Consulté le 23 octobre 2012 à l’initiative de la ministre déléguée à la famille, conformément aux dispositions de l’article L. 148-1 du code de l’action sociale et des familles, sur le projet de loi tendant à ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe, le Conseil supérieur de l’adoption a souhaité approfondir la réflexion quant aux effets de cette réforme en matière d’adoption. Les travaux ont été menés au sein d’un groupe de travail spécifique et la présente contribution a été validée par le conseil supérieur de l’adoption dans sa séance du 9 janvier 2013.
L’ouverture du mariage au profit des couples de personnes de même sexe aurait pour effet d’étendre à ces derniers les dispositions actuellement applicables aux couples mariés en matière d’adoption. En effet, la réglementation de l’adoption découle de la seule situation matrimoniale des adoptants, qui doivent être mariés ou célibataires.
Ainsi, les couples mariés de même sexe pourraient, en l’état du texte, déposer une demande d’agrément, engager des démarches en vue d’une adoption d’un enfant, pupille de l’Etat ou étranger, sous réserve du respect des conditions posées par le pays d’origine. Le conjoint du parent de l’enfant pourrait également déposer une requête en vue de l’adoption de l’enfant de son époux ou épouse.
A titre liminaire, le Conseil supérieur de l’adoption tient à rappeler :
- que l’adoption est avant tout une mesure de protection des enfants privés durablement de famille, dont la finalité est de donner une famille à un enfant et non un enfant à une famille, comme le rappellent les différentes conventions internationales ratifiées par la France et notamment la convention internationale des droits de l’enfant : ainsi, l’article 21 de cette convention précise que les Etats parties s’assurent que l’intérêt supérieur de l’enfant est la considération primordiale en la matière.
Le mariage ne donne pas un droit à l’adoption, mais simplement le droit d’engager les démarches en vue d’adoption. Le prononcé de celle-ci est toujours soumis au contrôle du juge, qui vérifie notamment que l’adoption sollicitée est conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant. Le fait de se voir délivrer un agrément ou même que le dossier d’un candidat soit retenu par un intermédiaire agréé (Agence française de l’adoption ou organisme autorisé pour l’adoption) ne garantit donc pas l’aboutissement du projet d’adoption, aucune obligation de résultat ne pesant sur l’institution concernée.
- que la loi trouvera à s’appliquer dans un contexte marqué par un déséquilibre entre le nombre de candidats agréés en France (24 000) et le nombre d’enfants adoptables (environ 2 300 adoptions, nationales et internationales, prévues en France pour 2012), alors que 22 000 enfants environ sont, dans le monde, confiés à l’adoption internationale.
S’agissant des pupilles de l’Etat, la proportion de ceux placés en vue d’adoption reste constante (environ 800 sur un total d’environ 2 200 chaque année) et concerne principalement de jeunes enfants en bonne santé.
Cette réalité et les possibilités concrètes réduites pour ces couples de mener un projet d’adoption ne doivent pas masquer les conséquences importantes du projet de loi en matière d’adoption qui suscitent, pour les membres du conseil, un certain nombre d’interrogations et de réserves tant sur le fond que sur sa mise en œuvre concrète.
A cet égard, le CSA rappelle les termes de son avis du 23 octobre 2012, dans lequel il estimait que « ce texte constitue un bouleversement du champ de l’adoption » et faisait état « de son inquiétude devant la difficulté de concilier un objectif d’égalité des droits au bénéfice des personnes de même sexe et le caractère prioritaire de l’intérêt de l’enfant, dans le cas d’adoptions à l’international comme d’adoptions nationales. »
Le CSA a examiné les incidences du projet sans faire aucun lien entre les capacités éducatives et affectives et l’orientation sexuelle des candidats à l’adoption, mais en étudiant les conséquences qu’aurait, pour l’enfant, l’instauration d’un double lien de filiation à l’égard de parents de même sexe lui conférant deux mères ou deux pères.
Pour la majorité des membres du CSA, la possibilité de prononcer une adoption plénière au profit de deux personnes de même sexe constituerait un bouleversement majeur du droit de la filiation, aujourd’hui fondé sur l’altérité sexuelle des parents. L’instauration d’un double lien de filiation à l’égard de deux parents de même sexe aurait pour effet de priver l’enfant de toute possibilité de se voir conférer un parent de l’autre sexe.
Certains membres du CSA s’interrogent ainsi sur les conséquences et le devenir de ces enfants et notamment sur leur construction identitaire, en l’absence de référent parental de sexe opposé.
En outre, le projet de loi pourrait ajouter une nouvelle source de discrimination pour l’enfant adopté, liée à la structure familiale différente de celle des autres enfants. Il convient d’assurer la protection et le respect de l’enfant en mettant en place des outils de sensibilisation et d’accompagnement afin qu’il ne souffre pas de cette situation. Des mesures d’information des futurs adoptants et des professionnels et d’accompagnement des candidats à l’adoption et des enfants devraient être prévues à cette fin, et donc des moyens y afférant.
En ce qui concerne plus particulièrement l’adoption internationale, les membres du CSA constatent que la plupart des pays d’origine refuse les candidatures à l’adoption formées par des couples de même sexe. La souveraineté des Etats d’origine des enfants doit être respectée. Par ailleurs, les membres du CSA relèvent que, dans les pays acceptant les candidatures formées par des couples de même sexe (Afrique du Sud, Brésil..), les enfants proposés à l’adoption internationale sont principalement des enfants à besoins spécifiques (fratrie, âge élevé, pathologie), dont le profil ne correspond pas toujours aux souhaits des candidats à l’adoption.
Face à cette réalité, le CSA insiste sur la nécessité d’adopter une démarche de vérité et de transparence à l’égard de ces Etats comme de l’enfant. Ainsi, toute stratégie individuelle qui serait fondée sur la dissimulation, en cachant le fait de vivre avec une personne de même sexe afin de mieux garantir l’aboutissement du projet pourrait avoir de graves répercussions. En effet, le fait de tromper les autorités dans lesquelles l’adoption est réalisée en cachant volontairement un élément essentiel qui, s’il avait été connu, aurait empêché la réalisation de ce projet, constitue une manœuvre dont l’ensemble des candidats célibataires pourrait ensuite pâtir.
Plus généralement, certains membres du CSA craignent que l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe se traduise par la fermeture des pays acceptant les célibataires, au motif que l’enfant pourrait éventuellement par la suite être adopté par le conjoint de même sexe que l’adoptant.
Les membres du CSA se sont également penchés sur la situation des enfants vivant d’ores et déjà dans des familles homoparentales et dont le lien de filiation n’est établi qu’à l’égard d’un parent. Certains membres du CSA considèrent que la possibilité pour un époux d’adopter l’enfant de son conjoint de même sexe peut répondre à l’intérêt de l’enfant. En effet, cette possibilité, qui concernerait les familles homoparentales d’ores et déjà constituées, pourrait apporter à l’enfant la sécurité juridique et une meilleure stabilité nécessaires à son développement. D’autres membres du CSA considèrent que des mécanismes autres que l’adoption auraient pu été envisagés afin d’assurer la sécurité juridique des enfants vivant dans ces configurations familiales.
Enfin, le CSA souhaite qu’une réflexion de fond soit engagée en vue d’une réforme globale de l’adoption afin de mieux garantir, en toute circonstance, l’intérêt de l’enfant.