La faillite de la SVB et les difficultés du Crédit Suiss ont fait naitre la crainte d’une nouvelle crise bancaire et financière. En réalité, les risques de contagion et d’un effondrement du système bancaire sont faibles. Néanmoins, cette crise démontre les difficultés auxquelles sont confrontées les banques centrales dans leur stratégie de hausse des taux d’intérêt.
Est-on à l’aube d’une nouvelle crise financière ? L’annonce, le 10 mars dernier, de la faillite de la Silicon Valley Bank (SVB), 16ème banque des États-Unis, a eu des répercussions mondiales. C’est la plus importante faillite bancaire dans ce pays depuis la crise financière de 2008. Événement isolé ? Pas tant que ça puisque, quelques jours auparavant, c’était la société Silvergate, spécialisée dans la gestion des cryptoactifs, qui avait déposé le bilan ; puis le 11 mars, soit le lendemain de la faillite de la SVB, on apprenait que les autorités fermaient une troisième banque, qui avait elle aussi beaucoup investi dans les cryptoactifs, Signature Bank. Lundi, les cours boursiers des grandes banques françaises dévissaient sur les marchés boursiers à tel point que Bruno Le Maire se sentit obligé d’affirmer, sur France Info, que « notre système bancaire est solide », et qu’il ne voyait pas de risque de contagion. Mais voici que le surlendemain, le 15 mars, on apprenait que le Crédit suisse connaissait à son tour des difficultés après le refus des Saoudiens de participer à une hausse de capital. Nouvel effondrement boursier des valeurs bancaires. Tout le monde sait que lorsqu’un ministre de l’Économie se donne la peine de rassurer les Français, c’est qu’il y a de quoi s’inquiéter. Aussi a-t-on vu immédiatement fleurir des vidéos et des propos alarmistes sur les réseaux sociaux comme quoi la prochaine crise financière aurait déjà commencé.
Le risque d’une crise systémique est faible
Gardons-nous de surenchérir dans le catastrophisme. Nous n’en sommes probablement pas là. Deux raisons permettent de penser que le risque de contagions reste effectivement limité. La première, c’est que les trois banques qui ont fait faillite opéraient dans des secteurs fragilisés et au sein desquels on s’attendait à des faillites. Le milieu des cryptos est intrinsèquement vulnérable du fait de sa nature spéculative. Depuis la forte chute du bitcoin en 2022 et la faillite de FTX, il est probable que ce soit tout l’écosystème des cryptos qui s’effondre à court ou moyen terme ; mais cela ne concerne pas directement la finance traditionnelle. Au contraire, cette dernière pourrait bénéficier du report de l’épargne des ménages se détournant des cryptos. Pour la SVB, la situation est un peu différente puisque qu’elle fonctionne comme une banque traditionnelle et qu’elle n’a pas placé ses fonds dans des actifs spéculatifs. Elle opérait essentiellement, comme son nom l’indique, dans le secteur des start-ups de la Silicon Valley pour les accompagner dans leurs levées de fonds et leur développement. Mais, en 2022, les géants du numérique ont multiplié les déboires et les plans de licenciement. Ce retournement de tendance a pesé sur la capacité des start-ups du numérique à obtenir des financements et la SVB en fut directement affectée.
La seconde raison pour laquelle il ne devrait pas y avoir de contagion est que les autorités américaines ont tout de suite réagi pour garantir la totalité des dépôts des clients de la SVB, allant au-delà du seuil officiel de 250 000 dollars. En 2021, les entreprises de la tech ayant obtenu de nombreux financement, elles disposaient, pour nombre d’entre elles, de comptes très bien approvisionnés. Pour ces entreprises, la perte de leurs dépôts aurait sans doute signifié la faillite.
Ajoutons que la situation du Crédit Suisse, touché par une série de scandales qui lui sont propres est elle aussi spécifique, et que l’établissement a fini par obtenir le soutien de la Banque national suisse. En somme, nous serions confrontés à une série d’évènements ponctuels liés à la fragilité de banques spécifiques et non à une crise globale du secteur bancaire.
Les tâtonnements des banques centrales
Fin de l’histoire ? Eh bien pas tout à fait. Car l’institution indirectement responsable de la faillite de la SVB n’est autre que la banque centrale américaine. En 2022, la Réserve fédérale (Fed) a fortement augmenté son taux de refinancement bancaire, le faisant passer de 0,25% à 4,75%. Ce taux représente le coût de l’emprunt pour les banques qui ont besoin de se refinancer. L’augmenter permet de restreindre l’accès au crédit non seulement pour les banques, mais surtout pour les entreprises et des ménages. Pourquoi mener une telle politique ? Parce que, selon la théorie en usage chez les économistes, restreindre le crédit bancaire permet de limiter l’inflation. Or, l’inflation a elle aussi beaucoup augmenté depuis la fin de la crise sanitaire, jusqu’à dépasser les 9% aux États-Unis. La Fed et les autres banques centrales ont donc augmenté leurs taux d’intérêt afin de réduire l’inflation, dans le but d’atteindre leur objectif d’une inflation à 2%.
Mais l’inflation, aux États-Unis, était encore de 6% par an en février dernier. En toute logique, il faudrait donc que la Fed poursuive sa politique de hausse des taux et de restriction du crédit. Le problème est que les économies, en Amérique du Nord comme en Europe, se sont habituées, depuis la crise financière de 2008, à des politiques monétaires très accommodantes et à des taux d’intérêt à peu près nuls. De plus, la crise Covid a contraint les États et de nombreuses entreprises à s’endetter. Or, pour les débiteurs, une hausse du taux d’intérêt représente une augmentation de leurs charges financières. Ainsi, les politiques monétaires de restriction du crédit accentuent les risques de faillite et par la même occasion fragilisent les créanciers, et donc les banques.
Les banques centrales sont donc contraintes d’emprunter un chemin étroit entre d’une part la nécessité de combattre l’inflation et d’augmenter leurs taux, et d’autre part le besoin impératif d’éviter que ces hausses ne fragilisent le bilan des banques et ne provoquent une nouvelle crise bancaire et financière. Pour cette raison, depuis un an et demi, elles tâtonnent, augmentant progressivement leurs taux jusqu’à ce qu’elles touchent un point critique. On y est. Le seuil de fragilité du système bancaire et financier semble atteint. C’est sans doute la leçon qu’elles vont tirer des faillites en cascade de la semaine dernière. Le problème est que ce seuil soit si bas.
L’impossible retour à la normale des politiques monétaires
Dans un ouvrage paru il y a quelques mois, Déclin et chute du néolibéralisme, je montrais comment les banques centrales avaient été contraintes de renoncer à leur rôle traditionnel d’arbitre neutre au service de la lutte contre l’inflation pour acquérir un rôle qui dépasse très largement leur mandat officiel : celui d’assurer la solvabilité des États. En menant des politiques de Quantitative easing consistant à racheter des obligations publiques aux banques commerciales, elles se sont mises à faire baisser les taux longs et à faciliter le financement de l’économie. En Europe, la BCE est ainsi devenue créancière des pays en difficulté et joua un rôle central durant la crise grecque de 2015. Par la suite, tout comme la Réserve fédérale, elle est intervenue directement sur les marchés obligataires pour assurer aux États des taux d’intérêt faibles. C’est cette politique qui permit à la France de financer le « quoi qu’il en coûte » durant la pandémie de Covid.
La résurgence de l’inflation en 2021 a d’abord été vue par les banquiers centraux comme une opportunité pour revenir aux politiques économiques traditionnelles et supprimer définitivement leur soutien aux États. Après tout, lorsque l’inflation remonte, les recettes fiscales font de même, ce qui soulage les finances publiques. Mais que signifie concrètement un « retour à la normale » en matière de politique monétaire ? En théorie, ce serait de pouvoir revenir à des taux d’intérêt positifs. Après 10 ans de taux nuls ou négatifs il serait temps, pensait-on, de retrouver une situation où l’argent coûte à celui qui emprunte et non à celui qui prête. De ce point de vue, il serait naturel d’aller vers des taux de refinancement bancaires légèrement supérieurs au taux d’inflation.
Mais voici qu’après un an de politique restrictive, l’inflation aux États-Unis a un peu baissé, à 6%, les taux ont un peu augmenté, à 4,75%, mais le résultat de ces dynamiques est que la hausse des prix reste supérieure au taux d’intérêt nominal, ce qui signifie que les sommes remboursées continuent d’avoir moins de valeur que les sommes prêtées.
Pour le dire autrement, la politique monétaire américaine est loin d’être parvenue au retour à la normale qu’elle espérait. La période d’argent gratuit n’est donc pas révolue. Pire, ce que la séquence actuelle démontre, c’est que le système financier a été tellement fragilisé par les crises passées qu’il menace de s’effondrer si les taux réels revenaient en terrain positif. Il est même possible, au point nous en sommes, que la Réserve fédérale soit contrainte de baisser ses taux directeurs si d’aventure l’inflation venait à baisser trop fortement, de manière à garder, pendant une durée indéterminée, des taux d’intérêt réels négatifs. Comment gérer à long terme une économie où le coût du capital est nul ? Comment calculer la valeur d’un investissement productif et allouer efficacement l’épargne si tous les projets dont la rentabilité attendue est supérieure ou égale à zéro apparaissent profitables ? Ce que la faillite de la SVB révèle c’est que le monde des taux zéro n’est sans doute pas derrière nous. Mais ce monde risque de poser des difficultés nouvelles et inattendues au fonctionnement du capitalisme et à son efficacité.