doute jamais lu correctement. Je me suis toujours exprimé sans aucune complaisance contre les tenants de la pensée magique. Et si je critique les économistes mainstream, les néolibéraux, le fonctionnement de l’UE et du marché unique et les dérives d’une certaine gauche tentée par le populisme c’est au nom des mêmes principes et c’est parfaitement cohérent avec tout le reste.

Depuis plusieurs années, sous l’influence de certains intellectuels post-marxistes et néo-gramsciens adeptes de la pensée de Chantal Mouffe et consorts, une partie des militants de gauche, sans doute un peu déboussolés par l’OPA de Macron en 2017 et les trahisons multiples du PS, se sont réfugiés dans une pensée stérile qu’on peut résumer à une forme de “populisme de gauche”. Cette pensée met l’accent sur une bataille non pas idéologique, mais culturelle et médiatique.

L’objectif de cette nouvelle gauche est de rassembler les classes populaires en remplaçant l’opposition capital / travail, jugée peu compréhensible par les masses et peu efficace électoralement, par une opposition peuple / élite.

Par ailleurs, pour être mieux entendue, elle a aussi développé un discours culturel fondé sur des valeurs immédiatement compréhensibles par les gens, que ce soit les querelles sur l’usage de l’écriture inclusive, les rapports hommes / femmes, les systèmes “d’oppression culturelle”, les guerres des méthodes d’enseignement, etc.

Tous ces “combats” marchent du tonnerre sur les réseaux sociaux parce qu’ils sont simples à comprendre et attisent des communautés de militants radicalisés tout en renvoyant les questions politiques à des enjeux relevant de valeurs purement individuelles.

Certains pensent que la FI a changé entre 2017 et 2022. La thèse d’Hadrien Mathoux est que Mélenchon serait passé d’une stratégie populiste à une stratégie d’union de la gauche, d’une vision républicaine à une vision “woke”. J’ai beaucoup d’estime et d’amitié pour Hadrien mais je ne suis pas d’accord avec lui sur ce point. Si le discours a bel et bien changé, la stratégie reste la même. Mélenchon entend faire de la politique “dépolitisée”. Il entend parler aux émotions et non à la raison. Sa stratégie est toujours fondée sur une analyse post-marxiste qui entend mener la bataille culturelle au détriment de la bataille idéologique.

Les dérives actuelles du mélenchonisme ne sont rien d’autre que la continuation de la stratégie de 2016, celle du populisme de gauche. C’est au nom de l’opposition peuple / élite que Mélenchon va rencontrer le leader des antivax de Guadeloupe et reprend les rumeurs scientifiquement non démontrées sur d’hypothétiques effets graves de la vaccination pour les personnes intoxiquées par le Chlordécone. C’est aussi au nom de cette stratégie populiste que Mélenchon bataille contre le pass sanitaire et refuse d’appeler clairement les classes populaires à se faire vacciner.

Mais cette stratégie est une erreur, une monumentale erreur. Le populisme de gauche est sans avenir électoral et politique, même s’il fait illusion sur les réseaux sociaux. Le populisme est fondamentalement une stratégie que ne peut mener que la droite et l’extrême droite. La gauche perdra toujours à nier l’opposition gauche / droite et à refuser de tenir un discours idéologique cohérent.

Permettez-moi de m’expliquer. Ce n’est pas très compliqué à comprendre. Le populisme repose sur la défiance envers les institutions. Celles-ci sont accusées de véhiculer des schémas d’oppression et d’exploitation, de nourrir les inégalités et d’empêcher le peuple de conquérir le pouvoir. Tout cela est vrai, et Marx ne dirait pas autre chose.

Mais là où les populistes de gauche se trompent, c’est qu’ils pensent que dénoncer ces institutions suffit. Que faire d’un mouvement politique “le bruit et la fureur” du peuple suffit à attirer les voix des électeurs et ensuite à gouverner. C’est une grave erreur.

Le problème est que la gauche est fondamentalement pro-institutions. Elle est fondamentalement pro-Etat, pro-Nation, pro-éducation publique, pro-système de santé généralisé, pro-science…

En tant qu’économiste de gauche, je n’ai cessé de rappeler à mes collègues néoclassiques que l’individu pur est une fiction. Nous sommes tous les représentants d’un collectif autant que nous sommes des individus. Notre langue est une institution collective, de même que notre système de représentation, nos valeurs, nos croyances. Personne n’existe par lui-même, détaché des autres. C’est parce qu’ils oublient cette vérité que les économistes contemporains racontent n’importe quoi. C’est parce que les individus sont attachés les uns aux autres que les nations existent et que le projet européen est une impasse.

Or, le populisme de gauche oublie que fonder toute sa stratégie sur la critique institutionnelle, cela revient à faire ce que dont les libéraux rêvent: atomiser l’individu, le renforcer dans une vision paranoïaque du monde, lui enlever toutes les autres clés de compréhension de l’analyse sociale. Dire: “big pharma vous ment, les médecins vous mentent, le but du gouvernement c’est de vous asservir”, ce n’est pas du tout rassembler le peuple, c’est affaiblir les institutions sociales, la démocratie, et le priver de tout levier de pouvoir et d’action démocratique (pourquoi aller voter si les dés sont pipés d’avance?).

La manière dont la FI a mit au cœur de son programme la révocation des élus est symptomatique du fait qu’elle prend la défiance envers la démocratie comme une réalité indépassable qu’il faut accepter et gérer et non reconstruire. Mais comment allez-vous renverser le capitalisme si vous partez du principe qu’on ne peut pas avoir confiance en la politique? Comment voulez-vous créer une Assemblée constituante si vous ne croyez pas en la démocratie représentative? Une assemble constituante reste une Assemblée, c’est à dire un collectif de représentants élus à qui les électeurs font confiance. S’il n’y a plus de confiance, il n’y a plus de légitimité. Et alors bon courage pour rédiger une nouvelle constitution avec 67 millions de rédacteurs!

La démocratie suppose la confiance. La gauche est morte si elle refuse toutes les institutions qui sont au cœur de notre société. Rassembler le peuple est un mot creux si on refuse d’admettre que le “peuple” est un ensemble organisé d’individus qui développent des liens de confiances les uns envers les autres à travers des institutions. Si le peuple n’est qu’une montagne de grains de sable sans liens entre eux, sans structure, sans classe, sans nation on ne peut plus rien construire. Essayez de construire quelque chose de durable avec du sable sec. La seule chose qui en émergera ce sera le chaos et le délitement de tout.

En résumé, la gauche doit construire de nouvelles institutions. Elle doit porter un discours optimiste, rassembler non pas contre mais pour un nouveau modèle de société. Elle doit abandonner sa critique stérile et aveugle de toutes les institutions. Elle doit défendre la démocratie représentative, défendre les médecins et les hospitaliers qui désespèrent de voir des patients non vaccinés remplir les salles de réanimation. Elle doit arrêter de croire que tous les journalistes sont corrompus par nature, que tous les élus sont des traitres et que le monde est fondamentalement la guerre de tous contre tous.

Tout cela ne peut que nourrir à terme des revendications autoritaristes et des visions paranoïaques du monde.

5 réflexions sur « Contre le populisme de gauche »

  1. C’est bien. On a là les bases d’une gauche républicaine et sociale et une critique judicieuse de certains errements dangereux, voire funestes, au nom de ce “populisme de gauche”. Une opposition qui serait purement et exclusivement dénonciatrice risque fort, en effet, d’être supplantée par les démagogues de tout poil. Bravo aussi pour le texte ironique mais bien documenté sur la présidence française « de l’Europe »..

    Reste à formuler des propositions concrètes, crédibles et mobilisatrices et à tirer les enseignements des difficultés à traduire politiquement et « populairement » les critiques, par ailleurs judicieuses, des économistes « contre la pensée unique », à Attac puis « atterrés ». Peut-être était-ce impossible jusqu’à présent mais ne le restera-t-il pas durablement !

    J’espère que 2022 nous permettra de progresser dans cette voie.

    Bien cordialement et bonne année, donc.

    Alain Gély

  2. Ce texte est très intéressant, merci. La gauche classique a sans doute perdu la confiance des gens ordinaires pour bien longtemps. Le succès relatif de Mélenchon est superficiel. Il y a peu d’engagement sérieux derrière, comme on l’a vu aux européennes et aux élections locales, sans parler des mouvements sociaux. Cela aurait été mieux de l’avoir lui au second tour plutôt que Marine Le Pen, je crois, mais ce n’est pas fondamental.

  3. – 1500€ de retraite me suffisent
    – la retraite à 60 ans sera payée par les actifs donc les jeunes donc je n’y suis pas favorable.
    – reprendre le contrôle sur toute l’information collectée sur nous sans notre consentement OUI
    – reprendre le contrôle de notre santé YA DU BOULOT !
    – l’égalité hommes femmes … ce n’est pas en chnuchant sur toutes les chaines que les femmes vont apprendre à s’affirmer au bon moment.

    Sinon, c’est le seul candidat potable
    mais je ne suis pas sûre de me déplacer,
    les députés ne servent plus à grand chose.
    Voter servirait uniquement à garantir des subsides à ce candidat qui n’a sans doute pas de local puisqu’il ne donne aucune adresse.

  4. Un texte qui me fait du bien. Cela fait un moment que je me désole de voir ce qu’est devenu la gauche, je suis heureux de voir que mon constat est partagé, et développé dans une telle analyse.

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