La fausse note Couperin

Suite à l’incident ici décrit, aux débats et échos autour,
un billet un peu long et en vrac pour clarifier deux trois choses.
Les choses vraiment importantes sont à la fin, vous pouvez sauter le reste.

Des choses qui vont de soi mais ça va mieux en le disant

Je salue ici le travail des collègues négociateurs Couperin, leurs efforts, le temps et l’énergie qu’ils consacrent à la communauté. Mes critiques et remarques, j’espère qu’on l’aura compris, ne portent jamais sur des personnes, mais interrogent des fonctionnements et des structures, rien d’autre.

Par ailleurs, le principe de Licence Nationale est évidemment une avancée. Même si je pense que la LN participe du piège dans lequel nous sommes toujours pris, piège d’un système d’édition académique devenu fou et dont il faut sortir par les Archives Ouvertes, la LN a des avantages certains en attendant mieux. Cela soulage juste un peu la pression du piège à loup sur la jambe, mais c’est déjà ça tout en n’étant pas une solution.

De la responsabilité de la fuite

Depuis la diffusion du communiqué qu’il ne faut pas lire, et son retrait, est apparu un discours Couperinesque dans lequel j’apparais comme une espèce de traître à la cause qui a diffusé sciemment des documents confidentiels. La dernière manifestation de ce discours a eu lieu ce jeudi 27 février sur les listes Achats et Direction de Couperin : suite à plusieurs demandes que soit diffusée la synthèse de l’enquête préliminaire à la négociation Elsevier, un message officiel a indiqué que cette synthèse ne serait pas diffusée en raison des fuites récentes, fuites qui mettraient à mal la négociation en cours et qui, je cite puisque c’est pour le coup un message public vu sa diffusion, posent “un grave problème de solidarité au sein du consortium, de respect du travail des négociateurs, de respect des intérêts des établissements membres, tout en faisant le jeu des éditeurs”. Rien que ça.

Dit autrement, sans que je sois jamais personnellement nommé, Couperin a très officiellement fait comprendre à une bonne partie de la profession que je suis un félon, Dan le Maudit (c’est me faire grand honneur).

Je dois donc préciser deux choses, et les préciser publiquement puisque sans doute, ces précisions seraient modérées si je venais à répondre sur lesdites listes (oui, les listes de diffusion Couperin sont soigneusement modérées et fonctionnent globalement en top-down, belle illustration de la logique en place) :

  • Je n’ai jamais diffusé aucun document Couperin sur lequel la mention de confidentialité était inscrite. Je trouve cette pratique de confidentialité absurde, cela me démange à chaque fois de balancer en ligne le document ainsi rangé sous le sceau du secret mais, comme je suis un garçon doigt sur la couture du pantalon, fonctionnaire, respectueux du devoir de réserve, etc, je ne diffuse pas ce qui est classé confidentiel et j’ai retiré dans l’heure le document en question quand on m’a fort opportunément (et sans doute sans fondement juridique) rappelé à mon devoir de réserve ;
  • Le document que j’ai diffusé l’avait été (avant de me parvenir) via des listes mails très larges ; et surtout, il ne portait pas de mention de confidentialité. Donc, fort logiquement, si fuite il y a eu, elle a eu lieu au sein même de Couperin, et s’acharner à vouloir me faire porter le chapeau est une belle manière d’éviter de s’interroger sur les dysfonctionnements manifestes qui ont permis que ce document arrive dans mes blanches mains.

De ce que ça dit de Couperin

L’idée d’un consortium qui négocie pour l’ensemble des BUs est évidemment une bonne idée. Cependant, depuis le début de cette histoire, je constate des réactions que je trouve inquiétante. Si l’on relie le mail ci-dessus évoqué et qui ressemble fort à un acte d’accusation auquel on ne peut pas répondre sauf à prendre des voies de traverse, à des logiques du type “si tu réfléchis et pose des questions gênantes, alors tu es un ennemi”, puis à des pratiques de non-diffusion d’enquêtes préalables aux négociations (oui, il y a eu une enquête préalable à la négociation Couperin, mais les résultats n’en ont jamais été diffusés, on se demande pourquoi – ah si, j’oubliais, j’ai brisé la confiance…), on voit s’esquisser le tableau d’une institution en pleine dérive, qui a oublié pour qui et pour quoi elle existe, et avec qui elle fonctionne (pour mémoire, le consortium Couperin est issu du monde des bibliothèques, et fonctionne en très grande partie grâce aux personnels des bibliothèques : Couperin n’est donc pas une sorte d’entité autonome qui ne doit rendre des comptes qu’aux établissements, comme on me l’a rappelé récemment avec un brin de condescendance, mais bel et bien, un outil qui appartient aux bibliothèques et vit uniquement par elles).

Bref. Pour ce qui me concerne, j’ai comme l’impression d’un structure qui ne supporte plus la contradiction. Et cela, c’est inquiétant, et plus encore dans notre milieu de personnes censément ouvertes à la discussion et au débat.

En fait, ce bruit autour de ma soi-disant forfaiture a eu un mérite, celui de déclencher des débats qui apparemment, avaient besoin d’exister et/ou n’avaient même pas eu lieu. Mais cela crée une sorte d’écran de fumée, et l’on oublie les vraies questions. Je les rappelle, pour mémoire, maintenant : elles attendent toujours des réponses, et elles sont adressées au consortium et à ses représentants. Sans m’avancer beaucoup, il me semble que des réponses précises et publiques seraient appréciées d’un sacré paquet de plébéiens.

Des choses vraiment importantes

  • Quid du piège de la clause du data-mining ? Quelle est la position officielle de Couperin sur le sujet ? Les risques de cette clause ont-ils été mesurés et si oui, par quel(le)s spécialistes de la question ? Quelle est la stratégie du Consortium sur cette problématique, et pour sortir de ce piège dans le piège ?
  • Quid des questions d’argent ? Les clients historiques de Elsevier ont déjà été ponctionnés sur leur budget, sans que leur avis individuel soit demandé, des sommes équivalentes à leur dépense de l’an passé. Mais le nombre de clients, par le biais de la LN, a largement augmenté. Or le coût prévisible de la LN sur les 5 ans sera sans doute proche du coût passé (ces deux derniers points sont une avancée, je le dis). Je suis mauvais en maths, mais je comprends que dans l’état actuel des choses, les clients historiques ont payés pour les nouveaux. Comment cela va-t-il s’équilibrer ? Quelles sont les modèles de répartition ?
  • Les établissements qui bénéficieront de l’élargissement des arrosés ont-ils fait part de leur volonté expresse d’entrer dans le périmètre de la LN ? Pourront-ils en sortir ? Si oui, quand et comment ?
  • Est-ce que quelqu’un se rend compte qu’en élargissant le périmètre qui va être arrosé, Elsevier crée une demande (la fonction crée le besoin) qui va rendre plus difficile encore toute sortie ultérieure du piège ?
  • Comment cette signature avec Elsevier est-elle articulée, au niveau de la stratégie Couperin, avec les travaux vers les Archives Ouvertes ? Quelle est cette stratégie après les cinq années que va durer le contrat en passe d’être signé ?

Voilà. Les commentaires sont évidemment ouverts, en particulier aux précisions du consortium. Pour ce qui me concerne, je ne modère pas les critiques, interrogations, remises en cause, elles participent de la réflexion commune.

 

19 réflexions sur « La fausse note Couperin »

  1. Je suis désolé de remettre la question de la fuite sur le tapis, alors que, comme tu le soulignes, ce n’est pas l’essentiel, loin de là.
    Ce qui m’a choqué dans le mail adressé à la liste Couperin, c’est l’argument selon lequel 1/il y a eu une “fuite” et que donc 2/eu égard à ce fâcheux précédent, l’information circulerait dans un cercle restreint.
    Fort bien – ou plutôt non.
    1/ Visiblement, tu as commis une faute. Une grosse faute. Très bien, poussons la logique jusqu’au bout : il faut qu’il y ait une procédure disciplinaire, avec une enquête administrative (de l’IGB ?) qui déterminera qui, effectivement, a diffusé l’information, si oui ou non elle était confidentielle, si oui ou non tu as sciemment diffusé une information que tu savais confidentielle ou si tu étais de bonne foi. Bizarrement, je doute que l’on aille jusque là, car cela pourrait devenir gênant pour celles et ceux qui crient au loup. Il y a fort à parier que l’information a été diffusée publiquement en amont – au juge administratif de déterminer le caractère “public” de la diffusion, mais une liste de diffusion de quelques centaines de personnes, c’est pas du privé.
    2/ Je pense que si cet épisode permet de réfléchir sur la notion de secret à l’heure du web, on aura peut-être avancé. Mais croire que les documents vont rester totalement confidentiels, dès lors qu’on les diffuse sur des listes, c’est faire preuve d’une grande naïveté. Ou alors je n’ai pas tout compris, ce qui doit sans doute être le cas.

    • Tu a parfaitement raison. Si j’ai commis l’horrible faute dont on m’accuse publiquement devant toute la profession via des listes pro, alors que Couperin déclenche une enquête qui aboutisse à des sanctions pour moi. Pas de problème, j’irai casser des cailloux au bagne, ça me fera les pieds.

  2. Faire passer la “faute” éventuelle de quelqu’un pour la raison d’une rétention d’info me pose aussi problème. Je ne vois pas le rapport.
    Par ailleurs, je suis atterrée de voir persister autant de flou concernant le circuit de validation du choix de la solution LN (la CPU et la CGE auraient validé, oui mais à partir de quelles infos? et puis sous quelle forme?)

  3. J’ai également été extrêmement choquée par le message passé hier sur les listes.
    La rhétorique qui s’y déploie (corporatisme, diabolisation des traîtres, argument massue de la solidarité inter-établissements, désignation de fautifs, refus de communiquer des documents sous de faux prétextes) est inqualifiable.

    Un extrait du mail envoyé en réponse (il est de moi, donc il a l’avantage de ne pas être barré d’une mention confidentielle), concernant la prétendue faute (celle des autres, toujours celle des autres, bien sûr).

    “D’un point de vue juridique en effet, la divulgation de travaux préparatoires à des tiers au marché est interdite. Je ne sais pas ce qu’il en est aujourd’hui, car la transparence n’est pas de mise sur le sujet on l’aura compris (en témoigne encore le dernier paragraphe de votre message), mais à la date de “l’affaire du communiqué”, il me semble que la CPU était bel et bien tiers au marché, puisque les établissements n’étaient ni signataires du marché, ni officiellement conventionnés avec Couperin pour ce groupement de commandes déguisé. Je me trompe peut-être et je ne doute pas que vous me corrigerez si c’est le cas (ce qui me permettra d’y voir plus clair et sera salutaire), si la CPU était tiers au marché, alors c’est vous qui avez diffusé illégalement un document préparatoire avant passation de marché.

    Par ailleurs et pour mémoire, la première version du document ne comprenait pas de mention de confidentialité. Donc Daniel Bourrion n’est en rien responsable de vos problèmes.”

    J’attends de savoir si oui ou non la CPU était tiers au marché. Si jamais c’est effectivement le cas, j’ose espérer que Couperin aura la dignité de s’excuser sur ces mêmes listes de diffusion.

  4. Daniel,
    Au delà des divergences que nous pouvons avoir et de tes positions parfois manichéennes, je t’apporte mon soutien total sur cette affaire, en tant qu’ex DirBu et presque encore DirBu (adjointe d’un des plus gros établissements documentaire français) mais bien sûr à titre personnel. Sans mettre en cause le gros travail fourni par Couperin, dans un contexte particulièrement sensible, et l’engagement jamais démenti des collègues négociateurs, je ne peux comprendre ni accepter le type de communication choisi.

  5. Salut Daniel
    Concernant les questions de clé de répartition, il me semble qu’elles n’ont lieu d’être que dans un groupement de commandes, pas dans une LN.
    Je suppose la chose suivante : les négociateurs ont réussi à obtenir fin 2013 un prix qui a semblé acceptable au Ministère. Par malheur, les “hasards” du calendrier font que celui-ci n’avait plus les sous pour l’assumer, parce que tout avait été distribué aux établissements. D’où récupération dans les caisses des universités (en considérant comme incident mineur celles qui comme Poitiers avaient décidé justement de changer de modèle d’abonnement pour 2014).
    Mais si c’est bien une LN, je ne vois pas pourquoi il y aurait une clé de répartition à trouver en 2015 (nous n’avons pas une imputation croissante sur nos budgets au fur et à mesure que les LN se développent). Et donc si la LN Elsevier de 2014 ressemble autant à un GC, ce serait uniquement pour cause de télescopage dans les agendas.
    Je ne sais pas si ma supposition est clairement exprimée.

    • Hello Lully.
      Je comprends ta supposition. Mais je crois que ça ne répond pas à ma question : les seuls clients historiques ont été prélevés à la source (ils n’ont dans les faits pas été ponctionnés, on est d’accord, l’argent n’est simplement pas arrivé, nuance – bon j’ai du mal à comprendre comment ça s’articule avec l’autonomie des universités mais passons).
      Or le nombre d’établissements bénéficiaires de la LN a été très élargi par rapport au GC Elsevier précédent, et sans doute pour des sommes globales très proches(point positif, je l’ai déjà dit).
      Est-ce que ces établissements se verront également, à l’avenir, prélevés à la source l’an prochain par exemple, i.e. qu’une partie de leur budget ne leur sera pas versé par leurs tutelles pour équilibrer les choses avec les clients historiques ? C’est cela ma question. Et j’ai l’impression que ta supposition (clairement exprimée) n’apporte pas de réponse là-dessus (mais je n’en suis qu’au premier café, le boot est long, tu sais, les vieux 486, ça démarre doucement, et je n’ai peut-être pas bien compris les conséquences de ton hypothèse).

      • Je précise un peu mieux ma pensée :
        Effectivement, on ne sait pas sur quelle enveloppe Elsevier sera payé en 2015.
        Mais commençons par 2014. Moi, membre du Ministère, je présenterais peut-être les choses ainsi : les Universités sont autonomes sur le budget qui leur a été alloué à l’issue de négociations faites entre le Ministère et chaque établissement de l’ESR. Il se trouve que fin 2013 il y a eu un dernier round à ces négociations, où seul le Ministère était présent. Il a donc réajusté les budgets alloués — sans intervenir dans la manière dont les Universités vont y utiliser le budget restant.
        A l’automne 2014, chaque Université va venir à Paris négocier son budget pour 2015. Avant cela, chacune aura défini en interne ses besoins et ses projets.
        Face aux besoins exprimés, le Ministère aura une enveloppe de XXX millions d’euros à repartir entre tous (n’y seront pas inclus les montants des LN, déjà pré-affectés).
        Ce montant XXX différera du montant XXY qui était a repartir fin 2013 pour l’année 2014.
        XXX sera peut-être supérieur à XXY, peut-être inférieur, peut-être même égal : dans les causes de la différence entre les deux sommes, il y aura bien sûr le montant de la LN Elsevier, mais ce ne sera sans doute pas la cause la plus importante.
        Bref, je ne suis pas certain que dans ce mécanisme il y ait de la place pour les clés de répartition : certes, on aura tous le souvenir de ces établissements qui ne payaient pas Elsevier en 2013, et pourtant qui en bénéficient à présent — mais entre un souvenir, qui sera un peu pris en compte, et des clés de répartition, il y a quand même un gap.

        Le plus perturbant dans tout ça, c’est que j’en suis à essayer d’imaginer les raisonnements et réponses du Ministère, au lieu de simplement les écouter ou les lire.

        • J’aime beaucoup ton “moi, membre du Ministère” – tu as un avenir dans l’imitation d’hommes politiques, si tu veux mon avis. Et j’aime beaucoup aussi ton dernier paragraphe, comme je comprends maintenant ton mécanisme du rêve.
          Ce qui m’a amené à parler de clés de répartition, c’est une ligne dans le mail dont il est question ici. Au-delà des gentillesses que j’évoque plus haut, il y est bien question d’un nouveau modèle de répartition (je t’invite à aller lire ledit mail, §4 ; comme ce sont des données sensibles, je ne les cite pas).

  6. J’avais omis de le préciser, je suis en vacances pour encore quelques jours, et je me suis interdit d’aller consulter ma messagerie pro. Du coup, fatalement, je réponds à côté de la plaque. Donc je vais attendre mon retour de congés et l’épluchage exhaustif de ma boîte mail avant d’intervenir dans les échanges.
    Si donc il y a projet de clé de répartition, je ne vois pas quelle cohérence interne peut encore exister (confusion intenable entre LN et GC).

  7. Comme je l’ai dit, je n’ai pas encore lu le mail de Couperin fustigeant si subtilement ta conduite (ou ton inconduite). Mais ne serait-ce pas plutôt (inavouable chose) ta protestation (émise par voie de blog après avoir obtempéré à l’injonction hiérarchique) qui te serait reprochée comme marque de désolidarisation, et non la diffusion même du communiqué (dont tu avais donné le lien via Twitter) ?
    Il aurait été sans doute apprécié que tu te retirasses en silence (post coïtum animal triste).
    Bref, on t’en voudrait pour ton post, et non pour ton tweet.
    (du coup, ton argumentaire sur ton irreprochabilité n’a pas aucun effet)
    Désolé, je ne sais pas pourquoi je continue de venir parasiter ton blog de mes suppositions.

    • Je ne peux pas commenter ton commentaire mais je peux dire que comme tous tes commentaires, il est intéressant. Et ce n’est pas du parasitage que de faire des suppositions : les commentaires ouverts, cela sert aussi à ça, partager des interrogations.

  8. Ping : Veille hebdomadaire – 02.03.14 | Biblio Kams

  9. Un commentaire un peu naïf mais la naïveté c’est simple et c’est sincère.
    Elles sont trop rares, les personnes qui osent ouvrir leur bouche pour tout simplement dire ce qu’elles pensent et faire ainsi avancer le débat. Parce qu’au final, c’est juste ça, faire avancer le débat et faire en sorte que le plus grand nombre ait accès aux résultats de la recherche.
    Donc moi, je vous encourage à continuer à réagir comme vous le faites et à bousculer un peu les choses. Personnellement, ça me fait du bien de voir des personnes comme vous, des personnes entières. Beaucoup de conservateurs devraient d’ailleurs prendre exemple… avoir le courage de ses opinions et aller jusqu’au bout des choses.

  10. Ping : Un accord de mauvais principes | RJ45

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