La double crise européenne

Tribune publiée dans Les Echos, le 22/2/2017

Alors qu’elle s’apprête à célébrer les soixante ans du traité de Rome, l’Union européenne est confrontée à une crise existentielle dont on ne perçoit toujours pas l’issue.
Par David Cayla et Coralie Delaume

L’Europe se meurt. Le traité de Rome dont nous fêtons le 60ème anniversaire a engagé le continent dans un processus politique historique qui visait à la fois à rapprocher les peuples et à leur garantir une prospérité commune.

Mais aujourd’hui, les constats sont lugubres. Comme le rappelle très bien Joseph Stiglitz dans son dernier livre, l’euro est un échec. Non seulement ils n’a pas su protéger l’Europe des effets de la crise des surprimes, mais la récession a été plus forte de ce côté-ci de l’Atlantique qu’aux États-Unis. La crise grecque n’est toujours pas résolue malgré la reddition de son Premier ministre Alexis Tsipras et une application strictes des mesures prévues par les autorités européennes. De son côté, la Commission essaie de défendre de timides avancées sur la directive détachement ou pour lutter contre les paradis fiscaux, mais elle se heurte à l’hostilité des pays concernés. La crise migratoire de 2015 a d’ailleurs démontré le peu de solidarité qui existe aujourd’hui au sein de l’Union. Ainsi, malgré le vote britannique sur le Brexit, l’Europe fait du sur place, incapable de se réformer. La seule chose que parvient à faire la Commission est de préserver un fragile équilibre en refusant à la fois de sanctionner les faramineux excédents allemands et les déficits espagnols et portugais.

Bref, pour se sauver, l’Union en est réduite à ne pas appliquer ses propres règles. C’est sans doute la raison pour laquelle son président Jean-Claude Juncker a récemment fait part de ses doutes et a annoncé qu’il renonçait par avance à un second mandat à la tête de la Commission.

Échecs de la démocratisation et du marché unique

Les institutions européennes doivent faire face à une double crise. Une crise démocratique tout d’abord, conséquence d’une défiance populaire qui n’a cessé de se renforcer depuis l’échec du traité constitutionnel de 2005. Cette crise trouve ses racines dans le choix fait il y a soixante ans de construire une Europe fondée sur des institutions supranationales indépendantes. À mesure que le projet européen s’est approfondi, ces institutions ont bénéficié de pouvoirs croissants, ce qui a progressivement dénaturé l’exercice démocratique qui continue de s’exercer prioritairement à l’échelle nationale. Les tentatives pour démocratiser l’UE se sont soldées par des échecs. Le Parlement européen n’a pratiquement acquis aucun des pouvoirs dont bénéficie ordinairement un Parlement et reste soumis au bon vouloir de la Commission et du Conseil pour légiférer.

La seconde crise européenne est celle de la prospérité et du développement. Dans les années 1980, le tournant pris à l’initiative de Jacques Delors pour créer un grand marché des facteurs de production puis une zone monétaire unique sans les accompagner de transferts financiers a contribué à accélérer les processus de divergence économique. Il en est résulté une désindustrialisation de l’Europe périphérique au profit des pays du cœur. L’Allemagne, en particulier, a su attirer à elle l’essentiel des investissements productifs de l’Union et en a profité pour réorganiser son industrie en profitant de la sous-traitance à bas coût que lui permettait l’entrée des pays d’Europe centrale dans l’Union. Face à ce cœur économique extrêmement performant, les pays de la périphérie ont connu un assèchement industriel qui s’est transformé en crise de l’endettement. Certains se sont réfugiés dans des stratégies non coopératives en usant du dumping fiscal (Irlande, Luxembourg, Chypre…) ou social (Roumanie, Bulgarie, pays baltes…), pour résister aux forces de divergence. La plupart des pays d’Europe du sud en revanche, parce qu’ils avaient fait le pari d’un développement dans les règles, ont été balayés par la crise de l’euro et ont payé extrêmement cher leur manque d’esprit combatif.

Peut-on sauver l’Union européenne ?

L’Europe du marché unique punit les bons élèves et récompense les délinquants. C’est ce système aberrant qui est aujourd’hui contesté de toute part. Est-il réformable ? C’est ce que tentent de nous convaincre quelques intellectuels tels Thomas Piketty ou Michel Aglietta, qui pensent pouvoir résoudre les crises de l’Union par un saut fédéral qui imposerait une solidarité des pays du cœur envers ceux de la périphérie. En somme, faire payer à l’Allemagne l’avantage qu’elle tire du marché unique et de l’euro. Mais cette dernière est-elle prête à payer ? Et les peuples sont-ils prêts à ce saut fédéral ?

La difficulté est qu’en s’acharnant, au nom de l’Europe qu’il faut sauver, à proposer des solutions impraticables, on finit par défendre un statut quo mortifère. Or, il faudra bien à un moment admettre que si la situation présente n’est pas tenable et si les solutions pour s’en sortir ne sont pas applicables, alors c’est qu’il faut se préparer à la possibilité que le projet européen soit mortel.

David Cayla est économiste à l’Université d’Angers et membre du collectif Les économistes atterrés.
Coralie Delaume et essayiste. Elle anime le blog l’Arène nue. Ils ont co-écrit La fin de l’Union européenne (Michalon, 2017).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *