* A l’attention de l’historien du 4e millénaire qui aura eu la folie de choisir comme sujet de thèse “L’humour raté dans les blogues de génétique des populations au 3e millénaire”, l’auteur de ce billet précise qu’il a été rédigé en pleine période d’épidémie de Covid-19 de 2020 (la première année de l’épidémie) où la Solution Hydro-Alcoolique (SHA) était particulièrement recherchée pour ne pas tomber malade comme un chien.
Si la domestication du chien a commencé il y a 15 000 ans, le concept de races homogènes apparaît au 19e siècle et on distingue aujourd’hui 400 races de chiens. On a déjà évoqué sur ce blogue les spécificités génétiques des races modernes de chiens qui ont subi une sélection drastique des individus reproducteurs répondant aux standards de la race. La réduction de l’effectif efficace et l’augmentation de la consanguinité à l’intérieur de la race ont abouti à des races bien différenciées génétiquement, avec une perte de diversité génétique et l’accumulation d’allèles délétères chez de nombreuses races (voir aussi la sélection moderne des races équines qui a eu des effets similaires), causant des maladies génétiques fréquentes chez les races modernes. Toutefois, les races canines sont-elles réellement si homogènes génétiquement ? Ou est-on capable de distinguer plusieurs sous-populations distinctes chez des races qui, malgré une standardisation, se retrouvent mondialisées (sélectionnées sur plusieurs continents) et peuvent avoir plusieurs usages avec des schémas de sélection parfois indépendants ?
L’article de Sara Lampi et de ses collaborateurs finlandais, paru le 9 juin 2020 dans la revue Canine Medicine and Genetics, caractérise la structuration génétique intra-race de six races de chiens. Ces six races n’ont pas été choisies au hasard, mais en fonction de différentes caractéristiques :
- Variation d’usage : la Levrette d’Italie (ou petit lévrier italien) et le Lévrier anglais (ou lévrier greyhound) sont des chiens utilisés pour les compétitions de courses de vitesse, tandis que le Labrador (ou Labrador Retriever) est utilisé comme chien de service, notamment guides d’aveugle, sachant que des individus de toutes ces races sont aussi élevés comme des chiens de compagnie ou pour les concours canins.
- Variation de popularité : si le Shetland (ou berger des Shetland) présente une popularité internationale, le Chien finnois de Laponie est peu connu en dehors de la Finlande.
- Variation de types : si elles sont toutes regroupées sous la race Berger Belge, on en distingue quatre variétés : le Malinois, le Groenendael, le Tervueren et le Laekenois.
Entre 90 et 608 individus de chaque race ont été comparés pour 1 319 régions ponctuelles du génome (Single Nucleotide Polymorphisms) et la structuration intra-race a été étudiée par des approches de génétique des populations.
L’origine géographique est le facteur explicatif principal de la structuration génétique pour la Levrette d’Italie et le Shetland. Pour chaque race, les chiens américains semblent représenter un sous-échantillon des chiens européens. Par exemple, pour la levrette d’Italie, l’indice de fixation FST est plus grand chez l’échantillon des USA (FST=0,15) par comparaison de celui de l’échantillon européen (FST=0,08). Les individus utilisés pour la reproduction sont probablement volontiers échangés entre pays européens, dont ces races sont originaires et pour lesquels la diversité est la plus forte. Au contraire, les échanges transatlantiques sont probablement plus rares. Enfin, les individus américains seraient le résultat d’un effet de fondation, c’est-à-dire d’une réduction de la diversité consécutivement à la “colonisation” d’un nouvel espace par un sous-échantillon de la population originelle, européenne.
L’usage est le facteur explicatif majeur de la structuration génétique pour le Lévrier anglais et le Labrador. Les Lévriers anglais utilisés pour les courses se distinguent génétiquement de ceux utilisés pour les concours de beauté ou comme chiens de compagnie. Un résultat similaire est trouvé entre les Labradors utilisés comme chiens de services et les Labradors de concours. Cela témoignerait de schémas de croisements relativement indépendants entre les usages, ce qui a mené à une dérive génétique au sein de chaque usage. Les chiens de concours (FST=0,34) sont largement plus différenciés que les chiens de course (FST=0,07), chez le Lévrier anglais (résultat similaire chez le Labrador), ce qui s’explique peut-être par la sur-représentation de quelques individus primés dans les pedigrees de ce type de chiens, entraînant une diminution de l’effectif efficace.
L’analyse des variétés de Bergers belges montre que le Malinois et le Laekenois sont génétiquement différenciés du Groenendael et du Tervueren. Les deux premiers types partagent le point commun d’être particulièrement utilisés comme chiens de travail (bergers mais aussi comme chiens policiers) et se distinguent par le type de pelage (le Laekenois est à poils durs), qui est un caractère monogénique. Les croisements entre ces deux variétés sont autorisés, expliquant leur proximité génétique. Le Groenendael et le Tervueren se distinguent aussi pour un caractère monogénique : la couleur du pelage (noir chez le Groenendael et sable chez le Tervueren). Ainsi, dans une même portée où ce caractère ségrège, des chiots peuvent être inscrits dans l’une ou l’autre des variétés.
Deux groupes génétiques différenciés se distinguent pour les Chiens finnois de Laponie. L’analyse des pedigrees des individus a permis de comprendre les raisons de cette distinction. Même si les deux groupes génétiques sont phénotypiquement difficiles à différencier, le groupe désigné comme ‘Herding background’ correspond aux descendants de croisements menés par une association fondée en 1981 et souhaitant “revenir aux sources” de la race en repartant des chiens de berger utilisés par les Samis pour garder les rennes, l’utilisation originelle de la race.
Pour conclure, cette étude montre que malgré les standards définis pour chaque race, plusieurs sous-populations génétiquement différenciées peuvent être identifiées. La mondialisation des races de chiens les plus populaires a entraîné des effets de fondation en dehors de leurs zones d’origine et les migrations peu fréquentes entre les groupes géographiquement séparés contribuent à augmenter l’isolement génétique. L’élitisation de certains pedigrees qui donnent la part belle aux individus primés aux concours contribue aussi à entraîner une dérive génétique par rapport aux autres individus de la race utilisés comme chiens de travail. Enfin, des visions et des pratiques différentes de l’activité de sélection au sein d’une même race peut aussi entraîner une structuration de la diversité génétique. Dans un contexte où la baisse de diversité génétique chez des races modernes de plus en plus consanguines a multiplié les maladies génétiques, l’identification des populations structurées dans la race pourrait permettre d’atténuer cette consanguinité et de mieux raisonner la gestion de la diversité intra-race. Même si l’expression “malade comme un chien” trouve ses origines bien avant l’apparition des races modernes de chiens, ce progrès contribuerait peut-être à vider cette expression de son sens moderne.
Références de l’article