Troisième épisode de la série Le glorieux passé de l’austérité
Vers l’épisode 1
La brutale crise économique américaine, révélée et accélérée par l’effondrement des valeurs financières sur les marchés de Wall Street en octobre 1929, s’exporte presque instantanément en Allemagne. Durant les années 20, l’économie allemande était devenue doublement dépendante de l’économie américaine. En premier lieu, les consommateurs européens n’hésitant pas à boycotter les produits allemands, le marché américain s’avère indispensable à l’industrie exportatrice, qui elle-même est impérative pour faire face au paiement annuel des Réparations (elles ne seront suspendues qu’en 1932). En second lieu, l’Allemagne manque de capitaux et a besoin d’investisseurs pour financer sa croissance. Pour cela aussi les Américains sont indispensables. Or, la crise qui sévit de l’autre côté de l’Atlantique coupe brutalement ces deux moteurs de l’économie allemande. Dès le début de l’année 1930, les exportations chutent de moitié, ce qui se traduit immédiatement par une explosion du chômage, qui monte jusqu’à trois millions de personnes dans le courant de l’année 1930, soit 14% de la population active.
Pour faire face à cette situation, le président Hindenburg décide, le 28 mars 1930, de nommer chancelier le centriste Heinrich Brüning. Austère célibataire, Brüning a la réputation d’être un homme à poigne. Il ne fait pas preuve d’un enthousiasme débordant vis-à-vis de la démocratie parlementaire allemande à laquelle il préfèrerait une « démocratie autoritaire », selon sa propre expression. Il faut par tous les moyens, pense-t-il, prendre des mesures énergiques pour rétablir la balance commerciale. Il refuse néanmoins d’envisager une dévaluation. Le souvenir de l’hyperinflation de 1923 est encore dans les mémoires de ses compatriotes. Or, comment concilier l’orthodoxie monétaire avec le retour de la compétitivité allemande ? Il suffit de baisser les prix, c’est-à-dire les salaires, de baisser les dépenses publiques, et de s’assurer que les entreprises dégagent suffisamment de profits pour investir et relancer l’appareil productif.
Au début de l’été, Brüning présente donc son plan aux députés. Le Reichstag le refuse. La rigueur ne trouve pas de majorité dans un Parlement composé de 491 députés appartenant à une quinzaine de partis. Brüning lui-même doit composer avec une grande coalition hétéroclite, qui va des sociaux-démocrates aux conservateurs. Incapable d’imposer sa politique, il dissout et convoque de nouvelles élections pour septembre. Le résultat est mauvais pour la grande coalition et catastrophique pour les conservateurs. Si le Parti social-démocrate reste le premier parti d’Allemagne, il perd de nombreuses voix. Les deux grands gagnants sont le parti communiste, qui gagne 23 sièges et devient la troisième force politique du Reichstag… et surtout les nazis qui passent de 12 à 107 sièges, s’imposant comme la deuxième force politique du Parlement.
Pour Brüning, la dissolution est un échec. Il n’a toujours pas de majorité pour sa politique. Peu importe, il gouvernera par décrets-lois comme la Constitution l’y autorise. Il compose alors un gouvernement minoritaire, soutenu essentiellement par la droite, pour faire passer ses mesures. Mais les baisses de salaires et de dépenses publiques, la fin de nombreuses prestations sociales et la hausse des impôts n’amèneront ni la prospérité économique ni le soutien populaire. Le chômage ne cesse d’augmenter pour atteindre plus de 4,7 millions de personnes en mai 1931. La crise économique et financière s’approfondit avec la faillite de nombreuses banques et l’effondrement de la production industrielle tout au long de l’année 1931. Cette situation pousse le chancelier à accélérer les mesures d’austérité. Dans la rue, les millions de chômeurs conspuent Brüning et ses « décrets de la misère ». L’instabilité économique nourrit l’instabilité politique et génère des affrontements réguliers entre les communistes et les SA d’Hitler. Aux élections de juillet 1932, le parti National-socialiste d’Adolf Hitler obtiendra 37,3% des voix et plus du tiers des députés du Reichstag, faisant des Nazis le premier parti d’Allemagne.
L’expérience Brüning durera moins de trois ans. Le 30 janvier 1933, Hindenburg est contraint de nommer Adolf Hitler chancelier. La crise économique et la politique d’austérité de Brüning auront réussi le tour de force de transformer un chef de parti ultra-minoritaire en chancelier, et bientôt en maître absolu de l’Allemagne. L’année suivante, Brüning émigrera aux États-Unis… où il enseignera l’économie.