Chronique des Atterrés parue dans L’Âge de faire, septembre 2015.
Chaque année, c’est presque une tradition, les agriculteurs manifestent. Les analyses de ces crises à répétition proposées par la presse fluctuent entre le compassionnel (voyez cette famille qui croule sous les charges) et la recherche de commodes boucs émissaires (haro sur les grandes surfaces). Très peu s’interrogent sur les causes profondes de ces crises.
À l’origine, la politique agricole commune visait à garantir les prix auxquels les agriculteurs pouvaient vendre leur production. Elle n’était pas exempte de défauts : elle ne prenait pas en compte la qualité de la production et poussait au productivisme. Mais elle avait aussi un avantage : les agriculteurs n’avaient pas à s’inquiéter de leurs revenus futurs. Ils pouvaient ainsi investir et prévoir leurs recettes en étant certains d’obtenir un prix décent pour leur production.
Mais la PAC n’est plus la PAC. Avec l’entrée dans l’Union de nouveaux pays et sous couvert d’éviter la surproduction, la PAC s’est transformée en une politique de subventions directes aux agriculteurs. En échange, les prix ont été déréglementés et se sont alignés sur les cours mondiaux. L’agriculture française s’est ainsi retrouvée dans une position intenable où elle devait faire face à la double concurrence, pour les produits frais, des autres pays de l’Union dont certains bénéficient d’une main d’œuvre de saisonniers immigrés sous-payés (dans le sud de l’Espagne ou en Pologne notamment), et pour les céréales et la viande à la concurrence de systèmes agricoles extensifs (USA, Australie, Argentine…) qui produisent du blé 30% moins cher tout en se permettant des rendements à l’hectare moitié plus faibles qu’en Europe.
Faute d’une harmonisation sociale en Europe et d’un système de protection du marché intérieur, les agriculteurs sont donc contraints de vendre à des prix qui bien souvent ne couvrent même pas leurs coûts de production. Ils se trouvent ainsi dans la situation humiliante où l’essentiel de leurs revenus vient de primes et de subventions publiques distribués de manière très inégalitaire.
Car les prix de marché n’ont aucune raison de garantir un revenu décent aux agriculteurs. Bien sûr, on peut toujours choisir d’adapter l’agriculture à la logique du marché. La recette est alors bien connue : il suffirait de multiplier par quatre ou cinq la taille moyenne des exploitations, de diviser par deux les rendements à l’hectare, d’abandonner toutes les exploitations de montagne et de diviser l’emploi agricole par un coefficient de trois ou quatre. Bien sûr, dans ces conditions, il faudrait importer l’essentiel de notre consommation agricole, car ce modèle d’agriculture hyper compétitive est paradoxalement incapable de nourrir la population française. Tenons-nous tant que cela à satisfaire la logique du marché ?