Le 20 janvier dernier, profitant du passage à Davos de l’élite économique mondiale, Emmanuel Macron a reçu avec faste 200 grands patrons au château de Versailles afin officiellement de valoriser le label « Choose France » qui vise à inciter les entreprises du monde entier à investir et à créer des emplois sur notre territoire. Ces 200 patrons, c’est 50 de plus que l’année dernière, lorsque l’opération fut lancée pour la première fois. Au menu de cette entreprise de charme, une mise en avant des réformes et des incitations fiscales qui se sont multipliées ces dernières années au bénéfice des entreprises, et en particulier des multinationales.
Au-delà du fait qu’une politique industrielle ne peut se limiter à attirer n’importe quelle activité en promettant des baisses d’impôts à tout investisseur étranger, on peut s’interroger sur le sens même de ces politiques d’attractivité.
Car en effet, aujourd’hui, tout le monde se veut attractif. La logique de la concurrence s’est immiscée dans l’ensemble des politiques publiques. Les communes (voyez les programmes des municipales), les régions, les pays… tous les responsables politiques considèrent que le développement économique et la création d’emplois nécessitent d’attirer sur son sol les investissements de son voisin. Au final, la fiscalité de tout ce qui est mobile (notamment le capital qui constitue le patrimoine des plus fortunés) s’effondre et plus personne n’est là pour s’intéresser au bien commun.
C’est bien cette logique qui est à l’œuvre à l’échelle mondiale, via la libre circulation des marchandises et la liberté des mouvements de capitaux. Chaque investisseur met en concurrence l’ensemble des pays du monde sur la base du moins disant social et environnemental. Il se trouve donc toujours un territoire pour renchérir sur son voisin, au nom de l’attractivité et de la compétitivité. Et tout cela se produit enrobé de grands discours lénifiants sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises qui accompagnent le « green » et le « social washing » des politiques gouvernementales. Le marketing, les tribunes dans la presse aux envolées lyriques, les invitations de Greta Thunberg, des expressions pompeuses comme le « Grenel de l’environnement » ou sa version anglo-saxonne de « Green new deal » sont censés compenser les effets réels des actes par l’imaginaire des mots.
Ce culte de l’attractivité se retrouve bien évidemment dans l’Union européenne et le marché unique, matérialisé par le principe de la concurrence « libre et non faussée », et explique largement la crise actuelle et sa déconnexion des peuples. On a vendu l’Union européenne comme un espace de solidarité et de paix, mais dans les faits on en a créé un grand marché au nom de la performance. Dans La Fin de l’Union européenne[1], Coralie Delaume et moi-même avons illustré cette logique par une métaphore, celle du maitre d’école et des élèves bagarreurs.
Imaginez une cour de récréation où le maitre expliquerait à ses élèves qu’il va donner à chacun une douzaine de friandises, puis qu’il les laissera s’affronter dans la cour de récréation en récompensant les meilleurs, c’est-à-dire ceux qui auront ravi le plus de friandises aux autres. Pour les motiver, il décide en outre de laisser les grands de CM2 entrer dans la cour. On a là un résumé de la politique économique européenne. Libre-compétition en interne et absence de protection vis-à-vis de l’extérieur. Bien évidemment, une telle politique ne peut que susciter un affrontement généralisé dans lequel les plus forts écrasent les plus faibles et où tout projet collectif devient progressivement impossible.
Le plus grave est sans doute que l’Union européenne entend exporter son modèle au monde entier en devenant l’un des propagandistes les plus zélés de l’intensification concurrentielle. Il y a quelques semaines, le Parlement européen a ainsi ratifié un nouveau traité de libre-échange avec le Vietnam. La conséquence évidente sera plus de liberté pour l’investisseur, plus de concurrence entre les territoires, et un renforcement inexorable de la logique d’attractivité et de compétitivité dans tous les pays de l’Union afin d’éviter que les capitaux et les usines ne fuient vers le nouvel eldorado vietnamien.
Tout le monde sent bien que cette logique est en train de nous tuer. On sait tous que le but de l’école ne peut se limiter à rendre notre pays plus attractif pour les investisseurs étrangers en leur promettant une main d’œuvre docile et performante. On comprend parfaitement qu’une politique gouvernementale ne peut s’adresser qu’aux grands patrons mondiaux, qu’un chef d’État ne peut se réduire à devenir un « super VRP » qui se contenterait de vanter une fiscalité compétitive qui protège les puissants pour ne peser en fin de compte que sur les classes moyennes et populaires, ceux qui vivent « quelque part » et qui de ce fait n’ont pas les moyens « d’arbitrer ».
Ce que raconte cet épisode versaillais, n’est pas la toute-puissance du « Roi Soleil », on est loin de l’esprit jupitérien revendiqué lors de la campagne présidentielle. Le spectacle auquel on assiste, c’est celui d’un Président français qui se comporte en épicier, qui baisse ses prix pour attirer les clients, doutant lui-même de la qualité de sa marchandise. Voilà cette une logique qui réduit notre « destin commun » à l’espace marchand et qui met progressivement au pas tout le collectif qui émane de la société pour nous rendre collectivement « attractifs ».
1 Delaume, Coralie et David Cayla, La Fin de l’Union européenne, Michalon, 2017.