Depuis le lundi 16 mars

Comme toutes les universités, celle pour laquelle je travaille a fermé ses portes ce lundi 16 mars 2020, nous obligeant d’un seul coup à une bascule franche dans des logiques de travail numérique à distance auxquelles nous n’étions globalement pas préparés — en tous cas, pas à cette échelle impliquant de continuer à faire fonctionner une structure de quelques 23 000 étudiant.e.s et 2 000 personnels (Enseignants, BIATSS).

Bien qu’évidemment, les motifs induisant ce changement d’habitudes sont dramatiques, je regarde avec attention et pour tout dire, une certaine satisfaction vu mes fonctions de responsable d’un Service de Transformation Numérique et CDO, ce qui est en train de se passer dans mon environnement de travail.

De fait, je constate :

  • une prise en main plus rapide que je ne le pensais possible des outils déjà mis à disposition (notre offre disons traditionnelle) ;
  • une montée en puissance des usages tradis et nouveaux (bon, nous y sommes obligés, mais quand même) ;
  • surtout, une sorte d’effervescence et de quête (certes partant dans tous les sens) d’outils et de nouvelles manières de faire, avec une logique de partage des retours d’expériences et petits trucs

Ce dernier point est le plus réjouissant : les usages débordent littéralement les frontières de nos outils et les collègues sont entrés dans des démarches d’auto-résolution. Plutôt que d’attendre que tombent d’en haut des outils, ils cherchent des outils qui leur conviennent, où que soient ces outils (ce morceau de phrase est de nature à faire s’évanouir n’importe quel DSI).

J’avoue que cela me plaît beaucoup : je crois énormément aux logiques d’auto-organisation, de Bottom > Up, de collaboratif. Mais il me semble que nos institutions sont souvent dans le discours, sur ce point, sans aller au bout de la démarche.

Là, il n’y a plus moyen, ou presque, de faire autrement, et c’est bel et bien “la base” qui est en train de s’auto-organiser. Très franchement, c’est un moment particulièrement intéressant.

Je ne sais pas ce qui en sortira. Je déchanterais peut-être dans quelques jours, quand tout sera par terre. Mais pour l’instant, ce moment de fortes contraintes s’avère très créatif, et ça me plaît.

PS : je n’oublie pas les problématiques liés aux personnes loin du numérique. Laissez-moi juste savourer ce moment.

Pour des négociations collectives des licences nationales

<MàJ du 14 juin 2018>une version améliorée de ce texte a été publié dans le BBF – Contributions</MàJ>

Juste un propos liminaire : il n’est pas question ici de personnes, mais de manières et d’habitudes de travailler. Gardons cela en tête. Merci.

J’ai récemment exprimé quelques interrogations sur l’accord de principe entre Elsevier et Couperin.

Au-delà des maintenant quasi traditionnelles remarques sur la teneur d’une Licence Nationale qui, si elle était signée, nous lierait à nouveau pour quatre ans avec Elsevier au sein d’un cadre qu’on pressent une fois de plus discutable (euphémisme), j’ai évoqué dans ledit billet, vers la fin, l’idée de négociations de licences nationales qui pourrait être transparentes, ouvertes et collaboratives (soit tout le contraire de ce qui se passe actuellement), sans préciser plus avant l’idée. C’est le but des lignes qui suivent.

Rappelons d’abord rapidement le fonctionnement actuel des négociations Couperin : sur chaque ressource négociée (vous en trouverez la liste précise et détaillée ici), plusieurs collègues courageux/courageuses se chargent, pour le consortium, de la négociation avec le fournisseur. Les péripéties et le détail des avancées de ladite négociation sont en général peu ou pas diffusées, en tous cas pas publiquement, jusqu’à ce que l’on aboutisse un beau matin à une annonce indiquant que l’affaire est conclue, et sous quelles conditions. De temps en temps, en cas de négociations embourbées, quelques éléments plus précis sont diffusés, indiquant que ça coince ici ou là. Et puis c’est tout. En gros, on reste assez largement dans du Top ⇨ Down.

Cette pratique me semble problématique à plus d’un titre :

  • elle abandonne en frontal une toute petite poignée isolée de négociateurs/négociatrices supportant seule le poids de la discussion ;
  • la loi du silence pèse sur le contenu des négociations ;
  • la communauté (les bibliothèques, mais aussi les chercheurs et les établissements) n’est pas vraiment amenée à se prononcer publiquement pour ou contre tel ou tel point/condition et/ou ne discute pas le détail précis des points/conditions.

Face à ces pratiques que je trouve personnellement totalement dépassées, je ne peux m’empêcher de penser à des pratiques et outils de décision que l’on voit émerger, engageant une communauté dans des processus de discussions et de décisions réellement collaboratifs et partagés.

En l’occurrence, la démarche pourrait être la suivante :

  1. un groupe de collègues est chargé de la négociation (ce point ne change pas) ;
  2. une première mouture de texte décrivant telle ou telle licence est rédigée et devient la proposition initiale soumise à la communauté durant un temps limité via un outil en ligne ouvert publiquement ;
  3. des commentaires, amendements, suggestions, sont apportés à cette mouture et chaque commentaire, amendement, suggestion, peut faire l’objet d’un vote pour ou contre, entendre qu’on peut le/la pousser en avant ou le/la rétrograder, de manière à ce que les propositions les plus intéressantes pour la communauté émergent ;
  4. à la fin de la période, le groupe négociant fait la synthèse des propositions et en tire sa feuille de route pour un premier round de négociations avec le fournisseur ;
  5. de retour de cette première négociation avec le fournisseur, le groupe négociant dispose d’une nouvelle mouture à soumettre à la communauté ;
  6. GOTO 3.

jusqu’à épuisement des ajouts/modifications/amendements et/ou l’obtention d’un résultat de négociation qui convienne à l’ensemble de la communauté.

Évidemment, cette manière de travailler serait réservée aux licences nationales (par exemple, en mettant une barre à X millions au-delà de laquelle toute négociation doit passer par cette méthode).

Je vois plusieurs avantages à une telle méthode, qui, il me semble :

  • éviterait de passer à côté d’un loup caché dans un accord par le fournisseur (on repère mieux les loups à plusieurs) ;
  • permettrait de s’assurer au fil de l’eau de l’adhésion permanente de la communauté concernée par la négociation ;
  • conforterait la position de l’équipe négociante, qui pourrait s’appuyer sur une base arrière visible et multiple s’étant exprimée publiquement ;
  • embarquerait largement ladite base en la responsabilisant ;
  • serait conforme aux exigences de transparence actuelle ;
  • <update du 05 mai 2019> serait de nature à clarifier enfin les positions des uns et des autres</update du 05 mai 2019> ;
  • permettrait de sortir des négociations à la papa, où le fournisseur nous joue le couplet du ne parlez surtout pas des conditions hyper privilégiées que je suis en train de vous consentir alors que dans les faits, il vous enfume comme jamais (B. A. BA du commercial, n’importe quel vendeur de voiture vous le confirmera, c’est le chapitre n°1 du Manuel du parfait petit arnaqueur).

Et je réponds de suite aux arguments du type c’est trop lourd à mettre en place, nous n’aurons jamais le temps de le faire en vous renvoyant aux chiffres de la consultation qui a précédé l’écriture de la Loi pour une République Numérique (spoiler : du 26 septembre 2015 au 18 octobre 2015, 8490 contributions 147549 votes, 21409 participants — oui, c’est pas mal en si peu de temps sur un sujet aussi aride).

Franchement, je pense qu’un tel changement de nos pratiques n’est ni un problème d’outil (les outils du type “consultation collaborative” ne manquent pas), ni un problème de temps (cf. les chiffres ci-dessus, obtenus en moins d’un mois) : c’est juste un choix politique sur la méthode employée pour négocier des licences à plusieurs dizaines de millions d’euros d’argent public, négociations historiquement menées en utilisant la méthode dite de sous le manteau et qu’il est certainement temps de dépoussiérer.

Comme toujours, les commentaires sont ouverts.

 

Un accord de mauvais principes

Juste un propos liminaire : il n’est pas question ici de personnes, mais de manières et d’habitudes de travailler. Gardons cela en tête. Merci.

Même je suis pris ailleurs depuis quelques mois, sur des thématiques très numériques et un peu éloignées des bibliothèques stricto sensu, je suis notre grande aventure collective de près et j’ai tout de même avalé ma tisane de travers en découvrant le billet de The Sound of Science qui leake l’accord de principe que Couperin vient de faire parvenir à Elsevier concernant une possible prochaine Licence Nationale.

Ce document, s’il ne détaille pas précisément ce que pourrait être un accord final, esquisse quand même certaines grandes lignes interrogeant largement, à la fois sur le fond (ce qui risque de se mettre en place) et sur la forme (la manière dont sont menées ces négociations, et leur contexte).

Pour le fond, je suis assez étonné d’un certain nombre de points :

  • la collecte des MAA (Manuscrit Auteur Accepté) semble relever de la constitution, par Elsevier, d’un stock de guerre bankable, en jouant pour les STEM sur un délai supérieur à ce qu’autorise la Loi pour République Numérique (c’était bien la peine de se bagarrer à l’époque). On assisterait ici à un détournement des logiques d’Open Access en créant une sorte de bassin de rétention de 6 mois, donc, qui participe à élargir le potentiel de commercialisation (6 mois, cela semble court, mais dans nombre de disciplines STEM, la fraîcheur de l’information scientifique compte beaucoup et donc, le lecteur est/sera prêt à payer plutôt que d’attendre ces 6 mois) ;
  • l’idée de dark archive (hum hum, ce nom) laisse rêveur : les fichiers MAA captés par Elsevier “pourront être ouverts (…) 24 mois après la date de publication” – encore un délai de rétention, encore du bankable, et un flou dans l’expression qui n’augure rien de bon ;
  • par ailleurs, la promesse de versement des MAA depuis la dark archive dans HAL ressemble fort à un piège un peu retors (quelle surprise) : dès lors que l’auteur d’un article MAA intégrera l’idée que Elsevier se chargera (un jour) d’en assurer le versement vers HAL, il y a fort à parier que la pente humaine (entendre, notre fainéantise à tous) fera que le chercheur, à moins d’être un militant chevelu, ne se préoccupera plus du tout du devenir Open Access de son article, laissant à Elsevier le soin de s’occuper de tout (et verrouillant de fait les délais évoqués ci-dessus tout en abandonnant aussi in fine à Elsevier son papier) ;
  • le coup de l’accès en streaming est remarquable : outre qu’il contourne HAL (le fichier n’est plus physiquement sur les serveurs HAL, mais sur les serveurs d’Elsevier qui pourra en contrôler l’accès selon son bon vouloir), on peut imaginer les trackers qui seront collés dans/sous cet accès, et collecteront évidemment des données certainement très intéressantes (entendre, bankables également) pour Elsevier (qui lit quoi, qui travaille sur quel sujet, etc) ;
  • <ajout du 03 mai 2019> je remarque seulement maintenant la partie 6.9, traitant du TDM (Text and Data Mining, en gros, l’analyse automatique et massive des contenus) qui nous sort quand même une sorte de barrière mobile (par versement ISETX interposé) de, à la louche,… DIX ans. Je n’ai qu’un mot ici. LOL. </ajout du 03 mai 2019>

Pour la forme :

  • on dirait que s’esquisse en filigrane une stratégie de contournement de HAL qui ne peut qu’étonner, et qui m’interroge d’autant plus lorsque je confronte cet accord de principe avec la démarche de Couperin vers l’Open Access. Dit autrement, j’ai beaucoup de mal à comprendre comment le même consortium peut avoir un discours Pro-AO d’une part, et se préparer à signer d’autre part un tel accord. Personnellement, si j’étais encore dans le GTAO (ou dans les coulisses de HAL, d’ailleurs), je serais genre… fumasse ;
  • j’avoue être une fois de plus (cf. ce qui c’était déjà passé autour de la dernière licence nationale Elsevier) très étonné de l’omerta du voile pudique entourant ces négociations, dont la logique assez délétère transparaît dans le point 8. de l’accord de principe. En tant que professionnel des bibliothèques, dont la mission centrale est à mes yeux de favoriser la diffusion de l’information, de toute l’information, toujours, partout, je suis très choqué de voir un consortium censé représenter les bibliothèques travailler dans un tel secret, allant jusqu’à s’engager auprès d’un fournisseur à ne communiquer publiquement la teneur d’un accord national qu’au plus près de la signature de l’accord final (comprendre, on ne donnera les détails de l’accord que quand il sera trop tard pour le discuter). J’avais déjà évoqué cette question du secret lors de la signature de la dernière licence nationale Elsevier ici, et  et, plus de quatre années après, j’ai le sentiment que les choses n’évoluent pas du tout. Cela dit, à s’y pencher, c’est logique. On ne change pas des méthodes qui ne profitent qu’à Elsevier.

D’une manière générale, je ne comprends pas bien pourquoi ces négociations de Licence Nationale ne sont pas réalisées de manière publique et ouverte. Sauf erreur de ma part, rares sont les informations qui filtrent en cours de négociation, et les bibliothèques du consortium n’apprennent que très tard le chemin que prennent des négociations à pourtant très fort enjeu (la LN Elsevier en est ici un parfait exemple).

Or il serait assez facile (et constructif) d’entrer enfin pour ces importantes négociations dans des logiques de transparences collaboratives, via des plateformes permettant de discuter les termes des accords en cours d’écriture, et de recueillir ainsi des avis et positions multiples afin de s’assurer collectivement que l’on va dans le bon sens (la manière dont la rédaction de la Loi pour une République Numérique a démarré, sur une plateforme collaborative, est un bon modèle de la démarche à laquelle je pense).

Enfin, pour clore, je me pose une autre question. Dans un environnement où, sans doute, nombre de chercheurs, en particulier dans les domaines STEM, sont de plus en plus avertis des problématiques de l’Open Access (et des marchés de dupes que nous imposent proposent les grands éditeurs), quelle image donnons-nous, nous, bibliothécaires, en nous préparant à signer de tels petits arrangements ? Quelle sera notre légitimité si nous portons à un niveau national de tels accords, lorsque nous irons par ailleurs essayer ensuite de convaincre nos chercheurs d’avoir une conduite vertueuse en favorisant l’Open Access ?

Ici, au-delà de “quelques” centaines de millions d’euros (la dernière Licence Nationale Elsevier ayant pris la forme d’une douloureuse d’environ 180 millions d’euros sur 4 ans, je doute que l’éventuelle prochaine nous coûte moins), j’ai le sentiment que se joue aussi un pacte de confiance que je sens mis à mal, je ne sais pourquoi.

MàJ du 01 mai : je précise ici le point “négocions les LN de façon collective, transparente et ouverte” évoqué plus haut.

Un an et et puis un autre

Contexte : voici dix ans, la promotion DCB15, dite promotion Flora Tristan, quittait l’EnssibAfin de marquer cet anniversaire, l’idée de créer un site web regroupant des témoignages des membres de cette promotion se penchant sur leurs parcours  professionnels individuels a émergé mais, pour diverses raisons, cette idée n’est restée qu’une idée, et le site à l’état de brouillon.

Voici toutefois le billet que j’ai écrit pour l’occasion. Il synthétise 3650 jours.

clavier-article-danielJ’ai souvenir des derniers jours et de l’été qui commençait, des rendez-vous avec les recruteurs, de nos mines endimanchées dans les couloirs où restait encore un peu d’ombre, du sentiment que j’avais de la fin de l’année, peu ou prou bien le même que celui qui, depuis mes premières rentrées, termine toujours le mois de juin — une impression de fin qui n’a aucun retour, cette urgence que l’on sent à dire ce qu’il faut dire, et puis aussi évidemment, la peur de ce qui vient derrière le long tunnel éclatant du soleil, la rentrée qui s’annonce et avec elle aussi, les premiers pas de professionnel qu’on sait ne pas être du tout.

Et dix-huit mois après le premier jour

Nous sortions de mois qui avaient été, eux aussi, un tunnel. Les images sont nombreuses qu’on accumule en tant de jours, mais il surnage quelques moments, qui seraient des virages. Et le premier, ce sont ces premiers jours de la première semaine où les visages, les figures, ont commencé à se poser sur des noms, des gens, pendant que je me demandais s’il me fallait rester tant je ressentais l’énorme décalage qu’il y avait entre moi, ce que je savais, ce que j’étais, et ce que je pressentais, sentais, des personnes tout autour, à mes yeux stratosphériquement intelligentes et brillantes. Évidemment, je suis resté, il le fallait, ne serait-ce que pour voir où ça irait.

Je me souviens aussi de la première fois où quelqu’un, qui est ici sans doute à lire, m’a parlé de WordPress, lequel WordPress, ironie de l’histoire ou information de fait sur la persistance de l’outil, fait tourner le site sur lequel nous sommes à présent, devisant du temps qui passe et du métier qui reste. Moi qui avait jusque là un petit site caché quelque part sur le Web et dont les pauvres pages, qui faisaient ma grande fierté, étaient faites d’un HTML garanti main, je découvrais soudain la puissance d’un CMS, la facilité qu’il donnait à organiser les contenus, cette liberté que la séparation de la forme et du  fond permettait, et qui faisait qu’avec peu de clics, rapidement, un site web pouvait changer du tout au tout, au moins visuellement, ce qui n’est pas rien dans l’expérience qu’on en a comme lecteur.

Je me souviens également de la découverte de XML, des cours plein de malices sur un sujet pourtant aride, de l’émerveillement que j’ai ressenti devant la simplicité de ce langage et de son extensibilité, de ce qu’il laissait deviner de possibles et à évoquer cela, je m’aperçois sans surprise que  j’ai tout oublié ou presque de ce que j’ai appris alors, à part quelques noms, TEI, XSL-FO — l’une des choses qui émergent pour moi dans le bilan de ces dix années écoulées, c’est à quel point les savoirs techniques sont volatiles dès lors qu’on ne les utilise plus au quotidien.

Je me souviens, encore, et ce ne sont que deux exemples1, de grands moments de plaisir intellectuel. Je peux citer ainsi un cours sur FRBR magistralement mené par un intervenant dont j’ai oublié le nom, et qui a eu l’heureuse et pédagogique idée de nous faire refaire, from scratch et sous forme de travaux pratiques de groupes, le parcours intellectuel qui avait conduit à l’élaboration du modèle FRBR : pour une fois, foin d’un cours magistral, nous avons réfléchi comme des fous, les migraines ont été nombreuses mais payantes, et j’ai encore en moi la joie de ce jour de sentir mes neurones s’agiter en tout sens telles des puces devenues folles.

Je peux aussi citer l’Enssib parallèle, une série de mini-exposés que nous organisions le soir au sein de la promotion sur un principe simple : n’importe qui d’entre nous avait toute latitude pour intervenir sur un sujet lui tenant à cœur, devant notre auditoire volontaire. Ce petit dispositif, je le sais, a énormément compté à mes yeux, en ce qu’il m’a permis de découvrir la palette impressionnante des intérêts multiples des personnes partageant mon quotidien d’élève-conservateur — j’ai confirmé là, je crois, l’impression diffuse que j’avais de la force du collectif, impression qui n’a fait que se confirmer au long des mois de notre formation puis plus tard, mais j’y reviendrai.

J’ai fait mes premiers pas

J’ai évoqué plus haut la période finale, celle où la promotion s’alignait en face des postes proposés aux sortants d’école par les établissements prêts à accueillir dans leurs rangs des débutants, ou presque2. Pour moi, ce moment crucial n’a été d’aucune tension : le hasard avait bien fait les choses, le poste de mes rêves, que je lorgnais depuis des mois, s’était par miracle libéré, les rendez-vous de contact avaient été réalisé en amont du mouvement de sortie et pour tout dire, la fiche du poste en question, proposée aux sortants de la DCB 15, était profilée pour que je sois quasi le seul à y correspondre. De fait, mes camarades m’ont laissé sans débattre aller où je voulais.

On évoque peu le stress du débutant. Il y a un soir, il y a un matin, et l’on passe d’un seul coup d’élève-conservateur à professionnel des bibliothèques dont tout le monde, et en particulier les équipes qu’il encadre, est en droit d’attendre qu’il le soit, professionnel, alors même que par définition, c’est impossible, puisque manque l’essentiel : une expérience.

Pour ce qui me concerne, la difficulté a été relative, mon ancien métier m’ayant habitué à plus lourd, plus tendu, plus imprévisible surtout, mais tout de même, du jour au lendemain, me voilà à prendre la tête d’une équipe Bibnum et la relève de mon prédécesseur à cette place de responsable de la section Bibliothèque numérique de la Bu d’Angers dont le moins qu’on puisse dire est qu’il (mon prédécesseur) en a sous le capot — il est des situations de challenge qui vous poussent à travailler encore mieux, et plus, et celle-là en a été.

Pour l’essentiel, de ces sept années passées à piloter cette section assez particulière au sens où elle était, dans l’organigramme, l’équivalent des deux autres sections physiques de l’établissement, ce qui symboliquement et politiquement, était un geste fort, les apprentissages ont été principalement techniques avec évidemment, une masse d’outils à appréhender ; et organisationnels, tout particulièrement dans ce qui concerne les interactions avec les autres services de l’Université : je n’imaginais pas jusqu’alors à quel point une Université est un éco-système complexe avec lequel il faut composer, un paquebot qui si agile qu’il se veuille ne change pas de trajectoire aussi rapidement qu’il le faudrait, qu’on le voudrait.

Après ces premiers pas, diverses circonstances sur lesquelles il n’est pas nécessaire de revenir firent que j’en vins à quitter la bibliothèque pour rejoindre la Direction du Développement Numérique de l’Université d’Angers, plus connue partout ailleurs sous l’intitulé de D.S.I., sur un projet de pôle hébergé au Lab’UA et se donnant pour mission d’accompagner les chercheurs sur leurs données et publications. Durant deux années, la difficulté se révéla alors tout à la fois, de maintenir à flot un pôle créé ex-nihilo ; et de le rendre visible et audible auprès des chercheurs, sur des thématiques dont ils peuvent être parfois éloignés. La tâche fut difficile, et le pôle ne dépassa son deuxième anniversaire, le Lab’UA se recentrant sur un support strictement pédagogique. Évidemment, la pilule s’avéra un peu amère, mais de cette période, il reste Okina, l’archive ouverte institutionnelle qui fut montée au sein du pôle Données et Publications de la Recherche que je pilotais alors — pour Okina, je n’ai pas fait grand chose sinon pousser à la roue, mais c’est une fierté, assurément, d’avoir montré avec mon équipe d’alors qu’un tel projet pouvait parfaitement être monté, et très rapidement encore, si l’on se remontait vraiment les manches.

Depuis ? Depuis, je reste à la Direction du Développement Numérique de l’Université d’Angers, en responsable cette fois du tout récent Service de Transformation Numérique, un petit service (par la taille, mais les gerboises vont toujours plus vite que les éléphants) dont la mission est d’accompagner l’Université sur l’intégralité de sa stratégie numérique (vaste programme, lié aussi de fait à mon statut officiel récent de CDO de l’Université).

Voilà, esquissée en quelques lignes, dix années. L’exercice en cours ici est celui d’un bilan, d’un regard rétrospectif sur le chemin fait, les années écoulées. Si dix années constituent un vaste vivier où piocher de quoi réfléchir, à m’y pencher, je vois que des lignes de forces se dessinent dans mon parcours, qui ne sont pas si nombreuses qu’elles ne puissent pas être évoquées toutes ici.

Des bibliothèques pour tout et puis pour tous

Lors du concours de conservateur, au moment du grand oral (appelons-le comme cela histoire de rendre ce rite de passage solennel), l’un des membres du jury m’avait posé une question dont je savais qu’elle arriverait3 : passant ledit concours en interne, mais comme Conseiller Principal d’Éducation, métier qui peut paraître lointain des bibliothèques, je sentais qu’il me faudrait justifier cette bifurcation professionnelle. Cela me manqua pas : Pourquoi voulez-vous donc devenir Conservateur des bibliothèques, vous qui êtes CPE ? Ce sont des métiers très différents, non ?, me demanda-t-il.

La réponse est facile. Les métiers paraissent certes différents, et de beaucoup, et rien ne semble relier le CPE intervenant au milieu d’un conflit, voire d’une bagarre, au Conservateur des Bibliothèques en charge du numérique. Mais il y a des points communs, qu’on peut résumer par cette phrase qui a été, peu ou prou, ma réponse alors : dans une bibliothèque, dans un établissement scolaire, l’enjeu est d’accueillir tout le monde, de faire vivre tout le monde ensemble, l’enjeu est de faire que tout le monde ait progressé vers le meilleur quand le jour se termine, l’enjeu est que chaque personne apprenne quelque chose au cours de son passage, dans la bibliothèque, dans l’établissement scolaire, donc non, ces deux métiers, dans leurs visées, ne sont pas tellement différents quand seuls les éloignent les moyens dont ils disposent, et encore.

Cette réponse est certes un peu grandiloquente, il faut s’imaginer le cadre, le jury, le candidat dans son costume à peine étrenné et qu’il ne portera plus guère, la tension qui règne, quoi qu’on dise. Mais le fond, lui, n’a pas pris une ride et de ces dix années, chacune de mes actions, chacun de mes projets, au final, a tendu vers cela, participer à ce que nous, usagers que nous sommes ou servons, professionnels avec lesquels nous travaillions, progressions ensemble vers un meilleur dont je crois profondément qu’il passe par le savoir et la culture, tous les savoirs, toutes les cultures.

De là, évidemment, on rejoint facilement d’autres thématiques qui me sont chères, celles de l’accès ouvert, libre, et gratuit autant que faire se peut, à des savoirs, des cultures, des outils, en fait, tous ces mouvements dont le nom commence par Open ou se termine, francisé, par Ouvert.e et parmi lesquels évidemment, la thématique de l’Open Access, dont je pense, pour en avoir parlé ailleurs, ce qui m’évitera d’y revenir ici, qu’elle est un combat fondamental pour les Bibliothèques universitaires, combat qui, en dix années, n’a pas à mes yeux avancé assez4.

Mais pour ne pas quitter le sillon premier, ce que j’ai appris en ces années, c’est que la bibliothèque, assurément, était l’un des hauts lieux où il m’était possible d’œuvrer aussi, comme auparavant dans la cour du lycée, à un bien-vivre ensemble, à un bien-vivre mieux, intelligent ; et aussi, que la bibliothèque, comme hub, lieu de croisements, de partages, était certainement l’un des lieux les plus adéquats pour y faire preuve d’humanité, fut-elle numérique (ce qu’elle est et sera, sans aucun doute).

Éloge de la bibliothèque (numérique)

Ces ans entassés, je les ai passés quasi exclusivement à travailler des projets numériques, par choix, par goût, par envie, et aussi, clairement, parce que j’ai l’absolue certitude que la bibliothèque, c’est la bibliothèque numérique ou plutôt, qu’une bibliothèque ne peut qu’être numérique, ou encore, qu’il n’y a nulle rupture entre le monde des bibliothèques “physiques” et celui, éthéré, dans le cloud, qui serait celui où j’évolue quotidiennement, comme jadis à la BU d’Angers, comme ensuite au Lab’UA, comme maintenant à un niveau plus global où finalement se croisent exactement, toujours, les mêmes enjeux, que je viens d’évoquer, le tout, pour tous.

Lorsque je me suis installé dans mon premier poste, je répétais souvent que de disposer d’une section numérique, affichée comme telle dans la structure d’ensemble de la bibliothèque, était réel signe politique quand souvent, le numérique n’est qu’une vague mission transversale, voire un thème externalisé. C’était aussi pour moi un espoir, celui de voir considérées les tâches numériques non pas comme une spécialité hors les bibliothèques5, mais bien, comme une part entière du métier des bibliothèques, au même titre que la gestion physique des collections ou l’accueil des flux d’usagers, dans le continuum qui est le nôtre et se déplie du papier toilette au cloud.

La place du numérique dans la bibliothèque me semble toujours pourtant aujourd’hui faire débat, et mes constats vont tous encore dans le même sens d’une sorte de dichotomie, de coupure, entre la bibliothèque des bibliothécaires “classiques”, et son versant numérique censément réservé à une sorte particulière des bibliothécaires un peu geeks relégués dans leur particularisme. Les jours où le pessimisme gagne, j’ai même tendance à penser que la bataille est perdue parce que globalement, je constate un affaiblissement de la fonction numérique et informatique repérée comme telle dans les bibliothèques, qui devrait être confiée à des bibliothécaires spécialisés6 mais qui, donc, disparaît lentement des radars.

Je ne sais qu’en dire de nouveau. Je ne peux que répéter ce que je ne cesse de dire, que l’explosion faramineuse des outils numériques, des pratiques numériques7, que l’outil fantastique que sont le Web, les terminaux mobiles que nous avons toutes et tous, comme nos usagers, dans nos poches et nos cartables, nos sacs à dos, sont autant d’occasions historiques, pour nous, bibliothèques, de remplir nos missions. Je ne peux que répéter que, à un moment où un flot d’informations absolument inédit dans l’histoire de l’humanité déboule de toutes parts, nous n’avons jamais été aussi nécessaires pour aider à organiser, valoriser, structurer, comprendre, critiquer, assimiler, et que cela passe par la prise en main directe et franche de ce monde numérique, parce que la bibliothèque, en 2018, c’est la bibliothèque numérique (et inversement). Je ne peux que répéter, enfin, de manière plus imagée, que nous avons le cul sur un tas d’or, mais que nous dormons en rêvant du passé.

Vers le présent

Le pourquoi de cette situation, j’en vois quelques explications, assez claires, déjà sensibles il y a dix ans, et toujours évidentes maintenant, tenant principalement au recrutement des personnels de bibliothèques et en particulier des conservateurs. On le sait, le concours, sas d’entrée et filtre, ne porte aucunement sur la capacité à faire, mais sur celle à dire — il ne s’agit pas de montrer qu’on sait faire, mais de dire qu’on saura faire, dans une sorte de logique performative : je sais réfléchir, je sais le dire, je saurai le faire, et du numérique, comme du reste, je ne ferai qu’une bouchée, puisque je sais penser.

Il y a loin toutefois du discours au concret du monde, et pour ce qui concerne la partie qui est la mienne, il y a loin du discours sur le numérique à sa compréhension “intime”, comme il y a loin entre les ouvrages savants décrivant par le menu comment l’on fait de la bicyclette, et les chutes, les crampes, le mal au fondement, qu’est l’expérience d’une promenade à vélo.

Ce phénomène, par ailleurs, est amplifié par les logiques de miroir, d’entre-soi, propre à tout concours organisé par des structures encore très classiques, regroupant des jurys dont souvent, les membres sont loin d’avoir une expérience concrète du numérique, de celle qu’on acquiert les mains dans le cambouis. In fine, tout est ainsi en place pour une sorte de reproduction des schémas et des modes de fonctionnement, tout est en place pour que les recruteurs, trop souvent loin du numérique, recrutent leurs mêmes, bouclant la boucle d’un monde qui ne saute pas le pas pour aller dans ce qui est simplement notre présent, au moins, celui de tous nos usagers.

Peut-être qu’il serait enfin temps ici de réfléchir aux missions des bibliothèques, au levier que représentent les outils numériques pour atteindre à ces missions, peut-être qu’il serait temps de considérer que ces outils ne peuvent plus être ignorés, connus, explorés, maîtrisés, par ceux, celles qui sont amenés à piloter les bibliothèques, peut-être qu’il serait temps de se rendre compte, collectivement, qu’un espace nouveau est là, qui ne relève pas d’un phénomène de mode qu’il suffit de laisser passer, dans lequel nous devons être, si nous ne voulons pas qu’il se fasse sans nous. Et peut-être, sans doute, qu’il serait temps de modifier radicalement les règles du jeu qui fonde le recrutement de ces pilotes censément éclairés en faisant de la pratique numérique un incontournable des épreuves du concours.

Par ailleurs, je pense aussi qu’il est plus que temps d’horizontaliser nos fonctionnements, que le moment est venu de démonter les chaînes hiérarchiques, parce que nous perdons beaucoup à ne pas écouter, entendre, considérer ce qui nous vient d’idées, d’envies, d’aptitudes, de compétences numériques, de la part de nos collègues8 (et je pourrais ajouter, de nos usagers). Ici, mon propos est bien de dire que nos organigrammes doivent être démontés et que peut-être, cela commence, dans le monde physique, par des choses simples, des lieux professionnels où le cadre, le conservateur, ne travaille plus seul dans son bureau tour d’ivoire mais est assis auprès de son équipe, dans des bureaux communs.

Du collectif-web

De tout ce temps, on tire des leçons, sauf à avancer sans jamais se retourner, et encore. Les lignes qui précédent esquissent les contours de certaines de ces leçons, et peut-être que l’on sentira, en filigrane, une certaine désillusion : le débutant qui quittait l’Enssib en juin 2007, et le quinquagénaire légèrement plus aguerri maintenant, auraient beaucoup à se dire, et s’engueuleraient très probablement s’ils devaient se rencontrer à la faveur de quelque pli de l’espace-temps, le premier pensant que tout est possible rapidement, le second le tempérant certainement avec cette sorte de lassitude qui vient à force de pousser sa pierre dans un environnement, des fonctionnements, qui ne changent pas, ou en tous cas, pas aussi vite que le monde autour.

Il y a cependant un point qu’il faut relever, pour terminer, et qui redonne espoir. J’ai dit plus haut comment, lors des séances de l’Enssib parallèle, j’avais senti poindre la force du collectif, ce qui pouvait se passer quand des individus, si hétérogènes qu’ils soient, partageaient leurs connaissances et leurs différences. Dans le même temps, et je l’ai découvert là-bas, naissaient de petites choses comme Twitter ou Facebook, et grossissait une biblio-blogosphère9, tous évènements alors anodins mais qui, à mes yeux et avec le recul, ont participé à la mise en place, dans mon domaine professionnel, d’un collectif dont je vois s’exprimer chaque jour la force dans les échanges à distance qu’il permet, dans l’entraide qu’il autorise, dans le rire qu’il apporte. Mes collègues sont ainsi autant mes voisins de bureaux que ceux, celles dont parfois je n’ai jamais vu le visage, mais avec qui je suis, travaille, chaque jour, au travers de l’écran.

Ce changement-là, cette extension vers l’immatériel d’une force de travail, cette naissance d’un collectif,  cela, pour moi, est assurément le point positif qui surnage des dix ans et dont, je crois, peu de personnes prennent encore conscience dans mon entourage professionnel comme dans les structures de pilotage des bibliothèques, clairement, par absence de pratique. Ici, en dix années, j’ai le sentiment très fort que mon espace professionnel, et les puissances de travail comme de réflexions que je peux y mobiliser, s’est ouvert au-delà de tout ce que je pouvais imaginer en quittant l’Enssib, me donnant la possibilité, à tout moment, de réellement échanger avec un groupe de professionnels dans un espace immatériel surplombant mon quotidien et, pour tout dire, le dépassant, comme une couche qui viendrait en plus et donnerait à tout énormément plus de force et de goût.

Au-delà de la reconnaissance toujours insuffisante du numérique comme pivot essentiel des bibliothèques, au-delà de que nous pourrions faire pour l’Ouvert et que nous ne faisons pas, au-delà des lourdeurs terribles qui nous plombent, faisant disparaître dans le sable nos énergies et nos projets, cette naissance d’un collectif-web, que je retrouve par ailleurs dans d’autres de mes activités lorsque je sors de la bibliothèque ou du bureau ; cette naissance d’un collectif-web qui est aussi un “corps-web”, assurément, est le principal point positif qui surnage sur les dix années passées. Pour le reste, qui doit être encore amélioré ou même tout simplement entamé, réalisé, on y travaille.


1. Il y en a d’autres évidemment, dont les soirées de la Coquette de Lyon, atelier d’écriture où, assurément, nous avons bien ri.
2. Certains, certaines d’entre nous ne l’étaient pas, arrivé.e.s d’emblée plein d’une expérience dont les débutants, les vrais, dont j’étais, avaient pu profiter.
3. C’est l’un de mes conseils de préparation du concours, d’ailleurs : chercher les questions qu’inévitablement, votre parcours antérieur fera apparaître, pour mieux préparer votre réponse. L’autre conseil, c’est de passer des oraux blancs pour que d’autres repèrent les points questionnants de votre parcours, points qui attireront forcément l’attention du jury.
4. Nous aurions pu aller plus vite, gagner des batailles plus décisives, mais je ne sais pourquoi, il règne ici une pesanteur, une inertie, qui gâchent tout.
5. Ce qu’elles sont dès lors que les missions numériques relevant de la bibliothèque sont externalisées, éloignées, renvoyées aux services spécialisés de type D.S.I. où, quoi qu’on fasse, elles (ces missions) se diluent parmi d’autres tâches.
6. Cette spécialisation, nécessaire à mes yeux parce que le numérique ou l’informatique documentaires ont des spécificités techniques et culturelles dont les collègues informaticiens sont loin, chacun son métier, n’étant en rien incompatible avec, d’une part, la nécessaire acculturation de tous les personnels de bibliothèques à ces outils et problématiques ; d’autre part, un travail conjoint avec les D.S.I. support, les spécialistes “internes” que j’évoque jouant le rôle, littéralement, d’interfaces entre ces différents acteurs.
7. Et je ne parle même pas des Humanités numériques sur lesquelles pourtant nous devrions nous jeter, nous, conservateurs issus pour notre très grande majorité de filières strictement littéraires.
8. C’est souvent que l’on m’a raconté, ici ou là, comment tel ou telle, venant avec son idée de service, sa proposition numérique, avait été envoyé.e. dans les cordes dans un mépris hiérarchique cachant aussi, de manière visible, une incompréhension technique ou sociétale.
9. Biblio-blogosphère qui depuis a quelque peu été asséchée au profit des échanges sur les réseaux sociaux, mais c’est une autre problématique.


NB : le cliché illustrant cet article a été placé sous licence CC0 par David Verbrugge.

Un Schéma Directeur du Numérique #4 — de ce que j’ai appris

Ce billet est la suite (et la fin) de ceci.

Du fait de mon rôle de pivot entre Wavestone, la DDN et plus globalement, l’Université, j’ai vécu toute cette période d’écriture de notre SDN depuis une position privilégiée, et l’expérience, inédite pour ce qui me concerne, a été particulièrement intéressante. C’est le moment du bilan (un peu en vrac).

Concernant l’organisation de la démarche, Wavestone, notre prestataire, a été exemplaire, ce qui a grandement facilité la tenue des délais : le fait de travailler autour d’un planning validé ensemble dès les premiers échanges, et de respecter ce planning, a permis d’éviter que le travail parte dans le sable. Certes, le rythme était soutenu ; certes, cette scansion rapide et précise est assez inhabituelle dans nos institutions ; mais pour ce qui me concerne, j’ai trouvé cela réellement facilitant, en particulier dans les interactions internes avec les services et conseils concernés.

La démarche bottom-up, et la logique de raffinage à mesure qu’on “montait” vers les niveaux top-gouvernance, combinée à des itérations d’ajustements, ont été à mes yeux un autre atout : cela a permis d’impliquer pas mal de monde dans la démarche, et fait qu’au final, ce SDN est bel et bien le SDN de la communauté Universitaire de l’UA, et pas un vague truc monté sur un coin de table par quatre personnes très spécialisées à la fin d’un repas un peu arrosé.

Cette démarche recherchant l’implication maximale a concouru de plus, je pense, à faire émerger la problématique numérique dans des espaces (de décisions et/ou de réflexions et/ou de travail) pas forcément habitués au sujet : il me semble que cela devrait participer à ce qu’on sorte un peu de la logique trop souvent présente du “le numérique, c’est un truc de geeks qui travaillent à la DDN et moi, ça ne me regarde pas” pour arriver sur une logique de type “le numérique, c’est un élément central de l’Université d’Angers, et il nous concerne toutes et tous.”

Toute la phase 3 et la quantification qu’elle supposait, en termes de RH et coûts, comme d’identification MOA/MOAE, a eu par ailleurs deux effets :

  • les concepts même de MOA/MOE ont été posés sur la table, et diffusés largement dans les services, pas forcément habitués à ces dispositifs et logiques structurantes. Trop souvent, dans le milieu académique, les projets manquent à mon avis l’étape préalable d’identification du qui fait quoi, et celle de la désignation claire du/de la responsable de projet, ce qui a des conséquences assez délétères ensuite. Ici, en travaillant les projets du SDN avec ces clefs MOA/MOE, j’ai bon espoir que par la suite, la réalisation concrètes des projets se passe au mieux ;
  • la quantification, même si elle peut paraître à grosses mailles (mais je pense que globalement, les volumes sont justes, par le principe des vases communicants entre possibles erreurs, entre les projets), a permis de rendre tangible les besoins et coûts et donc, de quantifier aussi l’ambition de l’Université. Dit autrement, nous savons à présent ce que représenteront et pèseront nos choix : politiquement, ce n’est pas rien que de s’engager sur des chiffres précis.

Dans le document final, Wavestone nous a également suggéré des structures d’animation et de contrôle des avancées des projets du SDN. Ce point aussi est un gage, je pense, de réussite.

Évidemment, au final, rien n’est fait : si le SDN est rédigé, il doit encore être voté au CA de juin 2018 pour devenir donc à ce moment une feuille de route opérationnelle. Et c’est là (et en fait dès tout de suite) qu’il va falloir que nous nous en saisissions, non pas comme un objet intellectuel derrière sa vitrine, mais bel et bien, comme un outil du quotidien, vivant, s’adaptant au milieu très mouvant qu’est le numérique, et aussi nous donnant collectivement des directions à suivre, vers lesquelles toute l’Université veut aller, ces directions étant globalement et rapidement :

  • une direction assez attendue de consolidation de l’existant (infrastructures, applicatifs) ;
  • une mise à disposition de communs numériques,
  • un travail vers l’innovation et l’expérimentation
  • le tout, en accompagnant les métiers dans les transformations qui se profilent.

Cela ressemble à une belle aventure, non ?

Un Schéma Directeur du Numérique #3 — de comment on a travaillé (bis)

Ce billet est la suite de ceci.

Phase 3 : écrire

Les phases 1 et 2 évoquées dans le billet précédent, on l’a compris, ont permis de voir émerger un ensemble de demandes et besoins en apparence hétéroclites, mais dont Wavestone a pu tirer une organisation en sept grands programmes thématiques comprenant chacun un certain nombre de sous-projets spécifiques, l’ensemble constituant un portefeuille de 53 projets qui, à proprement parler, deviendrait in fine le Schéma Directeur du Numérique.

Le travail ne s’est pas arrêté là à une “simple” ventilation de projets sur de grands programmes. Chaque projet a été de fait quantifié de manière très précise dans ses composantes RH (combien de personnes nécessaires) et dans ses coûts prévisibles hors RH (acquisition de solutions par exemple), et cette quantification s’est faite lors de plusieurs séances de travail entre la DDN et Wavestone.

Par ailleurs, une première ventilation en terme de MOA/AssistanceMOA/MOE/AssistanceMOE a été effectuée, afin de déterminer qui allait faire quoi — parce que ce n’est pas tout d’avoir une liste de projets, encore faut-il savoir comment ils vont être réalisés concrètement, et ce n’est pas une mince affaire. À l’issue de cette première ventilation, nous avons alors contacté les services concernés par la MOA (dit autrement, les services qui, pour chaque projet, seraient “commanditaires” du projet, la DDN étant de fait et par définition la MOE des projets) en leur demandant en particulier de prioriser dans le temps les projets dont ils allaient être porteurs (un SDN planifie des projets, mais on ne peut pas tout faire tout de suite : il faut donc travailler la temporalité globale des X projets et trouver un équilibre tenable).

Tout ce travail de quantification a permis en particulier d’estimer les coûts globaux des X projets (et de constater qu’un budget conséquent était encore à consolider) ; et de démontrer qu’il fallait “détendre” le calendrier, entendre reprogrammer les différents projets en fonction de la réalité des forces en présence VS les envies des services.

On notera au passage que le travail de réalisation du SDN ne s’est pas effectué en vase clos entre la DDN (ou plutôt, bibi et Wavestone. Tout au long des quelques mois qu’a duré cette tâche, de nombres échanges ont eu lieu entre différents acteurs mobilisés/mobilisables/à mobiliser sur le SDN :

  • un comité pilote (composé du VP Numérique, du Directeur de la DDN et de votre serviteur) se prononçait régulièrement (lors de réunions téléphoniques, en visio ou en réunion physique) sur les différentes étapes et propositions de Wavestone ;
  • Wavestone est intervenu trois fois une heure/une heure trente en CPN pour expliquer la démarche, d’abord ; puis donner des points d’étape ; et faire valider des choix et orientations ;
  • enfin, last but not least, Wavestone est également intervenu trois fois une heure/une heure trente en CODIR, en général à la suite des interventions CPN, toujours pour rendre compte des avancées ; et faire valider à un niveau politique haut les options qui émergeaient des travaux menés “plus bas”.

Au final, à l’issue d’un travail plutôt dense commencé fin septembre 2017, la société Wavestone nous a livré le 04 avril 2018 notre SDN rédigé, livraison prenant l’apparence de :

  • une trentaine de pages synthétisant la démarche générale, l’organisation en grands programmes, quantifiant et précisant les questions RH et de coûts, ainsi que les organisations de pilotage et de suivi que Wavestone préconise de mettre en place en parallèle au SDN pour aboutir à sa réalisation concrète — c’est le SDN dans son versant “politique” ;
  • 53 fiches projets détaillant chaque projet (contenu, calendrier, acteurs mobilisés, évaluations chiffrées) en un A4 par projet — c’est le SDN dans son apparence opérationnelle, et je gage que ces fiches projets seront notre lecture quasi quotidienne dans les cinq années à venir (j’exagère, mais à peine).

Cette livraison, toute récente, a donc marqué la fin de l’intervention du prestataire. Nous concernant, il nous reste à faire valider ce SDN par le CA de l’Université (ce sera l’objet d’un vote au CA du 07 juin 2018).

Ensuite, il s’agira de mettre en œuvre les 53 projets (la fin de quelque chose est toujours le début d’autre chose) en faisant vivre le SDN pour qu’il reste dynamique (je n’ai pas besoin de vous expliquer pourquoi une programmation de 53 projets sur 5 années, dans le numérique, cela doit rester souple, et s’adapter à un environnement pour le moins changeant).

La suite (billet #4)

Un Schéma Directeur du Numérique #2 — de comment on a travaillé

Ce billet est la suite de ceci.
L’enjeu est de décrire la méthode et les étapes du travail SDN-UA

Le brouillon de CCTP ayant servi de trame à la rédaction de la réponse de Wavestone, ainsi que cette dernière, prévoyaient trois grandes phases de travail dont on trouvera le détail plus bas.
Par ailleurs, nous avions convenu d’un rendez-vous hebdomadaire téléphonique d’une heure environ entre votre serviteur, jouant le rôle de pivot entre Université <-> Wavestone, et notre contact chez le prestataire : ces points hebdomadaires, très précieux, étaient le moment où nous pouvions caler ensemble les avancées du travail, faire le bilan des étapes effectuées, et prévoir les tâches futures.

Le premier RDV téléphonique, qui marque pour moi le démarrage réel de la démarche SDN, a eu lieu le 22 septembre 2017, et le document final du SDN nous a été livré le 04 avril 2018 : le délai peut paraître relativement long mais si l’on enlève les vacances et autres fêtes, et si l’on regarde de près la masse de travail effectué, je peux dire que ça n’a pas traîné.

Concernant les trois grandes phases évoquées ci-dessus, entrons un peu dans leur détail.

Phase 1 : Un état des lieux à 360°

Pour procéder au nécessaire état des lieux préalable à tout projet du type de celui qui nous occupe, Wavestone a procédé à :

  • un recueil de toutes les informations (chiffrées/rédigées) que nous étions en mesure de fournir, sur les infrastructures techniques, les ressources humaines, les éléments budgétaires, les descriptifs de projets, etc. autour de la DDN, du Numérique et plus globalement, de l’Université (projets politiques, structures, etc.) ;
  • une série d’entretiens directs d’une durée d’une heure trente environ, avec différents acteurs (24 personnes en tout) de l’Université, qu’ils s’agisse de politiques, de doyens d’UFR, et/ou de responsables de services (communs, centraux, ou intra-DDN) ;
  • une série d’entretiens directs d’une durée d’une heure trente environ avec les partenaires de l’Université que sont le CHU d’Angers, l’Université Bretagne Loire, Le Mans Université, et Angers Loire Métropole (des rencontres avec d’autres partenaires étaient prévus mais les demandes et relances de Wavestone, accompagnées de notre soutien, n’ont pas reçues de réponses).

Par ailleurs, à cheval entre la phase d’état des lieux et celle de la co-construction, une enquête en ligne à destination des étudiant.e.s, enseignants et personnels de l’Université a été organisée, recueillant un nombre tout à fait honorable de réponses (plus de 2000) très intéressantes (un premier dépouillement a été mis en ligne ici) malgré le nombre important de questions des formulaires ; la période de l’année, autour des fêtes de noël, assez peu propice, d’autant que deux autres enquêtes en ligne venaient de solliciter pareillement nos communautés ; la publicité relativement limitée faite autour de cette enquête ; et le fait enfin qu’une enquête sur “le numérique” lancée par la DDN (dont par exemple, 99% de la communauté étudiante ignore sans doute ce qu’elle est et ce qu’elle fait) n’est pas forcément la chose la plus sexy dont on puisse rêver.

Précisons au passage que je tenais personnellement beaucoup à cette enquête, manière de faire avancer en interne/local la culture bottom-up de l’usager lambda qui n’est pas forcément l’habituelle approche de nos services.

Phase 2 : Co-construire

Une fois cette période d’inventaire réalisée, et parce que nous tenions à “embarquer” le maximum de monde dans le SDN (l’un des dangers repérés étant évidemment que le SDN soit fait par la DDN, pour la DDN, avec le regard hyper-technique de la DDN, le risque étant là d’atterrir loin des besoins réels des usagers finaux), nous sommes alors entrés dans une phase de co-construction des objectifs généraux du SDN (Vers quoi l’Université veut-elle aller, dans le domaine du Numérique, et quels sont les besoins des acteurs ?), co-construction qui s’est manifestée par :

  • trois ateliers d’une durée de 3 heures chacun, portant respectivement sur “l’UA du 21ème siècle” ; “le Numérique pour la recherche” ; “Numérique et transformation pédagogique“, qui ont réuni différents acteurs de l’Université ;
  • un séminaire de travail conjoint CODIR/CPN d’une journée qui a permis d’impliquer de manière importante la gouvernance politique de l’Université, d’une part ; l’instance de coordination du Numérique, d’autre part.

Concernant les ateliers :

  • les personnes présentes ont été sélectionnées/invitées par moi-même après échanges avec Wavestone, et j’ai pris soin de mélanger étudiant.e.s, E.C., administratifs, personnels techniques, de tous niveaux d’actions et de responsabilités, de manière à ouvrir au maximum les échanges et les points de vue (le numérique ne doit en aucun cas, à mes yeux, demeurer une affaire de spécialistes) ;
  • les trois thématiques choisies sont celles qui, à l’issue des entretiens de la phase 1, structuraient les problématiques les plus saillantes dans l’ensemble desdits entretiens.

Pour le séminaire CODIR/CPN, il s’est réalisé volontairement après les 3 ateliers, pour pouvoir à la fois recroiser les thématiques issues de la communauté avec le travail du politique et alimenter le politique avec les remontées de la communauté.

Les ateliers et le séminaire ont été animés tout du long par Wavestone, la société déployant des techniques d’animation permettant de faire que ces moments ont été enrichissants et efficaces pour tous les présents, en leur permettant de participer directement et activement à l’une des étapes du SDN (ce n’est quand même pas tous les jours qu’un agent de l’Université peut participer directement à l’élaboration de la stratégie numérique de sa boutique pour les cinq années à venir).

On notera qu’ici, globalement, la logique a été de travailler en bottom > up depuis la “base” de la communauté (enquête en ligne) en remontant par le biais des ateliers (plus ciblés dans leur composition) vers la gouvernance UA (CODIR/CPN).

la suite (billet #3)

Un Schéma Directeur du Numérique — de comment tout a commencé

Premier billet d’une série de quatre sur l’écriture d’un SDN à l’Université d’Angers

Or donc, voilà que notre VP Numérique demande à la Direction du Développement Numérique (DDN) où je sévis à présent de travailler à l’écriture d’un Schéma Directeur du Numérique (SDN pour la suite de ce billet) : notre Université n’en disposant pas/plus, et la réalisation d’un SDN faisant partie des engagements politiques de l’équipe aux manettes, il était temps de construire ledit document, avec une cible de validation dudit SDN au CA de juin 2018.

Vu mes attributions, il n’était pas illogique que j’accompagne ce travail et me voilà chargé par le Directeur de la DDN et le bureau de ladite DDN, du dossier.

Après discussion préalable, décision est prise de nous faire accompagner par une société de conseil, pour plusieurs raisons assez évidentes dont, en particulier, le manque de temps que nous pouvions consacrer en interne DDN à un tel projet forcément chronophage si on veut le construire sérieusement ; et le fait qu’il nous semblait intéressant d’avoir un avis extérieur sur la trajectoire à prévoir, sur le Numérique, pour l’Université (on voit toujours mieux un objet quand on est en-dehors de l’objet).

Ceci validé, et tous les éléments que nous avions pu collecter sur les coûts prévisibles d’un conseil extérieur montrant clairement que le seuil fatidique (et bas) des sommes au-delà desquelles un marché public est obligatoire serait franchi, les mots marché et CCTP commencèrent alors à clignoter, et votre serviteur, à suer.

Rédiger un CCTP pour ce qui s’avère être une prestation intellectuelle est un peu déroutant (enfin, pour moi) mais heureusement, on trouve sur le Web nombre d’institutions ayant eu la bonne idée de publier leurs propres CCTP pour ce type de marché. Ni une, ni deux, de quelques clics je moissonne, et largement je m’inspire.

En parallèle, un benchmarking auprès d’autres DDN/DSI fait remonter des noms d’entreprises conseillées pour ce type de prestations et surtout, une excellente piste : l’UGAP, dont je découvre que son offre comporte un volet “Prestations intellectuelles” qui peut nous épargner un marché (l’UGAP gère ses propres marchés, ce qui permet de traiter avec les titulaires desdits marchés, très simplement et rapidement, via des bons de commande — ceux qui savent savent le temps que l’on gagne).

Dès lors tout va plus vite : un premier contact avec l’UGAP valide la possibilité pour eux de répondre à notre besoin. Juste derrière, un rendez-vous est organisé entre la DDN, l’UGAP, et l’une des sociétés titulaires du marché “Conseil en système d’information et télécom”, en l’occurrence, la société Wavestone, le but de ce rendez-vous étant de permettre l’expression claire de notre besoin auprès du prestataire, expression de besoin que vient conforter notre brouillon de CCTP (puisque nous étions partis en première intention vers un marché classique).

Quelques jours plus tard, nous recevons une première proposition détaillée de Wavestone, décrivant très précisément dans un mémoire technique conséquent la manière dont pourrait s’organiser leur accompagnement, d’une part ; les coûts de cet accompagnement, d’autre part. Après quelques échanges entre nous et Wavestone, échanges destinés à aligner parfaitement notre demande et leur proposition, nous pouvons valider la commande, sans autre forme de procès, l’UGAP jouant son rôle d’intermédiaire, et c’est parti : le travail d’écriture du SDN de l’Université d’Angers commence.

la suite (billet #2)

De comment la folie du droit d’auteur peut tuer une seconde fois le fils d’Internet

<update du 21 septembre 2018>  J’ai redéposé la vidéo avec les subs incrustés ici https://peertube.mastodon.host/videos/watch/69bb6e90-ec0f-49a3-9e28-41792f4a7c5f </update>

<update du 10 février> le blocage porte sur un extrait sonore de “Agnes Obel – Fuel to Fire”</update>
<update du 07 février> ça ne s’arrange pas. La vidéo est à nouveau bloquée, cf. le message Youtube ci-desous.

screenshot-mail.google.com-2018-02-07-12-31-32-362</update>

 

Ceux qui suivent un peu se souviennent peut-être du documentaire consacré à Aaron Swartz que j’avais contribué à sous-titrer en français avec l’aide de quelques camarades. S’ils ont vu ce documentaire, je suis certain qu’ils ne l’ont pas oublié…

Depuis cette traduction, la VOSTFR de The Internet’s Own Boy vivait tranquillement sa vie sur Youtube en dépassant tout de même récemment les 150 000 vues — dont une partie, je le sais pour l’avoir pratiqué et avoir eu des échos de tels usages, était par ailleurs effectuée dans le cadre de “projections” évènementielles.

Il y a quelques jours, l’accès à la vidéo a été bloqué dans 238 pays (vous avez bien lu) du fait d’une atteinte au droit d’auteur portée par The Orchard Music / [Merlin] PIAS / [Merlin] Liberation Music au nom de : Play It Again Sam (voilà les infos présentes dans le backoffice de mon gestionnaire de vidéos Youtube)

screenshot-www.youtube.com-2018-02-06-20-53-38-785

La BO est manifestement concernée et, si j’interprète bien le peu d’éléments disponibles, la demande de blocage liée à un enregistrement audio serait effectuée par The Orchard, un distributeur, qui relaierait/”protègerait” ainsi le label Play It Again Sam, un troisième Larron, Merlin, jouant là-dedans un rôle qui m’échappe (je suis preneur en commentaires d’éclaircissements, si vous en avez).

J’ai contesté ce blocage, et la vidéo est à nouveau visible le temps que ma contestation soit étudiée. Mais ce blocage est révélateur :

  • de la folie du droit d’auteur qui conduit à bloquer la diffusion d’un documentaire gratuit traitant paradoxalement d’une figure interrogeant justement la question de la libre diffusion de certains biens ;
  • du risque qu’il y a à (éventuellement, si cela se vérifie) utiliser dans une production elle-même en Creative Commons des éléments sous droits (oui, faites gaffe à ça, c’est la leçon qu’on peut déjà tirer de ce blocage) ;
  • de l’idiotie que c’est d’essayer par ailleurs de bloquer les contenus de cette manière puisque le film en VOSTFR est disponible à plusieurs endroits et que donc, la démarche autour des DA est totalement vaine.

En attendant le résultat de ma contestation, qui pourrait déboucher sur un nouveau blocage, je vous invite à regarder le film en question. Il est ci-dessous et vous pouvez le trouver un peu partout, en VOSTFR, ailleurs sur le Net.

Le hamster qui savait lire l’heure

Or donc, ayant posté sur les RS les questions que je me posais maintenant sur une habitude prise il y a plus de deux ans, voilà qu’une éminente collègue me demande un billet sur le sujet. L’usagère étant reine, je m’exécute derechef.

Revenons en arrière. Au démarrage du Lab’UA, il nous avait été demandé d’emblée, dès les premières semaines de lancement de l’expérimentation, de produire toute une série d’indicateurs, et il avait fallu tenter de savoir, entre autres, à quoi nous passions notre temps, en dehors des parties de baby-foot s’entend.

C’est à ce moment-là que j’ai installé Hamster, un logiciel Linux de time-tracking (suivi de temps dans la langue de Molière).

Je ne reviens pas sur l’installation, d’autant que la plupart d’entre vous me lisent sous Mac ou Windows et sont donc priés de quitter ce blog. Quoi qu’il en soit, une fois Hamster installé, et configuré pour démarrer avec la session Ubuntu, il faut le nourrir : l’outil fonctionne en effet sur du déclaratif, c’est à dire que c’est l’utilisateur (votre serviteur) qui dit à Hamster, systématiquement : “Voilà, je démarre telle tâche” ; “Voilà, je termine telle tâche” ; “Voilà, j’ai fait ceci ce matin” (quand on a oublié de nourrir la bête, on peut aussi faire des déclarations a posteriori).

C’est un peu laborieux au début mais assez vite s’installe un automatisme et l’usage de Hamster devient routinier : on “note ses tâches” sans plus y penser.

L’intérêt évidemment, c’est qu’au bout du compte, on se retrouve avec la possibilité de récupérer des bilans d’activité sur telle ou telle période, ventilé par activités et types d’activités.

Après plus de deux années d’usage, maintenant que je ne suis plus au Lab’UA et que je fais un peu ce que je veux (just joking) du fait de mes fonctions de général en chef des doigts je me pose la question de continuer ou pas ce suivi (qui, dans mon cas, n’est en plus pas forcément tip top : du fait de ma fuzzy attitude, des catégories se recoupent, je me mélange un peu les pinceaux parfois, bref, je range mal mes activités, au départ).

Ce suivi a des avantages : je peux à tout moment expliquer que non, je ne passe pas mon temps à raconter des blagues douteuses à mes contacts sur les réseaux sociaux ; et quantifier assez précisément la part de telle ou telle tâche dans mon quotidien – on remarquera d’ailleurs que la veille, activité assez diffuse et invisible, me prend pas mal de mon temps Pro (et je ne comptabilise pas la veille faite chez moi).

Cette quantification évidemment n’est jamais inutile puisqu’elle permet de dépasser le stade du “cela me prend beaucoup de temps et je veux une augmentation” et de poser des chiffres sur la table.

D’un autre côté, à titre personnel, cet enregistrement scrupuleux de mes journées depuis plus de deux ans ne m’a finalement pas servi à grand chose, peut-être parce que j’ai des fonctions par natures solitaires et dont la quantification n’a pas d’intérêt sur un plan global ; parce qu’au final, personne ne m’a jamais demandé de rendre compte de mes journées ; et parce que je sais quand même à quoi se passent les journées, sans un hamster sur l’épaule.

Par contre, généralisée à un service tout entier, je pense que cet usage d’un outil de time traking peut servir à repérer et préciser les tâches mangeuses de RH, et à s’y adapter (embauches, réécriture des fiches de postes, etc etc).

Voilà. Je n’ai pas la réponse à ma question de départ, à savoir de décider si je continue ou pas à gaver mon Hamster. Par contre, vous pouvez utiliser les commentaires et en discuter avec moi. Et jeter un œil sur deux copies de mon écran pro, la première montrant Hamster en mode “prêt à déclarer”, l’autre en montrant le résultat (avec les biais de saisie déjà évoqués) pour 2017.

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PS : Il existe des outils de ce type qui fonctionnent en surveillance de fond, entendre : qui détectent automatiquement quelle application est active. On peut en gros déduire ce que vous faites (surfer, coder, rédiger, etc) mais les essais que j’ai fait n’étaient pas concluants, soit que les applications étaient trop complexes à configurer, soit qu’elles étaient trop grossière (surfer, certes, mais encore).