Le fils d’Internet

Le 11 janvier 2013, à New York, Aaron Swartz mettait fin à ses jours. Il avait 26 ans.

Aaron Swartz était connu pour avoir, entre autres (je ne fais pas la liste, elle est proprement incroyable), participé à l’âge de 14 ans (vous avez bien lu) à l’élaboration du format RSS ; et à peine plus vieux, à avoir également participé aux premiers pas, côté technique, des Creative Commons. Il était également un très actif militant de l’Internet et des libertés individuelles (il a dans ce cadre participé largement au blocage du projet de lois SOPA).

Au moment de sa mort, Aaron Swartz était poursuivi par la justice américaine pour avoir téléchargé 4,8 millions d’articles scientifiques issus de la base de données JSTOR, et nombreuses sont les personnes qui lient ces poursuites et ce suicide dramatique.

Un documentaire américain, The Internet’s Own Boy, est sorti tout récemment sur la vie de ce garçon étonnant et ce documentaire est à présent disponible en version sous-titrée française (1).

Je vous invite vraiment (ce sont des sortes de devoirs de vacances) à regarder ce film (2) : au delà du parcours tragique et émouvant de Aaron Swartz, ce documentaire montre très bien quels sont les débats et enjeux actuels autour d’Internet, de nos droits fondamentaux, des usages, des questions de l’accès au savoir pour tous, en soulignant comment Internet interpelle tout le “vieux monde”.

Si vous êtes un/e professionnel de la documentation et des bibliothèques, vous ne verrez plus votre travail de la même manière après ce film, j’en prends le pari.

(1) les sous-titres ont été traduits à partir de la très intéressante plateforme Amara par @symac@btreguier et moi-même, qui remercie les deux premiers. Le documentaire avec ses sous-titres est disponible via torrent ici (restez en seed, merci — je rappelle qu’un torrent peut être parfaitement légal, la preuve). Le fichier srt seul est ici. Ce film est diffusé sous CC BY-NC-SA 3.0 et ses sous-titres en français le sont également.

(2) si vous visionnez via youtube, pensez à activer les sous-titres et éventuellement à régler leur aspect via l’icône ad hoc en bas à droite de la fenêtre vidéo youtube.

Ne le dis à personne

Avant que vous filiez sur les plages, je reviens rapidement sur cette question de la confidentialité que Couperin demande à ses membres, confidentialité qui, vous l’aurez compris, me travaille. En fait, je ne la comprends pas.

Sur la période des négociations préalables à la signature des contrats, je ne vois pas pourquoi les éléments de la négociation ne doivent pas être diffusés. La confidentialité semble logique dans le cadre d’un marché concurrentiel (au hasard, une réinformatisation qui met en concurrence plusieurs prestataires, cadre dans lequel on peut supposer que le silence sur les données de la négociation nous sert).

Mais en l’occurrence, dans le cas des négociations avec les grands éditeurs scientifiques, il n’y a pas de concurrence : personne d’autre que Elsevier ne diffuse Science Direct, Elsevier (mais cela vaut pour tous les autres éditeurs scientifiques du genre, ils sont une poignée à avoir les mêmes pratiques) n’a tout simplement pas de concurrent sur ce produit spécifique et donc, diffuser les coûts en cours de négociation ne mettrait certainement pas l’éditeur en position de faiblesse par rapport à ses concurrents sur le même marché spécifique : il n’y en a pas, de concurrent.

L’autre argument qu’on nous oppose souvent concernant cette confidentialité est que ce secret nous sert par rapport aux autres pays : en ne disant rien des coûts que nous payons ou allons payer, nous serions en mesure de négocier des conditions beaucoup plus avantageuses que les collègues des autres consortia.

Hum. Cette position me gêne sur plusieurs points mais tout particulièrement, sur ce qu’elle sous-entend : notre adversaire ici, si je suis bien, ce ne serait pas l’éditeur, mais par exemple, nos collègues européens. L’enjeu ne serait pas de négocier au plus bas avec Elsevier, mais bien de négocier plus bas que nos amis belges ou anglais. Curieuse attitude, vous ne trouvez pas ? Est-ce que justement, nous n’aurions pas tous intérêt à savoir précisément ce que nos camarades paient pour pouvoir comparer les choses et négocier tous à la baisse ?

Enfin évidemment, pour terminer, je ne comprends pas la confidentialité après que les contrats aient été signés : encore une fois, on parle d’argent public, de son usage et de sommes très importantes (la licence nationale Couperin en cours de discussion, c’est quand même XXX millions d’euros sur cinq années).

Dans un documentaire que j’ai vu récemment (je reviendrai dessus plus tard en vous disant tout le bien que j’en ai pensé), une des personnes interviewées dit cette phrase très intéressante : “Les secrets servent toujours ceux qui ont déjà le pouvoir”.

En l’occurrence, par un mécanisme assez pervers, nous nous sommes laissés imposer par les éditeurs qui nous plument une clause qui nous dessert à l’évidence, et nous avons oublié un élément fondamental des marchés : sans acheteur, il n’y a pas de vente.

En l’espèce, nous ne voyons même plus que dans les discussions qui se passent entre les éditeurs et nous, la personne en position de force, c’est nous, et c’est d’autant plus vrai quand, dans un monde numérique, l’éditeur n’a plus du tout le monopole de la diffusion et que des alternatives tout à fait fonctionnelles, entendez, les Archives Ouvertes, nous permettent de sortir la tête du collet qui nous étrangle de plus en plus.

Je reste persuadé qu’un des premiers pas pour nous tirer du piège où nous sommes serait de cesser de respecter cette clause de confidentialité, de la dénoncer pour les contrats passés, et de refuser absolument de signer tout nouveau contrat la comportant.

Pour cela, le premier pas que nous pourrions faire (comme les consortia amis et voisins) serait de dégager de notre charte de l’adhérent l’item traitant de la confidentialité, et de poser cela face aux éditeurs : c’est à prendre ou à laisser.

Oui, c’est un rapport de forces. Mais la force est de notre côté.

Voilà, tout cela vous donnera peut-être matière à réfléchir au lieu de vous saouler à la paillote la plus proche.

Passez un bel été et prenez soin de vous..

Chuuuttt

 (ou comment je n’ai pas donné d’informations sur Elsevier)

En lisant ce billet, et en voyant les graphiques qu’on peut y trouver, je me suis demandé à quoi pouvait bien ressembler la répartition française des coûts VS effectifs pour les ressources Elsevier.

Je suis donc parti des chiffres 2013 pour la France. J’ai utilisé un fichier que tous les correspondants Couperin ont reçu dans leurs mails il y a quelques mois, fichier qui doit servir à calculer les coûts de la licence nationale (toujours) en cours de négociation avec Elsevier et listant donc pour vérification les clients académiques français, les effectifs qu’ils déclarent et… ce qu’ils paient.

Évidemment, j’ai eu tout de suite un problème de conscience majeur : la doctrine Couperin repose sur la confidentialité (cela m’a été assez répété tout récemment, souvenez-vous…) et c’est écrit ici, onglet Charte de l’adhérent, puis Engagement des membres. Évidemment, cette charte n’a pas grande valeur juridique et le seul risque que l’on peut finalement courir est de se voir exclu de Couperin (oh mon Dieu, ça fait peur, n’est-ce pas ?…)

Mais je me suis dit que j’allais jouer ce jeu idiot de la confidentialité pour vous montrer en creux à quel point tout ça n’a pas de sens.

Donc, voici la répartition 2013 des coûts/effectifs Elsevier pour la France. J’ai enlevé les chiffres, les échelles, les étiquettes, bref, j’ai anonymisé le truc.

Elsevier France

Trois précisions :

  • J’ai enlevé les 3 structures les plus “hautes” soit du point de vue de la dime qu’elles paient, soit du point de vue de leur effectif déclaré, parce qu’elles étaient si hautes que cela écrasait le graphique ;
  • Un certain nombre de structures sont sur les axes, tout simplement parce que leurs données (coût ou effectif) n’étaient pas présentes dans le fichier diffusé, ce qui ne lasse pas de m’étonner (par quel mystère Couperin n’a-t-il pas ces chiffres ?) d’autant qu’il s’agit de grosses structures type SCD, pas de CDI de campagne ;
  • Les totaux (je rajoute les 3 structures enlevées auparavant) sont les suivants : XXX XXX pour les effectifs et XX XXX XXX pour les coûts ;

Voilà. Vous n’en savez pas plus, et vous n’en saurez pas plus. Si vous n’avez pas le fichier Couperin, vous ne saurez pas ce que paie votre structure, vous ne saurez pas comment est dépensé l’argent public, votre argent.

Par contre, ce que vous saurez parce que je vous le dis, c’est que cet argent alimente l’extraordinaire rentabilité de la société Elsevier, qui vous remercie du fond du coeur.

Et puis, en creux, vous saurez aussi maintenant que je n’ai pas le droit de vous communiquer certaines informations ou de vous transmettre certains documents, parce qu’un consortium formé uniquement de structures publiques et fonctionnant uniquement grâce à des agents publics dont la très grande majorité est composée de bibliothécaires, accepte une “confidentialité” particulièrement malsaine qu’une entreprise privée en position de quasi-monopole lui impose (cherchez à qui profite le crime du silence et cette confidentialité… Mais si, suivez mon regard…).

En résumé, des bibliothécaires font devant vos yeux ébahis le choix volontaire de ne pas diffuser l’information qui vous concerne directement. Sacré paradoxe, vous ne trouvez pas ?

Qu’est-ce que le quotidien en bibliothèque ?

Lors du #bibcamp2014 dont j’ai parlé rapidement ici, j’ai saisi au vol une conversation tournant autour de la question du Service Public et de s’il fallait que les bibnums en fassent, ou pas. Assez vite, il s’est dit (comme d’habitude) qu’il était important que les bibnums participent au SP parce que c’était le seul moyen que ces personnels bibnums demeurent intégrés dans le quotidien des BUs.

Cette question SP/bibnum est récurrente (1) et si je mets quotidien en italiques, c’est tout simplement parce qu’il me semble que de fait, tout dépend de ce que l’on entend par là quand on dit ainsi que les bibnums doivent participer au quotidien des bibliothèques.

Si l’on déploie par ce terme une vision très physique, a-numérique, disons même pré-web, de la bibliothèque, alors oui, forcément, les bibnums doivent faire du SP puisque dans cette logique, la bibliothèque se cantonne à ses limites physiques, des murs, un toit, un bureau d’accueil, et des rayonnages —  la bibliothèque à papa en somme.

Évidemment, aussitôt que l’on élargit la réflexion à ce que recouvre réellement de nos jours la bibliothèque, et que l’on inclut sa composante numérique dans la réflexion, l’affirmation selon laquelle il n’est de connexion au quotidien que via le SP physique, n’a strictement  plus aucun sens : la bibliothèque de 2014 déborde très largement sa manifestation physique et il n’est nul besoin de faire du SP physique pour participer au fonctionnement de la boutique.

Si je prends mon modeste exemple (il me semble représentatif d’un banal bibnum), je ne fais plus de SP physique depuis 2 ou 3 ans (cf. note 1) mais je pense être parfaitement intégré au quotidien réel (i.e. actuel) de la #BUA :

  • mon bureau ouvert sur les espaces physiques reçoit régulièrement des étudiant/e/s en panne de PC ou ayant des problèmes de clefs USB, wifi, virus, à qui l’on a indiqué que je pouvais peut-être les aider (leurs ami/e/s ou plus simplement, mes collègues en… SP) ;
  • je réponds à nombre de demandes en ligne (formulaires contact de notre site web principalement mais aussi pages FB, compte Twitter ou plus traditionnellement, mails d’étudiant/e/s — l’adresse générique scd arrive dans ma BàL — sur toutes sortes de problèmes, la plupart numériques, mais pas tous, loin s’en faut) ;
  • j’assure toute l’année, y compris les WE, jours fériés et vacances, la surveillance de nos outils et les réponses à des messages du type “je n’arrive pas à me connecter à ceci ou cela, quand êtes-vous ouverts, quel est le sens de la vie, etc etc” — et cela intègre l’aide à mes propres collègues de la BUA ;

En résumé, mon quotidien n’est certes pas celui de mes collègues “tradis” (j’emploie ce terme dans un sens non-péjoratif) mais il n’est nullement détaché de celui de la bibliothèque entendue dans toutes ses dimensions : mon quotidien se situe donc simplement ailleurs, dans une zone beaucoup moins visible (c’est sans doute le coeur du problème que ça pose encore), mais aussi et paradoxalement beaucoup plus “large” à la fois dans l’espace (souvent, la personne qui me sollicite n’est pas dans la bibliothèque et elle peut même se trouver de l’autre côté de la Terre, en stage par exemple) et dans le temps (mon quotidien ne s’arrête nullement avec la fermeture des portes des sites physiques le soir).

D’ailleurs, en revenant à la conversation que j’évoque ci-dessus, je pouvais parfaitement retourner tout ça comme une chaussette : dans mon quotidien à moi, il n’y a quasiment pas de bibs-tradis, et on pourrait s’étonner qu’ils (mes collègues) soient ainsi laissés loin du quotidien de la bibliothèque (considérée dans son ensemble) et cantonnés à leur monde unidimensionnel (je fais un peu de provoc mais vous avez compris le fond du message).

On le voit, considérer que le SP physique est le seul moyen d’être au contact des usagers et de leur quotidien comme de celui de la bibliothèque, c’est réduire de beaucoup la bibliothèque, c’est en fait l’amputer de toute sa partie “immatérielle” où pourtant, nos usagers (étudiants mais aussi personnels et collègues) passent de plus en plus de temps.

Je n’ai malheureusement pas eu le temps de m’insérer dans la discussion à l’origine de ce billet pour déballer mes arguments chaussettes. Heureusement, ledit débat peut reprendre ici, ailleurs, à un autre moment, dans un autre quotidien : les commentaires sont ouverts.

(1) y compris à la BUA où, pour l’instant, la moitié de l’équipe (laquelle compte 4 permanents) ne fait pas de SP physique, l’autre moitié étant limitée à 2h/semaine, à ma demande expresse. Oui, ça étonne mais ma réponse est prête : “personne ne participe à mon quotidien, je ne vois pas pourquoi je dois participer à celui de la bib physique : venez dans mon quotidien si vous voulez que je vienne dans le vôtre”.

Back from Bibcamp 2014

Petit retour et remarques en vrac sur le #bibcamp2014  qui vient donc de se tenir à l’initiative de l’ADBU.

Je passe rapidement sur le joyeux bordel entre les rounds d’ateliers : j’aime les choses auto-organisées, mais j’aime tout autant les cadres clairs, mon mantra étant qu’une fois que tu as posé un cadre très défini, tu laisses courir les choses. En tous les cas, on était loin d’un colloque très policé et vertical et c’était plutôt déstabilisant, ce qui ne fait jamais de mal à personne.

J’ai regretté aussi que ça se termine si tôt : on commencait juste à être chaud, et je pense qu’il y avait largement le temps d’un quatrième round.

Enfin, le principe de l’atelier qui se monte sans réel animateur repéré au préalable m’a semblé un peu dangereux : le risque est grand de se retrouver, dans l’atelier, avec X personnes intéressées par le sujet, mais personne ne le connaissant vraiment — on tourne vite alors à l’aimable café-klatsch qui, pour tout dire, n’est pas ma tasse de thé.

Quoi qu’il en soit, c’était plutôt sympa et surtout, c’était monté par l’ADBU ce qui, je l’espère, aidera à ce que les questions numériques apparaissent un peu légitimées dans les sphères décisionnelles même si, mais on pouvait s’y attendre, j’ai croisé fort peu de mes collègues Dir BUs.

Pour finir, j’ai été frappé de l’hétérogénéité des présents : me situant dans ce que je considère comme un niveau moyen + de compliance numérique, j’ai bien vu qu’un certain nombre de questions/débats/solutions pourtant quotidiens du milieu bibnum était totalement nouveau à certains yeux écarquillés. Il m’a semblé que nous étions donc plutôt dans un espace d’hybridation de publics (les bibnums hard-core rencontrent les sympathisants) que dans une stricte rencontre de geeks que peut-être, j’attendais inconsciemment.

Cela dit, après tout, on est toujours le geek ou le candide numérique de quelqu’un. Si le bibcamp avait été un hackathon, j’aurais sans doute été totalement largé et quelqu’un, quelque part, serait en train de s’étonner des hétérogénéité des présents (“pensez, il y avait un gars à ce camp, qui bricolait un vague code, pas très vite, et pas très proprement”).

Maintenant, au-delà du moment (revoir les collègues bibnum, croyez-moi, ça remonte le moral et ça aide à se sentir moins seul), il reste les questions stratégiques :

  • Comment faire pour que ce qui s’est dit dans ces ateliers diffuse plus largement dans la profession (après tout, nous n’étions que peu) ?
  • Comment accélérer et généraliser le mouvement d’upgrade pro qui, en 2014, est à mes yeux toujours beaucoup trop lent ?
  • Comment faire tomber la distinction bibnum/bibtrad pour qu’enfin, la bibliothèque soit numérique dans son entier, i.e. que bibliothécaire rime d’évidence avec bibliothécaire numérique ?

Je n’ai pas beaucoup plus de réponses à ces questions après le bibcamp 2014 qu’avant, mais les commentaires sont ouverts, si vous avez des idées ou des retours à faire sur le sujet.

Le mulot mort des bibliothèques

<MàJ 2 du 25 mai 2014>Merci à Christine pour la liste des postes I.T.R.F.  mais malheureusement, rien dans le tableau ne permet de déterminer si les recrutements indiqués sont à destination des bibliothèques. On reste donc dans le flou quand à la proportion d’I.T.R.F Bap E dans le monde magique des bibs </MàJ>

<MàJ du 25 mai 2014> On me fait fort justement remarquer dans l’oreillette que je pose en regard une liste de recrutement hyper-spécialisée (code4libs) à une liste de profils généralistes (Poppée) et que cela pose un problème méthodologique. Effectivement, à y réfléchir, je compare des choux et des carottes.
Il faudrait donc aligner en face de la liste des jobs code4libs l’équivalent pour nos I.T.R.F. recrutés à destination des bibliothèques, mais je n’ai pas trouvé de telle liste : merci de la signaler en commentaire si vous savez où la trouver afin que ma comparaison devienne plus scientifique.
Cela dit, je maintiens mes positions sur la suite du billet : ma comparaison choux-carottes pose problème, mais il reste vrai que la soupe des bibliothèques manque très cruellement de spécialistes du numérique, et ce n’est pas qu’une histoire de goût personnel.</MàJ>


Twitter est un outil professionnel très important pour moi (non, ce n’est pas un endroit réservé aux lolcats et autres pédophiles nazis et si vous en êtes encore là sur votre compréhension des réseaux sociaux, ce n’est peut-être pas la peine de continuer à lire) et c’est via Twitter (merci les potes) que je suis retombé sur code4libs (en résumé, un site consacré aux bibs à forte orientation numérique sur lequel j’étais déjà passé mais que j’avais arrêté de suivre, trop douloureux que c’était).

Je vous laisse aller découvrir les recrutements en cours actuellement dans les universités anglo-saxonnes et je vous laisse également mettre en regard les profils de poste en bibliothèques que nous voyons apparaître par exemple dans le très français Poppée.

Voilà, je pense que vous avez compris le problème.

Ce décalage énorme, sur lequel je me suis déjà exprimé (ça me lasse, ce radotage, vous ne pouvez pas imaginer), est à mes yeux très symptomatique de la manière dont les bibliothèques françaises gèrent le changement de civilisation actuellement en cours du fait du numérique : elles ne le gèrent pas, et continuent à penser que savoir vaguement utiliser Excel ou Word est le fin du fin numérique.

Personnellement, je pense que ce problème est lié en grande partie au fait qu’une bonne partie de notre encadrement de haut niveau n’a absolument pas compris ce qui se passe : les cadres mentaux de nos pilotes ne sont tout simplement pas en mesure de penser le bouleversement en cours et donc, encore moins, de l’accompagner. Notre encadrement fait donc ce que nous faisons tous dans ce cas, il se replie sur ce qu’il connaît, la conservation, le gardiennage de la culture (comme si le numérique était incompatible avec la culture), le blah blah théorique, la recherche bibliothéconomique (cette vaste blague).

Je pense aussi que notre recrutement doit changer. Urgemment. Certes, la fonction publique fait que l’on ne peut pas faire ce que l’on veut. Mais en attendant une évolution du recrutement et des formations initiales des bibliothécaires (on peut rêver), il me semble que nous avons deux moyens d’actions :

  • faire des recrutements contractuels sur fonds propres (au besoin en sacrifiant temporairement la documentation, papier en particulier) ;
  • et surtout, saisir toute possibilité de basculer un poste de bibliothécaire en I.T.R.F. Bap E, en cessant enfin de fonctionner dans cette logique (de caste) de maintien à tout prix de postes de bibliothécaires : des bibliothécaires, dans nos boutiques, nous en avons bien assez maintenant, ce n’est vraiment plus de cela que nous avons besoin.

J’en profite pour répondre à quelques arguments qui m’ont déjà été opposés sur ce qui précède :

  • le modèle des universités privées américaines n’est pas notre modèle : c’est vrai et tout n’est pas bon dans le modèle américain, loin s’en faut. Mais regardez la liste de jobs que je pointe. Il y a également des universités publiques. Alors, pourquoi y arrivent-elles, et pas nous ?
  • formons des bibliothécaires déjà en place, au numérique : croyez-moi, il est beaucoup beaucoup plus rapide d’acculturer un développeur aux particularités (pas si particulières, du point de vue technique) des bibliothèques, que de former un bibliothécaire au PHP ou à de la gestion système, et nous l’avons constaté in vivo dans mon équipe, avec la mise à disposition par notre DDN (c’est le nom angevin de la DSI) d’un développeur PHP sur le projet Archives Ouvertures de l’UA (lequel projet, en passant, est en production pour le moment “intranet”, le produit devant être présenté en avant-première lors des JEDA du 04 et 05 juillet — inscrivez-vous) ;
  • les compétences numériques nous ont été retirées et ont été recentrées dans notre DSI : franchement, c’est normal. Comment voulez-vous qu’on prenne les bibliothèques au sérieux sur les questions numériques ? Nous avons démontré et démontrons chaque jour collectivement à quel point nous ne prenons pas le numérique en compte, puisque nous n’y consacrons que des RH indigentes (la bibnum BUA c’est 3,4 ETP, dont personne avec une formation initiale technique/informatique, quand le SCD compte 46 ETP et quand je pense qu’en fait la section numérique devrait être à 1/4 voire 1/3 des effectifs globaux des SCD) . On nous prendra au sérieux, i.e. on cessera de nous retirer des compétences numériques, quand nous donnerons place au numérique, vraiment. Ici comme partout, tout le temps, on récolte ce que l’on sème.

Voilà, un nième billet sur les mêmes thématiques, avec un arrière-goût amer de voir que nous (les bibliothèques) laissons passer une occasion incroyable de nous positionner dans ce monde d’informations et de données qui est en pleine explosion et dans lequel nous aurions toute place, si seulement nous faisions ce qu’il faut pour y être.

Allez, histoire d’en rire, le mulot.

La fausse note Couperin

Suite à l’incident ici décrit, aux débats et échos autour,
un billet un peu long et en vrac pour clarifier deux trois choses.
Les choses vraiment importantes sont à la fin, vous pouvez sauter le reste.

Des choses qui vont de soi mais ça va mieux en le disant

Je salue ici le travail des collègues négociateurs Couperin, leurs efforts, le temps et l’énergie qu’ils consacrent à la communauté. Mes critiques et remarques, j’espère qu’on l’aura compris, ne portent jamais sur des personnes, mais interrogent des fonctionnements et des structures, rien d’autre.

Par ailleurs, le principe de Licence Nationale est évidemment une avancée. Même si je pense que la LN participe du piège dans lequel nous sommes toujours pris, piège d’un système d’édition académique devenu fou et dont il faut sortir par les Archives Ouvertes, la LN a des avantages certains en attendant mieux. Cela soulage juste un peu la pression du piège à loup sur la jambe, mais c’est déjà ça tout en n’étant pas une solution.

De la responsabilité de la fuite

Depuis la diffusion du communiqué qu’il ne faut pas lire, et son retrait, est apparu un discours Couperinesque dans lequel j’apparais comme une espèce de traître à la cause qui a diffusé sciemment des documents confidentiels. La dernière manifestation de ce discours a eu lieu ce jeudi 27 février sur les listes Achats et Direction de Couperin : suite à plusieurs demandes que soit diffusée la synthèse de l’enquête préliminaire à la négociation Elsevier, un message officiel a indiqué que cette synthèse ne serait pas diffusée en raison des fuites récentes, fuites qui mettraient à mal la négociation en cours et qui, je cite puisque c’est pour le coup un message public vu sa diffusion, posent “un grave problème de solidarité au sein du consortium, de respect du travail des négociateurs, de respect des intérêts des établissements membres, tout en faisant le jeu des éditeurs”. Rien que ça.

Dit autrement, sans que je sois jamais personnellement nommé, Couperin a très officiellement fait comprendre à une bonne partie de la profession que je suis un félon, Dan le Maudit (c’est me faire grand honneur).

Je dois donc préciser deux choses, et les préciser publiquement puisque sans doute, ces précisions seraient modérées si je venais à répondre sur lesdites listes (oui, les listes de diffusion Couperin sont soigneusement modérées et fonctionnent globalement en top-down, belle illustration de la logique en place) :

  • Je n’ai jamais diffusé aucun document Couperin sur lequel la mention de confidentialité était inscrite. Je trouve cette pratique de confidentialité absurde, cela me démange à chaque fois de balancer en ligne le document ainsi rangé sous le sceau du secret mais, comme je suis un garçon doigt sur la couture du pantalon, fonctionnaire, respectueux du devoir de réserve, etc, je ne diffuse pas ce qui est classé confidentiel et j’ai retiré dans l’heure le document en question quand on m’a fort opportunément (et sans doute sans fondement juridique) rappelé à mon devoir de réserve ;
  • Le document que j’ai diffusé l’avait été (avant de me parvenir) via des listes mails très larges ; et surtout, il ne portait pas de mention de confidentialité. Donc, fort logiquement, si fuite il y a eu, elle a eu lieu au sein même de Couperin, et s’acharner à vouloir me faire porter le chapeau est une belle manière d’éviter de s’interroger sur les dysfonctionnements manifestes qui ont permis que ce document arrive dans mes blanches mains.

De ce que ça dit de Couperin

L’idée d’un consortium qui négocie pour l’ensemble des BUs est évidemment une bonne idée. Cependant, depuis le début de cette histoire, je constate des réactions que je trouve inquiétante. Si l’on relie le mail ci-dessus évoqué et qui ressemble fort à un acte d’accusation auquel on ne peut pas répondre sauf à prendre des voies de traverse, à des logiques du type “si tu réfléchis et pose des questions gênantes, alors tu es un ennemi”, puis à des pratiques de non-diffusion d’enquêtes préalables aux négociations (oui, il y a eu une enquête préalable à la négociation Couperin, mais les résultats n’en ont jamais été diffusés, on se demande pourquoi – ah si, j’oubliais, j’ai brisé la confiance…), on voit s’esquisser le tableau d’une institution en pleine dérive, qui a oublié pour qui et pour quoi elle existe, et avec qui elle fonctionne (pour mémoire, le consortium Couperin est issu du monde des bibliothèques, et fonctionne en très grande partie grâce aux personnels des bibliothèques : Couperin n’est donc pas une sorte d’entité autonome qui ne doit rendre des comptes qu’aux établissements, comme on me l’a rappelé récemment avec un brin de condescendance, mais bel et bien, un outil qui appartient aux bibliothèques et vit uniquement par elles).

Bref. Pour ce qui me concerne, j’ai comme l’impression d’un structure qui ne supporte plus la contradiction. Et cela, c’est inquiétant, et plus encore dans notre milieu de personnes censément ouvertes à la discussion et au débat.

En fait, ce bruit autour de ma soi-disant forfaiture a eu un mérite, celui de déclencher des débats qui apparemment, avaient besoin d’exister et/ou n’avaient même pas eu lieu. Mais cela crée une sorte d’écran de fumée, et l’on oublie les vraies questions. Je les rappelle, pour mémoire, maintenant : elles attendent toujours des réponses, et elles sont adressées au consortium et à ses représentants. Sans m’avancer beaucoup, il me semble que des réponses précises et publiques seraient appréciées d’un sacré paquet de plébéiens.

Des choses vraiment importantes

  • Quid du piège de la clause du data-mining ? Quelle est la position officielle de Couperin sur le sujet ? Les risques de cette clause ont-ils été mesurés et si oui, par quel(le)s spécialistes de la question ? Quelle est la stratégie du Consortium sur cette problématique, et pour sortir de ce piège dans le piège ?
  • Quid des questions d’argent ? Les clients historiques de Elsevier ont déjà été ponctionnés sur leur budget, sans que leur avis individuel soit demandé, des sommes équivalentes à leur dépense de l’an passé. Mais le nombre de clients, par le biais de la LN, a largement augmenté. Or le coût prévisible de la LN sur les 5 ans sera sans doute proche du coût passé (ces deux derniers points sont une avancée, je le dis). Je suis mauvais en maths, mais je comprends que dans l’état actuel des choses, les clients historiques ont payés pour les nouveaux. Comment cela va-t-il s’équilibrer ? Quelles sont les modèles de répartition ?
  • Les établissements qui bénéficieront de l’élargissement des arrosés ont-ils fait part de leur volonté expresse d’entrer dans le périmètre de la LN ? Pourront-ils en sortir ? Si oui, quand et comment ?
  • Est-ce que quelqu’un se rend compte qu’en élargissant le périmètre qui va être arrosé, Elsevier crée une demande (la fonction crée le besoin) qui va rendre plus difficile encore toute sortie ultérieure du piège ?
  • Comment cette signature avec Elsevier est-elle articulée, au niveau de la stratégie Couperin, avec les travaux vers les Archives Ouvertes ? Quelle est cette stratégie après les cinq années que va durer le contrat en passe d’être signé ?

Voilà. Les commentaires sont évidemment ouverts, en particulier aux précisions du consortium. Pour ce qui me concerne, je ne modère pas les critiques, interrogations, remises en cause, elles participent de la réflexion commune.

 

De diverses questions de fond que posent les choses

La négociation Elsevier fait toujours bruire les réseaux pro. Plutôt que de me fatiguer (oui, je suis une feignasse), mieux vaut citer un très intéressant commentaire posé sous ce billet par Stéphanie Bouvier — le dit commentaire pose très exactement les questions de fond dont je parle ici, et j’ai pensé qu’il valait la peine de le reproduire in-extenso. Ouvrez les guillemets.

“Nous avons un devoir de cohérence, et un rôle à jouer dans l’évolution du système et la remise en question de la bibliométrie telle qu’elle est conçue aujourd’hui. La profession est-elle oui ou non convaincue que
1. la recherche ne se résume pas à Thomson Reuters et Elsevier
2. les publications des chercheurs du public étant financées a priori, nous ne devrions pas avoir à en racheter la propriété
3. le rôle des éditeurs est d’apporter une plus-value aux contenus, non de spéculer sur la recherche publique
4. l’argent public dépensé pour la recherche doit servir à faire avancer la recherche, non à remplir les poches d’actionnaires
5. tout ce qui fait artificiellement obstacle à la libre avancée des sciences doit être dénoncé
6. les actions, décisions, positions visant la perpétuation d’un système constamment critiqué par ailleurs ne peuvent pas être cautionnées

Oui, oui, nous sommes d’accord, mais que pouvons-nous faire, nous, pauvres petits calimeros, simples bibliothécaires que personne ne veut jamais écouter (oh oui, c’est vraiment trop injuste) ? Et bien pourquoi ne pas refuser les big deals des éditeurs comme Elsevier, pour commencer ? En quoi faire le jeu de cet éditeur est-il indispensable à la bonne exécution de notre mission de fourniture de documentation ?
Lisez donc les informations données par la Bibliothèque de l’Université de Montréal pour expliquer les désabonnements Wiley :http://www.bib.umontreal.ca/collections-nouvelle-ere/periodiques-electroniques.htm
Impressionnant, n’est-ce pas, ces prises de position claires et argumentées publiquement, on n’est pas habitué de ce côté-ci de l’océan !

Ceci étant dit, j’aimerais évoquer quelques points concrets de la négociation, qui me contrarient.

D’abord, je m’interroge sur la validité du montage. Jusqu’ici les licences nationales ont porté sur un périmètre bien précis, avec financement spécifique : c’est le projet ISTEX, l’acquisition d’archives et de corpus numérisés, doté d’un budget de 60 millions d’euros sur 3 ans.
La négociation sur le courant, elle, est une licence nationale en forme de groupement de commandes, puisqu’elle est financée par les établissements « historiquement abonnés » (après les « chiffres d’affaires historiques », après les « portefeuilles historiques », voici les « payeurs historiques », mais passons). Des établissements qui, malgré la loi d’autonomie des universités, n’ont pas eu le choix et ont été directement prélevés d’une somme équivalent au montant 2013. Des établissements qui donc se retrouvent à ne pas savoir ce qu’ils paient puisque les conditions du marché sont encore inconnues. Des établissements qui n’ont pas signé d’intention de participation à ce groupement de commandes déguisé. Quelque chose me chiffonne : tout cela est-il seulement légal ? Je serais sincèrement heureuse que l’expression de ce doute perturbant reçoive une réponse résolument affirmative et argumentée. En attendant, je constate que la signature de l’accord nous réengage dans une relation commerciale avec Elsevier, et que donc, quoi qu’il en soit, nous paierons.

Par ailleurs, comme la plupart d’entre vous, je trouve la clause relative au data mining fort contrariante (et je renvoie moi aussi à ce billet d’un bien plus expert que moi sur ces questions, merci à lui d’ailleurs pour la précision et la publication de son analyse). Je ne reviens pas sur le pourquoi, mais m’interroge bigrement sur le comment : comment diable cette clause est-elle arrivée là ? Des experts de ces questions ont-il été consultés avant signature de l’accord ? Si ce n’est pas le cas, pourquoi avoir accepté l’introduction de cette clause ? Elle n’était pas suspecte ? Quelqu’un a cru avoir discrètement extorqué un cadeau et joué un bon tour à Elsevier ? Je ne comprends pas.
Je suppose qu’à la fin, tout cela sera rentré dans l’ordre, et que cette clause aura été revue intelligemment. On se gardera bien d’en conclure que la grande et pathétique affaire de la fuite du communiqué y soit pour quoi que ce soit ; nous savons tous qu’il y a ceux qui travaillent en silence et sont constructifs d’un côté, et ceux qui se font du bien, pensent à leur image, enfin non puisqu’ils ne pensent pas tout court, de l’autre – et une frontière bien étanche au milieu, cela va de soi.”

Le communiqué qu’il ne faut pas lire…

D’une petite péripétie personnelle dans la vaste marche de l’Univers,
et de ce que ça dit des bibliothèques

Or donc, depuis plusieurs mois, la communauté des Bu guettait avec impatience les résultats de la négociation que Couperin mène avec Elsevier — le précédent contrat se terminant au 01 janvier 2014, Couperin discutait (avec ou pour le Ministère, la valetaille ne sait plus) le prochain contrat, vaste enjeu s’il en est. Si on rajoute qu’en plus, les soutiers que nous sommes avaient fort peu d’informations sur la négociation en cours (périmètre, conditions, coûts), on comprendra tout de suite à quel point quelques précisions sur la chose étaient attendues.

Ce jeudi 06 février, sur les charbons ardents, donc, j’apprenais un peu par hasard qu’un communiqué Couperin donnant enfin des détails avait été diffusé par la CPU sur les listes de présidents d’université (je ne reviens pas sur mon étonnement du fait que les BUs ne soient pas prévenues en première intention, Couperin étant tout de même une émanation des BUs, mais bon…)

Après avoir récupéré ladite pièce (l’échange s’est fait de nuit sur un pont noyé par la brume, à l’aide de force mallettes de billets usagés), constatant qu’elle donnait de très intéressants éléments sur la négociation (1), et que la plupart de mes contacts professionnels tout aussi intéressés que moi n’avaient pas eu la possibilité de la consulter, je décidais de la mettre en ligne avec d’autant plus de sérénité que ce document (déjà lâché dans la nature, donc) ne comportait aucune mention de confidentialité (Couperin a l’habitude assez amusante de diffuser via de larges listes mails des documents portant des mentions de confidentialité — je vous laisse apprécier la logique, je vais y revenir).

C’est le lendemain que les choses se sont gâtées quand dans la matinée, un appel téléphonique venu des plus hautes sphères Couperinesque a dérangé ma hiérarchie en pleine réunion, et pendant un bon moment, pour une conversation sans doute intéressante mais dont je n’ai pas le détail (vous demanderez à la NSA). En tous les cas, à l’issue de cet appel téléphonique, il m’a été demandé très officiellement, et avec rappel à mon devoir de réserve, de retirer ledit document du site où je le proposais au téléchargement, ce que j’ai fait dans l’heure, le petit doigt sur la couture du pantalon (je suis bête et discipliné, deux qualités fort appréciées de nos jours). Dans le même temps, Couperin diffusait le même communiqué (ou quasi, à quelques détails près) aux Dir BUs et listes de bibs acquéreurs en doc élec. Le même ou presque : un petit paragraphe à la ridicule encre rouge très instit vieille école demandait aux destinataires de garder ledit document confidentiel, au motif que la négociation n’était pas totalement terminée…

Quel est le problème ? Il me semble qu’il y en a en fait plusieurs.

Je passe rapidement sur l’absurdité totale qu’il y a à demander la confidentialité (en ont-ils le droit, d’ailleurs) sur un document largement ventilé vers les présidents d’Université, qui l’ont certainement mailé derechef à leurs VP ; largement ventilé vers les Dirbus, dont la plupart l’ont de suite forwardé vers leurs équipes ; largement ventilé vers les responsables d’acquisition de doc élec (je vous fais un prix, je pense que tout ce petit monde représente au bas mot 400 personnes, et je suis gentil, bonjour le secret).

Ce qui me pose vraiment problème est ailleurs.

Pour commencer, cette confidentialité est choquante parce qu’elle prive les citoyens d’information sur les conditions (tarifs mais pas que, cf. la note ci-dessous) auxquelles nous nous livrons pieds et souris liés à un éditeur privé qui a depuis longtemps perdu toute visée académique en devenant une entreprise cotée en bourse, dégageant de très confortables bénéfices en pillant l’argent public, et qui a tout intérêt à ce que ces choses restent confidentielles jusqu’à ce que le piège se referme pour cinq nouvelles années fermes (moins les chercheurs en savent, moins ils se disent que peut-être, les archives ouvertes seraient par exemple un moyen de cesser d’être tondus, financièrement et intellectuellement, par ce genre d’éditeurs). En l’espèce ici, la question de “à qui profite le crime” (de la confidentialité) me semble se poser, et je gage que vous trouverez la réponse seuls.

Et puis, cette méthode (l’ordre de retrait arrivé des hautes sphères qui vous tombe dessus par le biais de la hiérarchie, assorti du bon vieux coup du devoir de réserve) me dérange profondément, en tant que professionnel. Parce que pour moi, mon métier se résume en deux règles très simples dont j’imaginais qu’elles étaient celles de tout bibliothécaire :

  1. diffuser au maximum et sur tout support existant toute l’information disponible sous réserve qu’elle ne nuise pas à la dignité humaine ;
  2. organiser cette information pour que tous les citoyens puissent s’y retrouver (à tous les sens du terme) ;

En me demandant de retirer ce communiqué (sacré paradoxe, un communiqué que personne ne doit voir…), c’est ma première règle professionnelle qui a été mise à mal. De l’intérieur. Et ça, c’est vraiment une grosse, très grosse couleuvre que j’ai en travers de la gorge.

En supprimant ce document, en l’enlevant à la vue de mes collègues et autres citoyens lambda, au garde-à-vous devant mon écran, j’ai repensé à une phrase que répétait souvent mon père : “Réfléchir, c’est déjà désobéir”.

Je vous laisse réfléchir à tout ce qui précède. Bonjour chez vous.

(1) ce très intéressant papier apporte d’autres éléments de réflexion sur le piège Elsevier, j’en conseille fortement la lecture si vous êtes encore là (d’autant que le communiqué qu’il ne faut pas lire est caché dedans mais n’allez surtout pas le lire).

Concours (de circonstance)

Bon, d’accord, le titre est très moyen, mais je n’ai pas réussi à m’en empêcher — la honte soit sur moi.
Assez ri, revenons à ceci où, pour les fainéants de la souris, je protestais contre l’endogamie nuisible que portent les sujets du concours de Conservateur. L’été étant passé et la bise venant, j’ai essayé de formaliser ce que pourrait être une évolution de l’actuel concours. Et donc, ci-dessous, quelques réflexions/pistes en désordre.

Une refonte totale de l’actuelle concours, avec disparition de la ridicule dissertation, semble difficile : un concours de recrutement de cadres de la fonction publique se doit apparemment de proposer cette fourche caudine et y toucher, c’est toucher aux fondements de la fonction publique, aux fondements de la République, aux fondations de l’Univers tout entier. Ok, essayons autre chose d’autant qu’après tout, une part des recrutés peut encore être composée aussi de forts en thèmes historiens, philosophes et littéraires (il faut de tout pour faire une bibliothèque).

Cette autre chose pourrait être un concours type troisième voie (la seconde, c’est le concours interne dont je suis issu, ce qui en dit assez les dangers) légèrement différent des deux premières voies, avec par exemple, à l’admissibilité, le maintien de l’écrit de synthèse (ça ne mange pas de pain d’être synthétique dans la vie, et cet écrit permet de vérifier un minimum la maîtrise de la langue écrite — il ne s’agirait pas de laisser la plèbe envahir les golfs) ; et un second volet d’admissibilité sur dossier (CV des candidats, réalisations pro, etc) avec un niveau minimum à bac +3 pour rester entre gens de bonne naissance (toujours dans le souci de protéger les golfs).

Pour l’oral, on garde une bonne vieille épreuve de langue (ça ne mange pas de pain non plus) et un “grand oral” qui porte non pas tant sur la culture générale classique du candidat (du genre, qui a écrit la Septième de Beethoven ou que pensez-vous de la poésie iranienne du 3ème siècle) que sur son parcours personnel et professionnel, et ses motivations à devenir un cadre des bibliothèques.

Il s’agirait dans cet oral, pour les jurys, de repérer les personnes aptes à devenir de bons cadres techniques des bibliothèques car, pour la Xième fois, nous avons besoin de cadres techniques, pas de purs esprits scientifiques déconnectés du réel.

Ce qui précède pourrait aider à changer un peu la composition des populations de conservateurs, surtout si on publicise ce concours vers des viviers autres que nos viviers traditionnels de recrutement (je pense évidemment aux informaticiens et autres ingénieurs en ce qu’on veut, mais en fait, à tout le monde — le but est ici d’ouvrir largement le recrutement dans toutes les directions)

En effet collatéral d’un concours troisième voie de ce type : notre sainte mère l’ENSSIB changerait de nom (entre autres réformes sur son enseignement mais c’est une autre longue histoire) et deviendrait l’ENSCTSB (l’Ecole Nationale Supérieure des Cadres Techniques et Scientifiques des Bibliothèques), manière de rappeler au passage quels sont nos besoins réels de formation et ce que doit être un conservateur.

Les commentaires attendent vos avis et suggestions sur mes vagues idées (à affiner) et vos propositions (elles seront certainement intéressantes) pour une réforme réalisable.

PS : je ne parle pas ici du système des promus, qui est une quatrième voie de fait. Mais je pense qu’il est temps aussi que la promotion bibliothécaire > conservateur cesse d’être ce qu’elle est à l’évidence de manière très générale pour devenir enfin ce qu’elle devrait être, le moyen de faire progresser rapidement et sans concours supplémentaire des collègues bibliothécaires qui en veulent et font du bon boulot. En bref, la promotion doit devenir une promotion au mérite et aux potentialités exprimées, pas un cadeau de départ à la retraite, ce qu’elle est quand même souvent (no offense).