Après les demandes relatives aux prêts de salle, la mise en libre service de textiles lavables en BU est l’un des sujets sur lequel nous recevons (et avons en interne) nombre de questions. Voici un point d’étape, très factuel, après plusieurs années d’essais/erreurs sur l’entretien des textiles “de confort” en BU.
Un élément de contexte : nous avons fait le choix d’éviter le plus possible les revêtements plastiques malgré leur robustesse et l’hygiène qu’ils permettent. Donc, voilà des années que nous nous préoccupons de maintenir en état minimal de “désirabilité” et d’hygiène les touches de confort qui apportent un supplément d’âme et de moelleux à nos 2 BU. Nous sommes conscients qu’il s’agit de choix précaires et nous sommes susceptibles de les réévaluer à tout moment…
Le billet “économie domestique et blanchisserie en BU” va donc parler :
- de chauffeuses en tissu
- de fat boys (nom de code, gros garçons) [maj regarnissage 2020]
- de plaids
- de chariots à moumoute [maj janvier 2020, à ne pas manquer]
- d’inclusion et d’évolution des métiers et compétences
I. Les fauteuils en tissu = depuis 2010
- 50 Chauffeuses Lamhults, non déhoussables, premier équipement nouvelle BU St Serge, 450 € pièce
- Noir (OK), Rouge (salissant), Vert anis (très salissant)
Nous n’avons pas organisé de nettoyage entre 2010 et 2016. Le résultat : un mobilier défraîchi, et des couleurs claires très tachées.
Depuis été 2015, nous menons une opération « Ma BU se fait une beauté » chaque été, où nous faisons l’inventaire de tout ce qui est cassé, sali, manquant et essayons de grouper les mesures correctives : nettoyage, peinture de petits pans de murs stratégiques, réassort signalétique… Un des volets emblématiques de l’opération est le shampouinage humide des chauffeuses, à l’huile de coude du bibliothécaire ou de moniteurs étudiants.
2015-2016 | Expérimentation location d’une shampouineuse aspirante Karcher, 45 € par jour + consommable + 3 heures de démarches administratives et déplacement. Matériel mal nettoyé, accessoires manquants. Pour les 50 chauffeuses, l’effort coûte 2 jours/homme.
2016 | Achat d’une shampouineuse aspirante Kärcher Puzzi 200 (dite Pollux), 1100 € + consommables. La shampouineuse aspirante sert aussi au nettoyage des tâches de café/soda sur la moquette et les chauffeuses tout au long de l’année. Il faut prévoir 24 heures de séchage complet par temps chaud.
Problèmes rencontrés et solutions apportées
- Les bras des chauffeuses rouges et vertes sont maculés de salissures. Certaines traces anciennes sont indélébiles sur les chauffeuses vertes. Nous avons acheté en 2014 des repose-pieds noirs, qui ont limité les dégâts et regroupé dans la zone la plus fréquentée les chauffeuses sombres.
- Travail de nettoyage physique, difficile à ritualiser, hors marché ménage, reposant sur bonne volonté de 2 collègues, dont un conservateur. L’emploi d’un moniteur étudiant “chantier d’été” est une piste.
- Chewing-gums collés sur tissu 4 chauffeuses = traces indélébiles.
Coût global sur un an : 2 jours homme (tout dépend du salaire) + produit nettoyant : 40 €
II. Les Fats Boys = depuis 2016
- 8 fats boys en service, 200 € pièce. Choix tissu doux stone washed, très agréable au toucher + 1 tissu enduit (pour tester, beaucoup moins douillet)
- Tous les fats boys sont déhoussables (sac intérieur + housse contrairement à ce que peuvent laisser croire des vidéos circulant en ligne). Housses lavables en machine à 40°, repassage inutile.
- l’intérêt des gros garçons ? Pouvoir tester à bas coût des emplacements de lieux où les publics se sentent suffisamment bien et en confiance pour adopter des postures détendues… sans gêne pour ceux qui apprécient plus de maîtrise de soi dans les espaces publics.
Nettoyer
Testé : lavage/séchage au domicile d’une collègue, toutes les 7 semaines. Problème : cela reposait, et c’est insoutenable dans la durée, sur le bénévolat et la bonne volonté d’une personne même si l’achat de lessive était pris en charge par la BU. Nous avons fait un devis pour un nettoyage pressing, 5 € pièce, à apporter et ramener.
Nous avons depuis testé le nettoyage en laverie, housse sur l’envers, à 40° dans machine grande capacité : toutes les housses tiennent dans 2 machines 18 kg, pour un coût de 8,10 € la machine et une durée de 40 minutes.
Déhoussage 1 heure 30 pour 10 , rehoussage : 1 heure 30 pour 10 et regroupement au point d’enlèvement | = Total 3 heures homme
Idéalement ; à faire 2 fois par an, été et décembre et retrait + mise en sac étanche des housses avant lavage en cas d’usages inappropriés ou épidémie signalée.
Redonner gonflant / moelleux
Achat de recharges de billes Fatboy d’origine (Demco) : 120 € les 350 litres soit le contenu d’un Fat Boy, ce qui permet d’en recharger environ 2 à 3 selon degré de tassement.
Nous trouvions cela trop cher et avons cherché assez longtemps une entreprise faisant de la bille classée M1 pour l’isolation de bâtiment : nous avons trouvé une entreprise de Loire Atlantique qui a fourni 900 litres soit de quoi regarnir 5 à 6 Fat boys pour 100 €…
Démarche pénible (voir photo ci-dessus) faute de matériel adapté. Compter au moins 2 heures pour regarnir 4 fat boys et se préparer à être couvert de billes de la tête aux pieds. Idéalement, à faire la première et la deuxième année. Ensuite la masse et le volume de billes, tassées, se maintiennent dans la durée, sans gros besoin de réassort [maj 01/2020] – les fat boys pèsent alors 3 fois plus lourd qu’au départ et restent bien ventrus.
Problèmes rencontrés
L’invasion sournoise des petites billes : 1 sous-housse fatboy en intissé trouée et impossible à réparer, 1 fatboy ouvert délibérement dans espaces publics, un fat boy “spécial extérieur” sans sous housse (contrairement aux finitions StoneWashed). Par ailleurs, tassement assez rapide des billes les 2 premières années, qui s’arrrête après deux re-garnissages généreux successifs.
De l’usage l’irréparable outrage : les tissus clairs se salissent vite et sont difficilement détachables. Chewing gums collés sur 2 des fatboys dont un est resté taché de manière indélébile.
Comme pour les chauffeuses, il reste difficile d’attribuer de manière claire dans une fiche de poste d’agent de BU la mission « entretien des housses de fatboy » au-delà de la bonne volonté d’une personne isolée. Nous nous orientons vers la coordination des opérations par les collègues investis dans le Groupe Aménagement et mobilier, et comme pour les chauffeuses, vers la mise en œuvre du déhoussage/houssage moniteurs soirées + financement d’une mission laverie. nous avons commencé par un moniteur, et lors d’une délégation de la mission à une contractuelle dégourdie, elle a discutée avec la propriétaire de la laverie qui a proposé de s’occuper de l’enlèvement et du retour du linge moyennant commande…
Coût global sur 1 an pour 5 à 10 fat boys achetés de manière échelonnée : Amortissement (perte d’un fat boy sur 2 ans – 100 €/an) + 50 € nettoyage + 100 € recharge les 2 premières années + 250 + 120 € masse salariale déhoussage/rehoussage.
III. Les plaids : un effet whaou, mais plein de questions
Nous avons acheté début 2018, 100 petits plaids gris pour St Serge (marque d’ameublement suédois environ 5 € pièce) , 4 grands plaids Belle Beille (10 € pour les grands). Nous avons fait le choix initial de ne pas mettre d’antivols sur ces textiles à bas prix pour en faciliter le nettoyage. Il y a eu des vols : 40 % du stock s’est envolé en 1 an.
Nettoyer
Cela reste notre grande question, qui n’est pas résolue de manière optimale. Le nettoyage en pressing a fait l’objet d’un devis à …5 € pièce. Nous avons été confrontés à un refus des groupes de type Ellis de prendre en charge une prestation trop restreinte et trop peu régulière sur des textiles “non professionnels”.
Comme pour les fats boys, nous avons opté ,en 2019, sur une option laverie, avec lavage à 40° (test fait à 60°, le tissu feutre un peu) + séchage en machine (3 cycles de 10 minutes à 1,5 €) : 60 plaids tiennent dans 3 machines 18 kg, coût 8,10 € la machine soit 24,30 € | Durée : 40 minutes | Séchage, 3 cycles de 10 minutes dans 3 machines, soit 13,50 €
Prestation enlèvement laverie et retour : 50 € identique si couplé fatboy (fait dans la journée) | Repassage inutile.
Nettoyage 5 fois par an : été, Toussaint, noël, février, avril + intervention en cas signalement par la médecine préventive de cas de gale circulant dans la communauté.
Problèmes rencontrés
Le recollement a montré que 40 plaids sur 105 avaient disparu en 1 an. Nous avons donc opté, pour arrêter l’hémorragie, mi 2019, pour l’achat d’antivols à pique du commerce (Rouxel, 20 € les 100 + le détrompeur à 15 € pour les retirer avant lavage) assortis d’une puce RFID ronde de bibliothèque pour sonner de temps en temps avec nos portiques RFID. Il est un peu trop tôt pour savoir si ça marche…
Nous avons effectué un retrait par précaution après signalement par le SUMPPS de cas de gale circulant dans la communauté universitaire (hors BU).
Nous sommes, comme beaucoup de bibliothèques, confrontés à la présence de SDF venant chercher chaleur et réconfort à la BU en hiver : notre règlement intérieur prévoit, suite à une longue et riche discussion en conseil documentaire au moment de la mise en place des Fat Boys, une mention relative à l’hygiène corporelle. Le plus difficile reste d’aller, respectueusement, expliquer à des personnes sans domicile fixe qu’elles doivent avoir des vêtements propres pour s’installer dans la BU aux périodes de faible affluence. Il y a de nombreuses ressources sur la manière de concilier le moins mal possible nos exigences d’exploitants de bâtiments et de services de “confort” avec ces enjeux sociaux : voir fil Twitter de Marie Eiriksson https://twitter.com/MarieeEiriksson/status/1088413210796048386. Nous avons trouvé particulièrement utile le site Homeless Library http://www.homelesslibrary.com/ et notamment sa rubrique “Body Odor”.
Coût global : Réassort vol : 100 €/an (antivols 30 €) + nettoyage 190 € + 250 € accompagnement nettoyage (base 5 fois/an – mutualisable fat boy pour 100 €).
IV. La jouvence des chariots à moumoute de Maxou le conservateur
Tous ceux qui conjuguent chariots Borgeaud et moquette savent qu’année après année, les chariots roulent de plus en plus mal (c’est plus lent sur les sols durs).
Les plus observateurs savent sans doute qu’il y a une cause visible à cette sénescence accélérée du chariot : les amas de cheveux longs qui s’y emmêlent (la moumoute selon notre jargon local). Nous sommes plusieurs, chaque été, à “démoumouter les roues de chariots” pour leur redonner un peu de fluidité de mouvement. Alors que j’étais fière de ma méthode aux ciseaux, j’ai découvert que nous avions un professionnel ayant poussé l’art du démoumoutage beaucoup plus loin, avec
- démontage des roues à la clé de 13 (par deux)
- enlèvement des écheveaux de cheveux à la main
- dégrippant
- remontage à la clé de 13
Voici le tuto de Maxime en images (CC0)
V. Inclusion, évolution des métiers, état d’esprit
En conclusion de ce billet qui mêle des questions triviales et d’autres beaucoup plus sensibles sur l’inclusion en BU et l’évolution des métiers, voici quelques éléments de réflexion.
Tout d’abord une question : faut-il renoncer à certains services parce qu’ils risquent d’être détournés par quelques “usagers extrêmes” ? Comment concilier l’intérêt de la majorité sans s’aligner sur des services “moins-disant” permettant de limiter les risques ?
Ensuite une remarque : en la matière, l’externalisation des services d’entretien a ses limites : la BU du Havre, qui a encore un agent dédié et son propre matériel de lavage assure bien mieux que nous l’hygiène et l’entretien de ses textiles de confort. Le recours à quelques heures d’emploi étudiant, comme pour d’autres choses qui sont hors “cadre” (comme les horaires étendus) permet, à coût mesuré et à condition de l’annoncer dès le recrutement, d’assurer un service minimum avec une bonne acceptabilité dans les équipes, aucun référentiel métier des bibliothèques ne comprenant à ce jour les fonctions de “linger.ère” (pas plus que de WC manager d’ailleurs).
Enfin, de manière pragmatique, pour permettre à 5 à 10 % de nos usagers d’avoir accès à ces petites touches de confort, il faut en préalable :
- de l’attention collective aux détails (et des profils de postes avec une vraie dimension espaces et mobiliers),
- des routines ritualisées et des temps forts dans l’année,
- un lien fort avec la médecine préventive (et ne pas se voiler la face sur l’existence de gale, teigne, et autres punaises liées au “mal-logement” étudiant ou à la grande pauvreté en milieu urbain),
- un règlement intérieur adapté et la capacité à le faire vivre (et à prier de quitter les lieux les gens qui ne le respectent pas),
- un budget de lancement d’environ 1500 € (cela suffit pour un bon stock de plaids, coussins et quelques fats boys symboliques permettant de tester les meilleurs emplacements de détente),
- un budget d’entretien de 25 heures/homme (environ 400 € cotisations patronales comprises pour de l’emploi étudiant) + de 350 € de laverie.
Puisse ce billet vous donner matière à discuter et prototyper toutes les facettes de vos éventuels projets d’espaces détente, sieste, plaisir en BU…
[PS1 : vous trouverez en stock un billet du même jus sur le WC management ou l’art et la manière d’améliorer à petits pas les services communs les plus triviaux]
[PS2 : si avec des billets pareils, je ne me fais pas confier une “chaire d’excellence d’économie domestique appliquée aux bibliothèques” par l’enssib, c’est à désespérer de la formation initiale et continue des bibliothécaires ;-)…]