Tribune publiée sur le blog Alter éco des Économistes atterrés
Tandis que les experts1 se penchent sur l’étude d’impact annexée au projet de loi sur les retraites et pointent ses insuffisances ainsi que, ce qui est bien plus grave pour la qualité du débat, ses biais méthodologiques et son insincérité, un chiffre mérite plus particulièrement notre attention, celui de la trajectoire des dépenses de retraite prévues à l’horizon 2050.
Lorsqu’il avait annoncé la mise en œuvre d’un système de retraite par points, le gouvernement avait promis qu’il s’agissait d’une réforme systémique et non paramétrique : on changeait l’architecture du système, mais on maintenait intacte l’enveloppe consacrée au financement des retraites. C’était d’ailleurs la promesse d’Emmanuel Macron, qui s’était engagé pendant la campagne à ne pas toucher à l’âge de départ et au montant des pensions au motif que les réformes précédentes étaient parvenues à équilibrer le système et qu’il serait « assez hypocrite de décaler l’âge légal » du fait des difficultés d’emploi.2
Le principe d’une réforme à budget constant n’était d’ailleurs pas sans poser problème. Rien ne garantit que le niveau actuel des dépenses (13,8 % du PIB) suffise à financer un niveau de vie décent pour les retraités à venir. De plus, une enveloppe constante ne signifie pas que tout le monde se retrouve avec les mêmes prestations. Tout changement de système entraine des gagnants et des perdants. Et si l’on promet de compenser les pertes de ceux qui sont les principaux perdants, comme le gouvernement s’y est engagé pour un certain nombre de professions, il faut bien que l’enveloppe globale augmente. Aussi, de nombreux experts doutaient qu’il soit possible de faire une telle réforme et de la rendre acceptable politiquement sans prévoir un budget en hausse.
BAISSE DES DÉPENSES DE RETRAITES
Pourtant, d’après les chiffres de l’étude d’impact, le projet gouvernemental entraînerait une réduction des dépenses de retraite de 0,9 point de PIB en 2050 par rapport au niveau actuel, soit une baisse de 32 milliards d’euros. Comment cela est-il possible ? Interrogée sur France Inter, Muriel Pénicaud a avancé des arguments démographiques, en affirmant que cette baisse était permise par la disparition progressive de la génération du baby boom. Mais cette affirmation est doublement fausse.
Premièrement, et contrairement aux idées reçues, le nombre de naissances en France, et donc la taille des générations, est relativement stable depuis 1945. Il y avait pratiquement autant de naissances au début des années 1950 qu’à la fin des années 2000. En fait, depuis 1945, le nombre de naissances en France est toujours resté dans la fourchette 700 000 – 900 000. Certes, le taux de natalité était supérieur dans les années 50, parce que la population française était moins nombreuse. Mais la taille des générations du baby boom n’a rien d’exceptionnel par rapport aux générations ultérieures.
Il n’y a donc pas à attendre un reflux massif des dépenses de retraite lié à la fin d’un mythique « papy boom ». Le baby boom, c’est environ 100 000 naissances supplémentaires par rapport à l’époque contemporaine, ce qui correspond à des générations 10 à 12 % plus nombreuses (et on ne compte pas ici les décès durant la jeunesse ou la vie active qui diminuent de fait la taille des générations parvenues à la retraite). Le COR prévoit certes que le ratio démographique entre l’âge actif (20 – 65 ans) et les plus de 65 ans devrait ralentir sa progression après 2040, mais même cette prévision est sujette à caution dans la mesure où les actifs d’après 2040 sont encore, pour partie, à naître. De plus, on constate un ralentissement de l’indicateur conjoncturel de fécondité en France depuis 2010. Si cette tendance à la baisse devait se poursuivre, il serait étonnant que le ratio actifs/inactifs ne persiste pas dans son rythme de dégradation.
Deuxièmement, contrairement à ce que laisse entendre Muriel Pénicaud, la part des baby boomers chez les retraités ne va pas nettement baisser d’ici 2050. En effet, les retraités actuels sont loin d’être tous des baby boomers. Les membres des générations nées entre 1930 et 1945, qui ont aujourd’hui entre 75 et 90 ans, sont pour certains encore vivants alors qu’ils font partie des classes creuses. Ensuite, ceux des générations du baby boom qui sont les plus nombreuses, qui sont nés entre 1960 (820 000 naissances) et 1973 (857 000 naissances), auront entre 77 et 90 ans en 2050. Beaucoup seront donc encore vivants et retraités.
LE NOMBRE DE RETRAITÉS VA AUGMENTER
Tout cela signifie-t-il qu’il n’y a aucun problème démographique ? Non, car si le nombre de retraités est amené à augmenter à l’avenir, et si l’on prévoit que le rapport actifs sur inactifs continuera de se dégrader, ce n’est pas en raison d’un effet de taille des générations, mais plutôt en raison de la hausse de l’espérance de vie, notamment après 65 ans.
Le fait est, et c’est une bonne chose, qu’hommes et femmes passent de plus en plus de temps à la retraite, et cela en dépit des réformes qui ont organisé le recul de l’âge de départ depuis les années 1990. En effet, bien qu’on constate un léger tassement de la hausse de l’espérance de vie dans la période la plus récente, cette dernière continue de progresser. Ainsi, en 2018, l’espérance de vie à 65 ans des hommes était de 19,4 ans (+1,1 an par rapport à 2008) et celle des femmes de 23,2 ans (+ 0,8 an par rapport à 2008). Cette hausse est intégrée aux prévisions de l’étude d’impact puisque cette dernière prévoit que l’espérance de vie augmente d’un mois et demi par an en moyenne d’ici 2050.
Plus de temps passé à la retraite, cela devrait signifier plus de besoin de financement pour les retraités et donc une dépense globale en hausse. Les nécessités démographiques sont une donnée à laquelle il faut faire face, indépendamment du système de retraite choisi. Comment l’étude d’impact peut alors affirmer que les dépenses de retraites baisseront dans le PIB ? En réalité, c’est simplement l’aveu que le projet gouvernemental organise la diminution de la taille du gâteau au moment même où le nombre de parts augmente. Et cela ne peut aboutir qu’à un seul résultat possible : la forte baisse du niveau moyen des pensions.
LES PRÉCAIRES ET LES FONCTIONNAIRES EN PREMIÈRE LIGNE
Toute la question est de savoir comment cette baisse sera concrètement mise en œuvre. Or, le gouvernement affirme qu’il n’y aura pas de baisse des pensions. Il promet même que l’évolution du « point » sera calquée sur celle des salaires et que ces derniers augmenteront au rythme de la croissance économique (+1,3% par an dans les prévisions de l’étude d’impact). Comment tout cela est-il possible ?
La réponse est double. D’une part, le nouveau mode de calcul des retraites sera très défavorable pour de nombreuses carrières, surtout pour les carrières ascendantes de la fonction publique. Ainsi, pour la plupart des fonctionnaires, notamment les enseignants, et en dépit des assurances données par le gouvernement, le taux de remplacement risque de baisser de plus de 30 % par rapport au régime actuel dont la pension est calculée sur les six derniers mois de traitement indiciaire. Mais cela ne suffit pas à expliquer la totalité de la baisse des dépenses prévue. L’autre contribution à la baisse viendra de la précarité de l’emploi. En effet, le projet prévoit que le niveau des pensions sera désormais calculé sur l’ensemble de la carrière. « Tout euro cotisé ouvrira les mêmes droits » affirment les partisans de la retraite par points. On en déduit que tout euro non cotisé pour cause de chômage, de maladie ou d’une période d’inactivité, diminuera les droits à la retraite. À la fin d’une carrière de plus de 40 ans, pour atteindre l’âge d’équilibre, de nombreux salariés risquent de se retrouver avec un certain nombre d’années non cotisées, ou avec de très faibles cotisations qui ne leur permettront pas d’atteindre le nombre de points suffisants pour une retraite décente. Pour ceux-là, le projet prévoit une pension minimale égale à 85 % du SMIC, soit environ 1000 euros aujourd’hui.
Cette retraite plancher sera néanmoins conditionnelle et supposera au minimum un départ à 64 ans avec 42 années cotisées, ce que n’auront pas toutes les carrières trouées. De plus, le projet prévoit une hausse continue de l’âge d’équilibre qui risque de rendre l’accès à ce minimum plus difficile encore pour les salariés les plus précarisés.
UN RÉGIME FAUSSEMENT UNIVERSEL
En somme, en dehors de ceux qui auront bénéficié de hauts revenus durant l’ensemble de leur carrière et n’auront pas connu de périodes de chômage, les retraités seront soumis soit à la baisse du taux de remplacement, soit au régime minimal des 85 % du SMIC. Sans le dire, le projet gouvernemental tend à faire évoluer la logique de notre système de retraite fondé sur un principe assurantiel (le modèle « bismarkien » qui prévoit des droits proportionnels aux cotisations) en le complétant par un pilier fondé sur un système de type assistanciel.
La réforme telle qu’elle est conçue organise pour une part de la population une sorte de minimum vieillesse légèrement majoré. Pour d’autres, comme les enseignants, elle prévoit une retraite au taux de remplacement minoré. Enfin, elle fait sortir partiellement les plus hauts revenus du système en les incitant à recourir à la capitalisation. Loin d’être universel, le projet de réforme créera en fait un triple système de retraites. Un système d’allocations sociales pour les classes populaires et les précaires, un système de retraites dégradé pour les classes moyennes et les fonctionnaires, et un système de retraite par capitalisation pour les plus riches.
1 Lire à ce sujet la note d’Henri Sterdyniak pour Les Economistes Atterrés : « Réforme des retraites, une étude d’impact trompeuse », en ligne sur : http://www.atterres.org/article/r%C3%A9forme-des-retraites-une-%C3%A9tude-dimpact-trompeuse
2 « Bon courage, déjà, pour arriver à 62 ans » a-t-il même ajouté le 25 avril 2019 au sujet des travailleurs peu qualifiés vivant dans des régions économiquement sinistrées.