La croissance exponentielle des échanges et la dérégulation du commerce international risquent de coûter très cher aux pays occidentaux et s’avèrent incapables de porter un modèle de développement soutenable pour les pays pauvres.
La nouvelle mondialisation commence au début des années 90, lorsque la croissance du commerce international passe d’un rythme de croissance 50% plus rapide que celle de la moyenne de la production mondiale (taux à peu près constant depuis 1945) à une croissance 130% plus rapide que celle du PIB mondial (chiffres de l’OMC). On peut s’interroger sur les raisons de ce changement. Certes, la baisse considérable des coûts des transports et le développement des nouvelles technologies de communication y ont certainement contribués. Mais la libéralisation de la finance internationale, la baisse des tarifs douaniers et les plans d’ajustement structurels du FMI l’ont aussi grandement favorisé.
Le mythe de la division internationale du travail
Industrie textile, sidérurgie, électronique, et demain automobile, aéronautique, services comptables et centres de recherche. Chaque jour qui passe, les délocalisations semblent menacer une part plus importante de l’activité. Pour les économistes, cela signifie simplement que les économies européennes manquent de compétitivité. Les théories du commerce internationales reposent en effet sur l’idée que la libre circulation des capitaux permet d’optimiser les ressources mondiales, les investissements quittant les pays où ils sont les moins efficaces pour voler vers des économies où la production est la plus rentable.
La réalité s’avère cependant bien différente. La productivité horaire d’un ouvrier indien ou chinois est encore loin de celle d’un européen. De fait, ce qui attire les capitaux étrangers en Chine n’est pas la capacité de travail supérieur de l’ouvrier chinois, mais simplement son salaire. Or le salaire ne correspond pas à un coût économique ou à une inefficacité. Ce n’est qu’un transfert de richesses. De ce point de vue, les principes de l’économie mondiale sont biaisés, puisqu’ils reposent sur une confusion entre l’intérêt particulier de l’investisseur, qui cherche à minimiser le prix du travail, et l’intérêt général, qui supposerait qu’on produise là où la productivité est la plus forte. C’est ainsi que la Chine ne se développe pas grâce à la compétence de ses salariés, mais grâce à un système politique et économique qui prive ses salariés de droits sociaux et de libertés.
A moins de remettre en cause la nature de son système démocratique, l’Europe ne peut espérer jouer la course avec un tel concurrent. On peut toujours se rassurer à bon compte en invoquant les nouvelles technologies, la recherche ou « l’économie de l’immatériel » comme antidote à la puissance industrielles des pays émergeants. C’est oublier que le mythe de la division internationale du travail repose sur deux hypothèses très fortement improbables. La première est de croire que des pays comme l’Inde où la Chine accepteraient de se spécialiser dans le commerce de produits à faible valeur ajouté. Or la Chine forme déjà davantage d’ingénieurs que l’Europe, les USA et le Japon réunis et n’a aucun intérêt à se contenter de la production de T-shirt. La seconde hypothèse repose sur l’idée que l’Europe puisse être une économie exclusivement composée de savants, d’ingénieurs ou de personnels qualifiés. Quel système éducatif peut-il y parvenir ?
Un système non soutenable à long terme
En attendant, l’accroissement des échanges internationaux entraîne un gaspillage écologique et social considérable. On sait que les transports constituent le secteur économique le plus polluant et le plus consommateur d’énergies fossiles. Or, plus les économies sont intégrées dans le commerce international, plus la demande en transport augmente. Ces mêmes transports sont d’ailleurs un cas d’école de ce que la mondialisation nous promet. Société panaméenne, affréteur occidental, équipages philippins… Pour la plupart des transporteurs, l’organisation d’un navire se fait en jouant sur les législations contradictoires des différents pays, au détriment de la sécurité, de l’environnement, et des conditions sociales de l’équipage.
Mais les coûts environnementaux de la mondialisation seront sans doute faibles par rapport aux coûts de la désindustrialisation. On oublie par exemple que la disparition d’une industrie constitue un phénomène irréversible. Un secteur industriel, ce sont aussi des savoirs-faires, des filières de formation, des chercheurs, des technologies, et tout un ensemble d’activités annexes. Quels que soient les progrès de la technologie, les européens auront toujours besoin de s’habiller et de consommer des produits matériels. Décider de ne plus fabriquer ce type de produits revient alors à faire dépendre leur niveau de vie à leur niveau d’importation. Cela est déjà en partie le cas des Etats-Unis ou de la Grande Bretagne qui importent près de 6% de la richesse qu’ils consomment. Mais que se passera-t-il le jour où les pays en voie de développement réclameront des hausses de salaire ? Les pays développés devront-ils se réindustrialiser et reconstruire chèrement ce qu’ils avaient démantelé quelques décennies auparavant ? On voit ici l’absurdité du raisonnement des partisans du libre-échange. D’un côté ils expliquent à quel point le commerce est nécessaire pour le développement des pays du sud ; d’un autre côté, à les croire, ce seraient le sous-développement et la misère qui seraient le principal moteur de développement et de croissance.
Pour une nouvelle politique commerciale européenne
Nous devons partir du fait que la politique commerciale ne peut se résumer au choix entre le libre échange et l’autarcie. Entre les deux, l’Europe peut très bien mener une politique commerciale fondée sur une pratique intelligente du protectionnisme. Par exemple, si l’on admet que des règles sociales et environnementales minimales sont nécessaires au modèle de développement européen, alors il n’y a aucune raison de penser que les autres nations puissent s’en passer. Ainsi, l’Europe pourrait, en matière commerciale comme en matière politique, faire prédominer la notion de droit universel. S’il est normal qu’un ouvrier puisse vivre décemment de son salaire en Europe, cela doit être normal aussi au Bengladesh. Si la liberté syndicale est reconnue en France, elle doit l’être aussi par ses partenaires commerciaux. Il serait par exemple possible pour l’Europe d’imposer un salaire minimum universel, valable non seulement au sein de sa zone économique, mais aussi en dehors. Les produits des pays qui n’auraient pas de législation sociale minimum et qui ne respecteraient pas ce salaire seraient taxés d’un pourcentage variable en fonction de niveau de leur développement social. Cette mesure, relativement simple à mettre en œuvre, pourrait permettre à l’Europe de protéger son modèle social et son industrie, mais elle aurait aussi pour avantage d’aider vraiment les pays les plus pauvres à trouver le chemin de l’efficacité économique et, surtout, du bien-être social et du développement durable.