De la vertu d’écrire sur son stage un an (et des poussières) plus tard

[Billet rédigé par Elise L., conservatrice stagiaire DCB30 en 2021 – désormais conservatrice à l’université Sorbonne Nouvelle]

De la fin août jusqu’à la mi-décembre 2021, j’effectuai le traditionnel stage professionnel de quatre mois en tant que conservatrice-stagiaire à l’Enssib (promotion DCB 30). Mon choix s’était porté sur la bibliothèque universitaire d’Angers pour de multiples raisons (toutes, évidemment, meilleures les unes que les autres). Plus d’un an un peu tassé après la fin de ce stage, il est intéressant de se remémorer dans le détail cette expérience riche dont le souvenir a eu tendance à perdre un peu en épaisseur après ma prise de poste, le vortex des tâches quotidiennes durant cette première année en poste ayant tendance à aspirer énergie et hauteur de vue. Me replonger dans ce stage est donc un excellent moyen de prendre du recul, d’actualiser des apprentissages et d’interroger mes pratiques actuelles. Je ne reviendrai pas ici sur l’intégralité de mes expériences durant ce stage. Il s’agit plutôt, en revenant sur le cœur du sujet qui m’a occupé pendant quatre mois, d’éclairer ce que j’en retiens dans mon poste actuel.

Nourriture et expérimentation

Si je devais résumer ce temps passé à la BUA, je choisirais ces deux termes qui décrivent assez bien mon expérience.
J’ai eu en effet la chance d’être énormément nourrie professionnellement (et pas que !), et ce, bien au-delà de mon sujet de stage, au gré de discussions formelles et informelles, de références, de coups de pouce. Outre les connaissances acquises autour des enquêtes qualitatives, les conseils et les retours d’expérience dont j’ai pu bénéficier grâce à ma tutrice, à l’équipe de direction et à l’ensemble de l’équipe m’ont épargné un certain nombre d’erreurs et forment une sorte de boussole intérieure qui guide ma pratique.
Côté expérimentation, j’avais deux avantages considérables pour mener mes missions : la culture d’établissement et mon statut de stagiaire.
La première se caractérise par une ouverture collective et ancrée à l’expérimentation : on n’emmène pas tout le monde de la même façon dans tous les projets, mais on peut s’appuyer sur une équipe dynamique prête à prendre de son temps pour s’embarquer dans des aventures plus ou moins hasardeuses (du genre accompagner l’équipe dans la prise en main de méthodes qu’on n’a soi-même jamais testé, pouvoir l’assumer, et en faire un truc qui se construit collectivement). Cette culture d’établissement, c’est aussi l’habitude d’accueillir des stagiaires, de les accompagner dans leurs projets de manière bienveillante, ce qui participe de cette ouverture à l’expérimentation.
Le statut de stagiaire est quant à lui une précieuse opportunité car il affranchit de certaines contraintes et de leurs conséquences. On le sait, on nous le répète, mais on ne le réalise vraiment qu’une fois en poste, quand les liens hiérarchiques et l’organisation du travail prennent une toute nouvelle dimension et font apparaître des craintes et des questionnements comme seule la superposition de la relation interpersonnelle et du statut sait les susciter. D’une part donc, le statut de stagiaire confère un droit à l’erreur supérieur : on ne rend pas directement compte à une tutelle ou à une hiérarchie, on bénéficie d’une indulgence liée à notre statut d’apprenant et notre situation est peu exposée. D’autre part, il libère des modes de relation imposés par l’organisation du travail : élément extérieur accueilli temporairement, on navigue entre et avec les gens avec l’esprit libre, l’œil vif et le pas léger. Bref, on est encore un être humain peu connoté, à nos propres yeux comme aux yeux des autres.
L’ambiance générale étant posée, passons au concret.

Missions et à-côtés

À l’origine, mon stage avait deux objectifs principaux : mettre en place une enquête qualitative sur les usages des collections en choisissant un domaine d’acquisition sur chaque site de la bibliothèque et accompagner l’équipe dans la prise en main de méthodes d’enquête qualitative. Les enjeux étaient de plusieurs ordres : approfondir les statistiques liées aux collections et apporter de nouveaux axes d’analyse par une approche qualitative, former et/ou accompagner les collègues qui le souhaitaient et construire avec elleux une démarche UX, depuis le choix des méthodes en lien avec les objectifs définis jusqu’à la réflexion autour de la mise en place d’actions de résolution des difficultés observées. Seul le second objectif a finalement été conservé, afin de pouvoir travailler avec un plus grand nombre de collègues et d’approfondir la dimension d’accompagnement qui m’intéressait particulièrement.

Une mission secondaire consistait à participer aux réunions de direction et à poser un regard critique et attentif sur le déroulement de celles-ci. Quelques extras ont jalonné mon parcours : la participation active au Campus Day de l’université, à une formation sur l’accompagnement au changement dispensée pour MédiaNormandie et à un BUApro axé sur les collections, en lien avec mon sujet de stage.

La démarche

Puisqu’il s’agit du cœur de mon stage et de ce qui m’a été le plus directement utile durant ma prise de poste, je vais m’attarder surtout sur ma mission principale : l’accompagnement de l’équipe de la BUA dans la prise en main de méthodes d’enquête qualitative.

Pour mener à bien ce projet de formation plus que d’enquête, il a fallu naviguer sans cesse entre l’échelle collective et l’échelle individuelle afin de respecter les contraintes, envies et freins de chaque personne, tout en faisant en sorte qu’il soit construit comme une expérience collective pour en tirer le maximum. J’avais donc fait le choix de commencer moi-même par une sorte de mini-enquête en m’entretenant avec chaque collègue acquéreur ou acquéreuse. Il s’agissait ainsi de créer un premier contact pour mieux appréhender les attentes existantes (et savoir aussi lorsqu’il n’y en avait pas). J’ai ensuite organisé une réunion sur chaque site de la BU pour rassembler les personnes volontaires pour participer à ces expérimentations et nous avons ainsi pu déterminer un calendrier collectif réparti en semaines thématiques. Le calendrier collectif était le suivant :

  • le 28 septembre a eu lieu une réunion de lancement sur chaque site et détermination du calendrier
  • les 7, 8, 14 et 15 octobre, des ateliers de tests de méthodes entre collègues volontaires ont été organisés sur les deux sites ;
  • entre le 18 octobre et le 19 novembre, 4 semaines de tests sur les publics ont été balisées ;
  • fin novembre et début décembre, j’ai organisé et animé 2 temps de bilan sur chaque site : l’un sur les méthodes testées et l’autre sur les informations récoltées.

 Selon les thématiques choisies par les collègues volontaires, je pouvais ainsi proposer différentes méthodes à tester en fournissant à chaque fois les supports d’enquête (d’observation aussi bien que d’entretien). Ces méthodes avaient été préalablement testées durant des ateliers entre collègues afin de donner à toutes et tous des bases de méthodologie d’enquête. Ce temps était nécessaire également afin de rendre les premiers entretiens réels moins stressants. Chaque personne avait évidemment la liberté de choisir les méthodes qu’elle avait envie de tester sans s’imposer celles qui pouvaient la mettre mal à l’aise.

Lors de chaque session d’enquête, ma présence était ensuite dosée selon le degré d’autonomie et les besoins de chacun·e. Si le calendrier était bien défini, il permettait également de conserver une certaine spontanéité : il m’est arrivé plusieurs fois de lancer une série d’entretiens avec certain·es collègues de manière improvisée. Cela m’a permis de profiter des temps où je pouvais être réellement présente pour les accompagner, et également de montrer que le dispositif proposé pouvait être léger : pas besoin de planifier de grosses sessions d’entretien des mois en avance : il peut suffire de déterminer un cadre global au sein duquel quelques entretiens peuvent être casés dans les moments moins intenses.

Je fais une mention spéciale à une expédition particulièrement improbable qui a eu lieu en présence des collègues des deux sites de la BUA : l’enquête par analogie dans deux des supermarchés angevins. Le but était d’observer la présentation et la valorisation des produits (à comparer avec la présentation et la valorisation des collections dans les deux bibliothèques), mais aussi les détails qui faisaient que l’expérience en tant qu’usager.ère était agréable ou non. Cette expérience, aux allures de classe verte, est incontestablement un des moments les plus amusants de ce stage, malgré les (grâce aux) aléas qui m’ont, par exemple, conduit à négocier avec un agent de sécurité et un manager afin de les convaincre que oui, nous étions des bibliothécaires venus observer leurs rayons et que non, nous n’allions pas interroger les clients ou publier quelque chose sur nos constats, pour qu’ils acceptent de nous voir rôder, grilles d’observation et stylos à la main.

Enfin, les réunions de bilans qui enchaînaient restitutions d’enquêtes, moments de réflexion collective et partage autour des convictions professionnelles de chacune et chacun restent pour moi une référence personnelle sur le résultat bluffant qui peut être obtenu d’une démarche collective démarrée à partir de niveaux d’expérience et d’appétence hétérogènes autour de l’enquête qualitative. La quantité d’idées, d’informations qui en sont ressorties, malgré mon approche débutante de l’accompagnement d’un groupe et une organisation du temps parfois très optimiste, ont été pour moi une sorte de preuve définitive que le travail d’équipe est d’une efficacité redoutable. À bien des égards, cette expérience, dans son entièreté et malgré quelques cahots, m’a révélé une forme de travail que je souhaitais conserver dans ma pratique d’encadrante une fois en poste.

Qu’est-ce que j’ai conservé dans ma pratique ?

SAUF QUE… Alors que je retrace un peu tardivement cette expérience en me disant régulièrement, au fil de cet exercice de remémoration, « Ah ouais, j’avais vraiment fait plein de trucs intéressants », je me rends également compte de tout ce que le quotidien m’a fait repousser, craindre ou carrément oublier maintenant que je suis en poste depuis près de neuf mois.

Bien sûr, j’ai beaucoup appris sur la dynamique d’une équipe et sur ce que la gestion d’une équipe doit à l’attention portée à l’individu. Bien sûr, j’ai identifié des leviers d’action et de motivation, des erreurs à éviter. Bien sûr, tout cela m’a été directement et extrêmement utile dans ma première prise de poste en tant que jeune encadrante d’une petite équipe.

Mais, même avec les meilleures intentions du monde et des collègues aussi bien qu’une hiérarchie ouverts à différents styles de managements et différentes expérimentations, le poids de la réalité quotidienne, l’enchaînement des tâches, des apprentissages, des urgences, des réunions, des décisions semi-informées, des temps dédiés au management et la volonté de garder sa porte ouverte, etc. m’avaient jusque-là empêchée de stopper le temps pour prendre du recul. Car c’est une chose (et pas des moindres) d’essayer de faire attention aux autres et à soi pour mener à bien les missions de son équipe dans un climat serein, c’en est une autre de créer un cadre propice à l’apprentissage collectif et continu afin de pallier les manques présents. C’en est définitivement une autre, aussi, d’accorder ce temps nécessaire à l’apprentissage lorsque les deadlines ne le permettent pas et que l’équation paraît insoluble. Il est donc très sain, à quelques mois de cette prise de poste, de me replonger dans mon expérience angevine pour me réapproprier ma propre conception du travail et me remémorer que le rôle d’une encadrante n’est pas seulement de remplir des objectifs de la manière la plus satisfaisante possible pour son public, sa hiérarchie et son équipe, mais aussi de construire un collectif dans lequel l’individu peut trouver sa place et évoluer.