L’isolement d’Emmanuel Macron en Europe

N’en déplaise aux commentateurs de l’actualité politique, le discours tenu le 17 avril dernier par Emmanuel Macron devant le Parlement européen ressemble plus à un baroud d’honneur ou au lancement de la campagne des élections européennes de la République en Marche qu’à une tentative sérieuse de « refonder l’Europe ».

De fait, le président français semblait d’avantage s’adresser à son électorat national qu’à ses partenaires européens. Que peut-on retenir de ce discours ? Rien, ou presque. Emballé dans des propos convenus, le concept de « souveraineté européenne » n’est intéressant que pour sa profonde ambiguïté. S’agit-il d’affirmer l’indépendance de l’Union européenne sur la scène internationale ou de décréter la disparition des souverainetés nationales ? En réalité, ni l’une ni l’autre n’a de sens. Il s’agit plutôt, comme d’habitude, d’entretenir l’illusion d’une « démocratie européenne » dans l’enceinte d’un Parlement censé en être l’incarnation, mais qui n’a pratiquement aucun pouvoir réel et qui n’a d’ailleurs jamais connu d’alternance. Quant à la proposition d’aider financièrement les collectivités locales qui accueillent des réfugiés, ça ne mange évidemment pas pain. Et si cela permet de contrebalancer dans l’opinion l’image désastreuse de sa politique envers les migrants, c’est toujours bon à prendre ! Evidemment, la ficelle est un peu grosse. Pour le reste, les députés auront surtout entendu des vœux pieux sur des sujets qui sont loin de faire consensus et qui ne seront sans doute jamais mis en œuvre.

Il faut dire que si Macron en est réduit à professer des banalités devant les députés européens, c’est surtout parce qu’il n’a plus grand-chose de neuf à leur dire. Le discours de la Sorbonne qu’il tenait en septembre dernier et qui détaillait une ambitieuse série de réformes a fait long feu. Il a eu le temps, depuis, de se rendre compte du manque de soutien de ses homologues européens et de réaliser que courir tout seul en portant l’étendard européen sans être suivi par personne relevait davantage de l’humiliation que du courage et du volontarisme.

La principale déception d’Emmanuel Macron est évidemment allemande. Malgré la constitution d’une grande coalition supposément favorable à ses projets, Angela Merkel a fini par clarifier sa position en envoyant une fin de non-recevoir  à son projet, pourtant modeste, de création d’un budget propre de la zone euro. C’est que l’Allemagne refuse par principe tout projet qui impliquerait une mutualisation des dépenses dont elle serait la principale contributrice sans avoir de garantie sur l’usage qui en serait fait. Or, l’idée d’un ministre des finances de la zone euro est bien de donner à celui-ci une capacité d’action pour financer des investissement susceptibles de contrebalancer les déséquilibres internes de la zone euro. En clair, il s’agit de pourvoir au développement de l’Europe du Sud avec de l’argent allemand. Et cela, du point de vue allemand, est inacceptable, surtout dans le contexte de crispations identitaires qui est apparu lors des élections de septembre.

Autre grand projet macroniste qui a du plomb dan l’aile, la lutte contre le dumping fiscal. Le « Luxleaks », les enquêtes menées par la Commissaire chargée de la concurrence, et les aberrations statistiques[1] ont montré que l’évasion fiscale des entreprises s’organise aujourd’hui à l’échelle industrielle. Cela réduit la base fiscale des grands pays qui tentent donc, par le biais de la Commission européenne, de remettre des règles dans le Far-West fiscal européen. Malheureusement, un groupe de huit pays du nord de l’Europe emmené par les Pays-Bas refuse obstinément toute ingérence européenne dans leur politique fiscale. Et les traités ne prévoient aucun mécanisme pour contraindre ces pays à accepter une quelconque tutelle européenne à ce niveau. Autant dire qu’il faudra convaincre, ce qui est loin d’être acquis.

Passons sur l’hostilité croissante des pays du centre de l’Europe, Pologne et Hongrie en tête, qui refusent toute immixtion européenne dans leurs affaires intérieures et donc toute réforme de type fédéraliste. La victoire sans ambiguïté du parti de Viktor Orbán aux dernières élections législatives hongroises prouve que l’euroscepticisme ne va pas disparaître de sitôt du Conseil européen. L’Autriche est aujourd’hui gouvernée par une coalition droite/extrême droite ; l’Italie n’a toujours pas de gouvernement malgré la victoire du Mouvement cinq étoiles, un parti qui s’est développé sur un euroscepticisme militant. Bref, pour les projets français, les partenaires de discussion deviennent une denrée rare.

En 2017, Emmanuel Macron avait mené sa campagne sur la promesse d’une refondation de l’Union européenne. Il promettait qu’en étant le bon élève et en respectant scrupuleusement les traités, notamment la règle de l’équilibre budgétaire, la France allait pouvoir parler d’une voie forte en Europe et être entendue. La réalité c’est que l’austérité budgétaire, les ordonnances travail et la réforme de la SNCF ne suffiront pas pour convaincre. Le jeu du gentil garçon obéissant a ses limites, celles des intérêts nationaux qui n’ont pas l’intention de disparaitre parce qu’on va réformer le statut des cheminots.

Ultime humiliation pour Macron, malgré ses demandes répétées, aucun parti européen n’a pour l’instant promis d’accueillir En Marche dans ses rangs à l’issue des élections de 2019. Non seulement la France est isolée en Europe en portant des projets de refondation qui n’intéressent personne, mais le parti présidentiel risque de se retrouver lui-même isolé au Parlement européen.


[1] Lire : David Cayla (2017), « Ces chiffres miraculeux de l’économie irlandaise », blog des Economistes atterrés sur Libération.

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