Interview de Paul Sugy pour le Figarovox.
FIGAROVOX.- Le «deal» conclu entre Boris Johnson et Jean-Claude Juncker résout-il une bonne fois pour toutes la question de la frontière irlandaise?
David CAYLA.- Le dispositif du backstop, prévu par Theresa May et vivement critiqué par Boris Johnson, a été abandonné dans ce «deal» au profit d’un autre dispositif plus satisfaisant pour les Britanniques.
Rappelons que dans le projet d’accord précédent, l’Irlande du Nord devait en effet rester dans le marché unique européen, sous législation de l’UE, et le Royaume-Uni tout entier restait (pour le commerce des biens) dans l’union douanière Ces dispositions auraient été provisoires, mais en cas de non-accord futur elles se seraient appliquées, et le Royaume-Uni était pris dans un piège. Du point de vue britannique, cela aurait représenté une perte de souveraineté importante en Irlande du Nord (qui serait restée soumise aux lois de l’Union européenne), et surtout, le Royaume-Uni n’aurait pas pu négocier des tarifs douaniers avec un pays tiers: l’UE aurait continué à mener les négociations commerciales au nom du Royaume-Uni.
Cet accord change le dispositif: d’abord, le Royaume-Uni (et donc l’Irlande du Nord aussi) sort de l’union douanière. L’Irlande du Nord restera soumise aux règles européennes, mais pourra en sortir tous les quatre ans si son parlement le décide, ce qui revient à lui confier un droit de veto. Ces deux dispositifs essentiels sont une victoire pour Boris Johnson.
Il reste plusieurs détails qui gênent les partisans d’un Brexit dur: la législation européenne continuera en effet de s’appliquer en Irlande du Nord, des règles sont prévues pour éviter que le Royaume-Uni ne se comporte en paradis fiscal, des protocoles de contrôle des marchandises seront mis en place à la frontière entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord… Ce qui ennuie les députés unionistes d’Irlande du Nord.
Ces députés ont annoncé qu’ils ne voteraient pas le deal. Boris Johnson peut-il espérer malgré tout remporter le vote du parlement?
Le problème en effet, c’est que Boris Johnson n’a plus de majorité au parlement. Ce sont les petits partis ou les députés indépendants qui pourront faire basculer le vote. Mais les députés britanniques ont une pression très forte qui pèse sur eux: Jean-Claude Juncker a annoncé qu’il n’y aurait pas de report possible du Brexit, ce sera ce deal… ou le no deal. Bien sûr, les travaillistes sont opposés à l’accord car ils sont opposés au Brexit, ou à tout le moins ils veulent rester dans le marché unique européen. Mais s’ils font capoter cet accord-là, le Royaume-Uni sortira sans accord, ce qui est pire encore.
Boris Johnson a relativement bien réussi son coup malgré tout: il vient de prouver qu’un accord alternatif à celui conclu par Theresa May était possible. Ce deal permet au Royaume-Uni de retrouver une marge de manœuvre supplémentaire. C’est un coup de maître. On avait du mal à l’envisager il y a quelques semaines encore.
Cet accord est une défaite pour le camp des « durs », dont faisait partie la France
L’Union européenne a donc fait d’importantes concessions…
Cet accord est une défaite pour le camp des «durs», dont faisait partie la France, qui voulaient faire payer au Royaume-Uni le Brexit. Emmanuel Macron a annoncé depuis longtemps qu’il se préparait à un no deal: en fin de compte, il a assoupli sa position, contraint par l’évidence que le no deal aurait été catastrophique pour tout le monde, Européens comme Britanniques. L’Allemagne est en période de récession ; la France est très liée au Royaume-Uni et le no deal aurait fragilisé énormément ses agriculteurs et ses pêcheurs… L’Union européenne a donc assoupli considérablement ses positions, lâchant plus de lest qu’elle n’en avait accordé à Theresa May. La morale de cette histoire, c’est qu’en fin de compte les Européens sont restés intransigeants face à un partenaire conciliant comme l’était Theresa May, mais qu’ils ont fait bien plus de concessions devant un partenaire dur comme Boris Johnson. Cela démontre que l’Union européenne n’a pas négocié correctement le Brexit: elle aurait dû être plus souple depuis le début.