Le rapport Attali : la croissance version supermarché

L’ancien conseiller de François Mitterrand, faute d’idée originale, se contente de reprendre le discours sarkoziste… et risque de faire du marché et de la concurrence les outils principaux d’une désindustrialisation française.

Lorsque Jacques Attali travaillait à l’Elysée, au début des années 80, les responsables politiques tenaient encore en haute considération la politique industrielle, le fait que l’Etat puisse organiser sur le long terme la structure productive de l’économie. Cette politique part du principe que toute richesse économique est d’abord le résultat d’une production, et qu’engager une politique de croissance suppose de mettre l’accent sur l’efficacité productive et sur les savoir-faire, dans le cadre d’un développement territorial harmonieux. Près de trente ans plus tard, le vent a tourné et Jacques Attali aussi. Partout en Europe, la politique de la concurrence se substitut à la politique industrielle. Au lieu de mettre l’accent sur la production, la droite libérale ne voit dans le système économique qu’un vaste marché dans lequel la richesse se crée, spontanément, par l’échange. Cette conception a pour conséquence une politique économique qui vise à laisser faire le marché et à limiter au maximum les restrictions à l’échange. A ce titre, la Commission Attali pour la Libération de la Croissance Française est bien le reflet de son époque. Le nom même de la Commission laisse peu de doute à ce sujet. La croissance en France est-elle entravée ? « Bien sûr ! » répondent les zélotes de l’échange. Toute réglementation est une entrave au commerce et donc à la croissance. Le marché et la concurrence c’est l’économie ; la production, c’est ringard.

UN RAPPORT SIMPLISTE

Une fois admis ce postulat idéologique, la lecture du rapport d’étape consacré au pouvoir d’achat frappe surtout par sa faiblesse analytique et par le simplisme de ses propositions. Les auteurs semblent ne considérer le pouvoir d’achet des français qu’à l’aune des étiquettes des supermarchés. Rien sur les salaires, rien sur la répartition des richesses, aucune comparaison internationale, aucune analyse critique des chiffres avancés. Le rapport considère simplement que l’intensification de la concurrence, chez les distributeurs, permettra mécaniquement de faire baisser les prix, et donc d’améliorer le pouvoir d’achat.

En France, l’établissement d’une grande surface (à partir de 300 m²) est soumis, depuis la loi Raffarin, à l’autorisation de commissions départementales qui sont composées de six membres : trois responsables politiques locaux, un représentant de la chambre des métiers (qui représente les artisans), un représentant de la chambre de commerce et d’industrie (qui représente les entreprises), et un représentant d’une association de consommateurs. Le rapport préconise donc de supprimer cette disposition et de laisser au marché le soin de réguler par lui-même l’établissement des grandes surfaces en France. Il précise même que la suppression de cette réglementation administrative permettra de créer « plusieurs centaines de millier d’emplois », lesquels ont l’avantage d’être non délocalisables et « souvent destinés à des personnels peu qualifiés ».

BAISSE DES PRIX ET SALAIRES BAS

La multiplication des caissières peut-elle permettre de relancer la croissance en France ? Un raisonnement simple permet d’en douter. Beaucoup de ménages consomment déjà une grande partie de leurs revenus et ce n’est pas parce qu’on ouvre plus de magasins qu’on va générer plus de consommateurs. Dès lors, comment concilier une baisse générale  des prix dans la distribution et la création de centaines de milliers d’emplois… avec une consommation globale identique en valeur ? Le rapport ne le dit pas, mais la réponse est évidente. A dépense des ménages constante, des emplois ne peuvent être créés dans la grande distribution que si d’autres emplois sont supprimés dans les petits commerces. Et pour que les baisses de prix soient soutenables à long terme, il faudra même que la distribution soit plus économe en main d’œuvre, c’est-à-dire que le volume d’emplois détruits soit supérieur au volume d’emplois créés.

Autre mesure phare du rapport Attali, la suppression définitive de la loi Galland qui interdit la vente à perte. Revendiquée par les grandes surfaces, cette suppression aurait pour effet, nous dit le rapport, de permettre « des soldes toute l’année » et d’intensifier la concurrence. Les grandes surfaces seraient libres de négocier comme elles l’entendent des contrats exclusifs avec leurs fournisseurs, ceux-ci n’étant plus contraints de vendre leurs produits au même prix à chaque distributeur. Supprimer la loi Galland permettra donc d’augmenter la capacité de négociation des grandes surfaces vis-à-vis des producteurs. Or les distributeurs, qui ont constitué des centrales d’achat à l’échelle nationale, se trouvent souvent en position de force vis-à-vis des fournisseurs. Dès lors, la baisse de prix réclamée par les consommateurs risque de se traduire, non par une baisse des marges de ces distributeurs, mais par une pression accrue sur les producteurs, contraints de négocier des ventes à pertes. Leur salut passera par une diminution de leurs coûts, soit en jouant sur la qualité des produits, soit en accentuant la pression sur leurs salariés ou en délocalisant leur production. Ce que le consommateur gagne au niveau du prix, il le paie en tant que producteur, dans ses salaires et dans ses conditions de travail. Finalement, seuls les revenus non salariaux (au premier rang desquels les revenus du capital) sont gagnants dans l’affaire. L’activité distributive se renforcera au détriment du tissu industriel. C’est un schéma de développement post industriel, de type anglo-saxon, dans lequel la croissance économique ne se maintient que grâce à un déficit commercial abyssal.

PLUS DE CAISSIERES, MOINS DE FONCTIONNAIRES

Face à cette asymétrie structurelle entre distributeurs et fournisseurs, les réponses de la Commission Attali sont affligeantes. Pour « appuyer fortement les fournisseurs indépendants », le rapport propose de « soutenir la formation managériale des artisans » et de « valoriser les métiers du commerce et de la distribution auprès du grand public » avec de belles campagnes de pub, sans doute. Conscient des limites de ces mesures, le rapport conclut sur la nécessité pour les « fournisseurs indépendants » de se fédérer en constituant des « organisations économiques de producteurs ». Ces structures fédérales sont sensées leur permettre d’accroitre leur pouvoir de négociation vis-à-vis de la grande distribution. Adieu l’indépendance ! La guerre du « toujours plus gros » est déclarée.

Enfin, pour aider le commerce de proximité, le rapport suggère de leur déléguer la gestion de services publics locaux (bureaux de poste et trésorerie sont explicitement cités). En d’autres termes, les emplois créés dans la grande distribution ne seront pas la contrepartie de la disparition de petits commerce, mais celle du démantèlement des services publics locaux. Une France avec plus de caissières et moins d’agents du trésor. Merci M. Attali !

Quelques mots pour conclure sur les propositions de la Commission en matière de logement. Le parti-pris libéral de cette seconde partie est largement atténué. Les propositions dégagées (construction de dix villes nouvelles, densification de l’habitat, interventions directes de l’Etat en cas de non respect de la loi SRU…) apparaissent plus intéressantes. Les auteurs semblent admettre que pour loger plus de ménages, il faudra plus de logement, et pas simplement plus de marché du logement.

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