1 an de prêt illimité : un premier bilan


La théorie de la brouette invalidée

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Je posais la question dans un article en septembre 2015 consacré au lancement du prêt illimité à la BUA : vaguelette ou tsunami ? L’introduction du prêt illimité va-t-elle faire exploser le nombre de prêts ? Va-t-on voir débarquer des utilisateurs munis de brouettes pour charger plus de livres ? Les rayons seront-ils vidés de leurs collections ? Et les collègues submergés par le rangement ? Non, non, non et non, voici les réponses aux 4 questions qui précèdent.


Comparer d’accord, mais comparer quoi ?

Chargé des indicateurs et du pilotage à la BUA, j’ai commencé assez tôt à m’interroger sur les indicateurs susceptibles de nous permettre d’observer l’évolution du dispositif. Et il m’est rapidement apparu que la modification des conditions de prêt vidait de son sens la comparaison brut du nombre de prêts d’une année sur l’autre, la durée autorisée étant passée de 28 jours à 90 jours.
J’imaginais mathématiquement une baisse du nombre de  « transactions » : j’ai le document pour plus longtemps, je n’ai pas besoin de le réemprunter ou de prolonger le prêt. En faisant cela, je fantasmais un usage, ou plutôt un besoin : avoir les livres plus longtemps.
Mais alors que faire ? Comment observer « scientifiquement » les effets produits par l’introduction du prêt illimité ?

Au premier abord, il me semblait intéressant d’étudier plusieurs éléments :
– sans se contenter de cela, observer l’évolution du nombre de prêts, tendanciellement à la baisse depuis 2010 (chez vous aussi je suis sûr !) et vérifier que les utilisateurs s’emparent du service de réservation, pivot du dispositif. Sur ce dernier point, on observe un doublement du nombre de réservations entre l’année qui a précédé la modification des conditions de prêt et cette année. Pari gagné.
– observer les comportements au travers des chiffres : le prêt illimité infléchit-il de manière visible le comportement  d’emprunt des utilisateurs ? Le nombre de prêts par lecteur dément cette théorie : on observe une absence quasi-totale d’évolution avant/après l’introduction du prêt illimité. Les utilisateurs sont peu nombreux à aller au-delà des anciens quotas. Le pourcentage de lecteurs ayant plus de 16 prêts passe de 1% à 2% (c’est dire). Deux options pour expliquer cette non évolution : 1/ la règle contraignante demeure mentalement au-delà de son assouplissement 2/ les besoins des étudiants en livres papier sont [de plus en plus] limités.
– vérifier que la libéralisation des conditions de prêt n’entraine pas une privatisation des collections


Et si tout était question de confort

Pourquoi ne pas inventer un indicateur servant à mesurer le confort d’utilisation des collections, sur le modèle du BNB bhoutanais (Bonheur National Brut) ? Pourquoi se limiter à mesurer quantitativement un volume de transactions sans tenir compte des conditions d’utilisation des collections ? Un chiffre brut hors de son contexte ne peut permettre d’affirmer sèchement que l’activité baisse.

Ma collègue Céline Chauveau, administratrice du SIGB à la BUA, a eu une idée : si l’on allonge la durée de prêt, il serait intéressant de produire un indicateur qui mettrait en relation le nombre de prêts en cours avec la durée de chaque prêt.
On obtient une donnée qui permet la comparaison avant/après le changement des règles de prêt, car dans l’équation, la durée d’utilisation des collections est prise en compte.

Un diagramme avant/après est assez parlant :

Capture2

On observe nettement en vert les deux pics (21j, 50j) qui correspondaient grosso modo aux anciennes conditions de prêt : les utilisateurs conservaient/utilisaient les livres en moyenne 28 jours .
En bleu, on voit que la durée d’utilisation des collections s’étire dans le temps, pour atteindre une durée moyenne d’environ 55 jours, avec un pic de retours à 90 jours (3 mois).

nb prêts

Σ(durée x prêts)

fev 2016

11141

590796

fev 2015

11471

316945

Le tableau ci-dessus (données SCD UA février 2015 / février 2016) montre :
– que le volume des transactions de prêt est stable : serait-ce une première conclusion provisoire à tirer ? L’introduction du prêt illimité, à défaut de faire exploser le nombre de transactions de prêt serait-elle un remède à la baisse tendancielle du nombre d’emprunts ?
– que « l’amplitude d’utilisation » des collections est largement accrue : l’indicateur Ʃ augmente de 86% . Comment l’interpréter ? A mon humble avis, on peut affirmer que les nouvelles conditions de prêt améliorent le confort d’usage des collections en permettant de conserver plus longtemps les livres, et partant en limitant les déplacements et les prolongations de prêt. Mais elles sont également un argument fort de gestion et de défense des budgets d’acquisition.

1000 ans de jouissance

Un chiffre qui parlera au plus grand nombre : en février 2015, l’usage cumulé des livres de la BUA par nos lecteurs représentait 868 années. Avec la mise en place du prêt illimité et l’allongement de la durée de prêt à 3 mois, ce chiffre passe à 1818 années en février 2016. On peut affirmer sans rougir qu’en modifiant les règles d’emprunt, le droit de jouissance des collections, entendu comme “usage privatif temporaire d’un bien commun” est très largement accru. Sur les six premiers mois du nouveau dispositif, la jouissance des collections a doublé, passant de 5000 ans à 10 000 ans [durée de possession effective, ce qui ne signifie bien entendu pas usage effectif et continu].

Une petite enquête, menée en juin 2016, a permis de récolter l’avis de 150 étudiants concernant la mise en place du prêt illimité et du système de réservation de livres. L’échantillon interrogé, constitué à 90% d’emprunteurs, exprime une satisfaction globale  concernant le prêt illimité de livres pour une durée de 3 mois (86% de satisfaits) et le système de réservation (70%). L’avis est plus nuancé à propos du délai de 7 jours accordé aux emprunteurs pour ramener un livre réservé : 50% pensent que c’est trop court, 50% pensent que c’est bien. Une majorité se dégage, parmi les personnes interrogées, pour porter ce délai à 10 jours.


Sortir du service minimum

Améliorer le confort d’utilisation des collections est un noble objectif, qui ne passe pas uniquement par l’allongement de la durée de prêt et la suppression des quotas d’emprunt. Comme évoqué dans un précédent billet, le principal changement introduit par le dispositif de prêt illimité concerne la mission | le positionnement | l’image du bibliothécaire : il/elle n’est plus chargé(e) de faire revenir les livres parce que la date de retour est échue mais seulement si un autre utilisateur en a besoin. Le mot, souvent galvaudé d’ailleurs, de médiation retrouve dès lors tout son sens, “pratique qui vise à définir l’intervention d’un tiers pour faciliter la circulation d’information” (Wikipédia). Avec le lancement des nouvelles conditions de prêt à la BUA, un groupe de travail pérenne a vu le jour : répondant au doux nom de TER comme Transferts Et Réservations, il est chargé d’assurer un suivi quotidien des opérations de circulation, et porte une attention particulière aux retours des livres réservés et aux anomalies.

C’est à mon sens un des effets bénéfiques de ce changement : faire sortir la BU du service minimum (prêt, retour, lettres de rappel) pour aller vers un traitement plus qualitatif et personnalisé des besoins de nos utilisateurs. En d’autres termes, faire vivre la qualité de service au quotidien pour que chaque étudiant soit un VIP dans sa BU. Les trois enquêtes Libqual menées à Angers en 2008, 2011 et 2014 le montrent : le niveau de service perçu s’améliore et dépasse désormais 7/10. Pour aller au-delà, et flirter avec les 8 ou 9/10, il faudrait :
– généraliser la démarche de design de l’expérience utilisateur, pour faire avec l’utilisateur, et plus seulement en pensant à lui très fort (au mieux) ou à nous principalement (au pire)
– garantir une prise en charge des demandes “particulières” et y apporter une réponse personnalisée
– assurer une réponse/réaction immédiate ou à très court terme aux demandes des utilisateurs

Cela représente un vrai défi dans le temps long de l’administration. Qui veut le relever ?