Certainement pas Jean-Paul Saint-André, président de l’Université d’Angers, signataire de la tribune parue vendredi 15 mars dans le journal Le Monde.
En juillet 2012, la Commission européenne a émis une recommandation relative à la publication en accès ouvert (c’est-à-dire gratuit pour le lecteur) des résultats de la recherche scientifique financée sur fonds publics. La Commission considère en effet qu’une telle démarche est nécessaire pour renforcer la visibilité de la recherche européenne à l’horizon 2020, en levant progressivement les obstacles qui se dressent entre le lecteur et l’article scientifique, après un éventuel embargo de six à douze mois. Cet avantage, l’Amérique latine, par exemple, l’a déjà saisi depuis une décennie en lançant de puissantes plateformes de revues en accès ouvert. Scielo et Redalyc, qui comptent à elles deux près de 2000 revues ont considérablement gagné en visibilité grâce à l’accès ouvert : le portail brésilien Scielo est désormais plus consulté que l’américain Jstor. Ces exemples montrent que l’accès ouvert change le rapport de forces dans un monde dominé par des groupes détenant des portefeuilles de milliers de revues majoritairement de langue anglaise : il ouvre la porte à ce qu’on peut appeler une véritable bibliodiversité en favorisant l’émergence d’une pluralité de points de vue, de modalités d’édition, de paradigmes scientifiques, de langues.
Certains acteurs français de l’édition de revues en sciences humaines et sociales (SHS) se sont émus de ce qu’ils ont perçu comme une menace pour un modèle économique fragile. En fait, il serait souhaitable d’analyser précisément l’activité de ce secteur en identifiant les sources et modes de financements directs et indirects, publics et privés, de cartographier les rôles des différents acteurs en cernant la plus-value apportée par chacun afin de déboucher sur une véritable analyse des coûts. Craindre l’accès ouvert nous paraît relever d’une vision étroite et, pour tout dire, erronée de l’avenir. Isoler, aujourd’hui, les SHS dans un espace spécifique ferait de ce dernier un conservatoire voué à la disparition. Selon nous, les SHS peuvent au contraire se placer à l’avant-garde de ce mouvement d’ouverture, en raison même de la demande sociale grandissante dont elles sont l’objet (nous estimons le cumul des visites sur Cairn, OpenEdition, Erudit et Persée à environ 10 millions de visites mensuelles !). Les inquiétudes exprimées par nos amis et nos collègues sont à cet égard largement infondées. Non seulement la part des ventes hors des institutions d’enseignement supérieur et de recherche est faible dans l’économie des revues SHS qui reste très largement subventionnée directement ou indirectement par des fonds publics, mais il existe aujourd’hui des modèles économiques nouveaux qui renforcent la position des éditeurs sans pour autant faire payer les auteurs, comme le démontre le succès du programme Freemium promu par OpenEdition, une initiative française. Des solutions permettant de financer une édition électronique ouverte de qualité sont en train d’être inventées et de prouver leur efficacité, de Scielo à Public Library of Science (PLOS), de Redalyc à OpenEdition. Il serait désastreux que les SHS se placent en retrait de ce puissant mouvement d’innovation qui reconfigurera sans doute durablement le paysage scientifique; elles doivent au contraire faire partie des disciplines en tête de ce mouvement, comme dans les mondes hispanophone et lusophone. La résistance de certains de nos collègues à cette évolution paraît être un calcul à trop court terme face aux gains scientifiques, pédagogiques potentiels et, in fine, à la démocratisation de l’accès au savoir.
La question, selon nous, n’est pas seulement d’ordre économique et commercial. Même si le problème posé par l’existence d’un oligopole Elsevier/Springer/Wiley pèse fortement sur les budgets des universités et si le mode de financement de l’édition universitaire mérite d’être repensé, c’est avant tout, avec l’accès ouvert généralisé, de politique scientifique qu’il s’agit. En effet, la connaissance ne saurait être traitée comme un bien classique et la circulation des savoirs est aujourd’hui plus que jamais un enjeu de société : il nous est possible de mettre en œuvre une révolution dans la démocratisation de l’accès aux résultats de la recherche. Un savoir enfermé derrière des barrières et accessible aux seuls happy few des universités les plus riches est un savoir stérile, et pour tout dire confisqué alors qu’il est produit grâce à des financements publics. Dans ce débat, les établissements d’enseignement et de recherche ont un rôle clef à jouer. La diffusion des connaissances et des résultats de la recherche et leur communication auprès du plus grand nombre font partie de leurs missions. Une politique scientifique bien pensée requiert dans ces conditions la construction d’infrastructures numériques publiques, mais aussi des politiques éditoriales innovantes, favorisant les croisements disciplinaires, les nouvelles formes d’écriture, le multilinguisme et la diffusion la plus large.
Qui a peur de l’accès ouvert? L’accès privatif bride la dissémination des idées et est inadapté aux nouveaux paradigmes offerts par le numérique. Il est temps de voir dans le Web une formidable occasion dans le domaine de l’innovation, de la diffusion des savoirs et de l’émergence de nouvelles idées.
Nous n’avons pas peur de l’accès ouvert. Sortir les savoirs des silos et des frontières des campus, c’est les ouvrir à tous, c’est reconnaître à la connaissance un rôle moteur dans nos sociétés, c’est ouvrir des perspectives d’enrichissement collectif.
N’ayez pas peur de l’accès ouvert ! Il est désormais possible de fonder un nouveau contrat scientifique, éditorial et commercial entre chercheurs, éditeurs, bibliothèques et lecteurs pour entrer véritablement dans une société de la connaissance partagée, dans une démocratie du savoir.