Combien ça coûte ?

billet_combien_ca_couteA l’occasion de causeries sur le budget ou les carrières et rémunérations, de l’accueil de stagiaires mais aussi lors de la rédaction d’appels à projets ou d’échanges avec la direction du pilotage et l’évaluation de l’université d’Angers, j’ai réalisé que les ordres d’idées sur “combien coûte une activité ?” n’étaient pas toujours clairs dans l’esprit de chacun et que les notions de “cher” ou “pas cher” étaient souvent basées sur nos “paniers-de-la-ménagère” de particuliers de la classe moyenne.

Puisque visiblement, tout le monde ne prend pas le même plaisir malsain que moi à lire les “jaunes” des lois de programmation budgétaire sur le site “Forum de la performance” (je recommande chaudement si vous avez du mal à vous endormir  si vous voulez comprendre ce qui est fait de vos impôts au niveau “macro”),  je vais faire simple et proposer, à ceux que la question intéresse, un petit recueil d’exemples commentés et un petit calculateur “maison” permettant de bricoler avec un de mes outils de gestion préférés, les estimations de Fermi.

Selon l’article “Estimations de Fermi” de Wikipedia :

En physique et d’autres sciences, une estimation de Fermi  est un problème d’estimation conçu pour enseigner la manière de faire des approximations correctes, sans données précises mais à partir d’hypothèses judicieusement choisies.

Le nom de ce genre d’estimation vient du physicien  Enrico Fermi, qui aimait poser ce genre de questions à ses étudiants. En anglais, on appelle aussi ce genre d’estimation « back of the envelope calculation », calcul ou estimation « au dos de l’enveloppe », ceci faisant référence à la manière rapide d’effectuer un calcul grossier sur le premier bout de papier qui vous tombe sous la main en vue d’obtenir un résultat approximatif.

Fermi était connu pour son habileté à faire de bons calculs d’approximation avec peu (ou aucune) données précises.

combien_ca_coute_dans_ma_buMême si je ne suis pas du tout physicienne, seulement à moitié italienne et gestionnaire en peau de lapin, je  vais m’essayer ici quelques approximations de Fermi sur “Combien ça coûte ?”, avec lesquelles vous pourrez jouer, vous aussi, si ça vous amuse, à l’aide du petit calculateur un peu frustre que j’ai bricolé sur Google sheets…

Les ingrédients proposés sont peu nombreux, comme de juste très approximatifs, et grosso modo transposables d’une BU à l’autre, les statuts de la fonction publique, les coûts de l’électricité et autres étant (encore) à peu près homogènes d’un bout à l’autre du territoire français métropolitain.

Pour faire pédagogique, je vais partir de la liste des ingrédients, proposer quelques “recettes de cuisine simples” sur des situations types de coûts bruts : la vie d’un livre à la BU, le fait d’ouvrir une BU au public, une réunion, puis réfléchir à quelques coûts d’usage et finir par interroger la notion de travail invisible et d’indicateurs de performance, notamment, pour ce qui est ma grande crainte, l’attribution algorithmique de budgets sur les seuls indicateurs du “visible”, ce que le juriste A. Supiot désigne et dénonce joliment sous le nom de “gouvernance par les nombres“.

A. Liste des ingrédients

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Coûts salariaux totaux

Très arrondis (toutes cotisations comprises – moyennes agents en milieu de carrière > 20 ans d’ancienneté, peut varier du de 50 % en fonction de l’âge et durée de carrière)

  • 1 h moniteur étudiant incluant frais de gestion / magasinier début de carrière : 20 €
  • 1 h magasinier/adjoint administratif fin de carrière ou catégorie B début de carrière : 30 €
  • 1 h BIBAS/technicien / ASI / fin de carrière : 40 €
  • 1h Bibliothécaire ou conservateur débutant / IGE : 50 €
  • 1 h conservateur en chef / IGR : 60 €
  • 1 h conservateur général : 70 €
  • 1 an de travail : 1500 heures / 1 semaine : 35 heures / 1 jour 7 h.

Aucune n’est totalement juste, car c’est bien le principe des approximations d’arrondir de manière à faciliter les calculs, le total de ces estimations tombe à 5% près sur le montant réel de la masse salariale de la BUA… Ce sont des coûts avec cotisations patronales, sociales, salariales (donc en gros un peu plus du double de ce qui arrive réellement sur les comptes en banque des agents à la fin de chaque mois).

Pour les 1500 heures (inférieures au seuil légal de 1607 heures), je vous renvoie au référé S2019-2270 de la Cour des comptes sur le temps de travail des non enseignants dans l’enseignement supérieur publié le 3/12/2019. A Angers aussi, c’est un peu moins de 1500 heures par an, pour de vrai (vous pouvez comprendre pourquoi en allant voir ce petit fil Twitter), mais j’aime les chiffres ronds quand j’approxime.

Coûts d’infrastructures

Coûts d’infrastructures très arrondis, pour des bâtiments non patrimoniaux, non HQE, avec équipement de qualité moyenne (si vous allez vers des architectes primés et du mobilier de design, vous pouvez facilement doubler).

  • 1 M2 à la construction : 2000 €
  • 1 m2 à la réhabilitation : 1000 €
  • 1 place de lecture chaise et table avec lampe et prise: 500 €
  • 1 jour de fonctionnement 5000 m2 ouvert au public  : fluides, entretien & ménage : 400 €
  • 1 jour de fonctionnement 5000 m2  fermé au public : énergie : 100 €
  • maintenance du locataire : 5 € par m2 par an

Fabrication d’indicateurs / coût d’usages

En gros pour calculer le coût brut d’une action en bibliothèque, vous estimez le temps pris et vous le multipliez par le coût horaire des personnes mobilisées.

Pour estimer les coûts d’usage, les seuls qui vaillent pour un service public, dont le coût d’usage dépend de s’il est utilisé et n’est pas à mettre en regard avec les recettes qu’il fait entrer, divisez le coût total par le nombre d’usages mesurés.

B. La petite cuisine du Combien ça coûte ?

B1. Fournir un document

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En entrée, voici la recette du coût global d’un livre acheté par une bibliothèque :

Temps d’achat x coût horaire de la catégorie de l’acheteur + coût du traitement administratif + temps de traitement bibliographique x coût horaire de la catégorie du catalogueur + temps dédié à l’équipement x coût horaire de la catégorie de la personne qui équipe + coût des fournitures d’équipement  + coût du livre

Cette formule est à peu près transposable d’un livre à l’autre, sauf collections spéciales, où il faut majorer le temps de traitement bibliographique. La recette peut beaucoup varier selon les bibliothèques, selon les catégories de personnels chargés des achats et l’efficacité des processus administratifs (EDI ou pas, bons de commande provisionnels ou non, etc.)…

A Angers, ce coût de traitement est d’à peu près, en estimation de Fermi, de 30 € par livre acheté, auquel il faut ajouter le prix du livre lui même. Voici le pas à pas de l’approximation. Vous pouvez jouer avec votre situation locale en utilisant le tableau “Combien coûte ce livre ?

  • Temps d’achat : sélection + panier + envoi EDI éditeur : 15 minutes/livre = catégorie B ou C = soit 40 € / 4  = 10 €
  • Traitement administratif : bon de commande annuel, EDI pour suivi facturation + pointage bordereaux de livraison + réception Aleph : 10 minutes par livre = catégorie C soit 30 € / 6 = 5 €
  • Traitement bibliographique : cotation / exemplarisation SUDOC / Aleph / amélioration catalogage éventuel = 15 minutes par livre = catégorie C ou B soit 40 € / 4  = 10 €
  • Equipement light : pose code barre, estampillage page de titre et tranches, pose et encodage puce RFID, édition à la titreuse de la cote, protection au filmolux de la cote et du code barre = 10 minutes par livre = catégorie C soit 30 € / 6 = 5 €
  • Facturation mensuelle (1 facture pour environ 1000 livres) = 60 minutes pour DAF + agence comptable catégorie B = 40 €, soit 0,04 € par livre.
  • Coût puce, ruban titreuse, Filmolux = 1 €/document (que j’absorbe pour le calcul final dans les autres coûts… L’avantage des approximations de travail, c’est qu’elles se compensent).

Soit 330 000 € de masse salariale pour les 11 000 livres (pour un montant de 300 000 €  achetés à Angers) … Cela vous paraît beaucoup ? Vous me direz alors que je surestime largement le temps de chaque opération !

Maintenant, jouons donc à transposer en équivalent temps pleins annuels (etp pour les intimes) sur la base du nombre de livres achetés chaque année à la BUA (pour rappel 11 000).

  • Temps d’achat 11000/4 = 2750 heures par an pour la sélection, soit en arrondissant, 2 etp par an
  • Traitement administratif 11 000/6 = 1850 heures, soit 1, 25 etp par an
  • Traitement bibliographique 11000/4 = 2 etp
  • Equipement 11 000/6 = 1,25 etp

7 etp en tout par an… Cela vous paraît peu ? Vous me direz donc que les temps que je suggère sont des cadences infernales : eh bien,  doublez tout ! Vous arrivez alors à un prix de traitement de 60 € par livre et à 14 etp.

Vous avez compris le principe ? Alors on recommence, pour le prix d’un livre demandé en prêt entre bibliothèques.

  • Temps passé à faire la demande côté bibliothèque demandeuse  : 20 minutes par monographie, catégorie B ou C, 30 € / 3 = 10 €
  • Temps passé par la bibliothèque fournisseuse à traiter la demande, paquet compris : 30 minutes, catégorie B ou C, 30 €/2 = 15 €
  • Coût d’affranchissement et fournitures paquet = 7 €
  • Coût de facturation = 40 € par facture émise ou traitée.

Donc, si la bibliothèque prêteuse a la facétie de facturer à l’unité pour chaque livre fourni, le coût d’une monographie fournie par PEB  atteint les 70 €.

C’est là qu’entre en jeu la notion d’usage :

Pour un livre emprunté 10 fois dans sa vie à la BU, son coût par unité d’usage – ici un prêt (prix du livre + 30 € de traitement – je vous fais grâce du coût de stockage, qui est une donnée amusante à estimer par tranche de 10 000 livres) est pour un livre à 30 € de 6 €, pour 3 mois de jouissance par usager. Le même venu par PEB (et facturé à l’unité par la bibliothèque prêteuse – note aux bibliothèques qui font encore ça, arrêtez s’il vous plaît, et rendez les postes au moment des départs à la retraite. Ce sera votre contribution pour que l’argent public serve à revaloriser le salaire des infirmiers.ères au CHU, et non à jouer à la marchande entre services publics) coûte 72 € pour 15 jours de jouissance.

Nous sommes d’accord, ces approximations racontent une manière de voir et comprendre le réel, sans le résumer : elles restent pourtant une boussole bien utile pour se poser la question, PEB ou achat ? Quel fournisseur choisir ? Quel poste essayer d’optimiser sur la chaîne de traitement du livre ? Quelle valorisation mettre en oeuvre pour que chaque livre acheté trouve son public ? Quel temps consacrer à cette dernière ?

Ces calculs nous ont été utiles pour choisir des priorités : par exemple, nous avons investi du temps pour simplifier drastiquement le traitement administratif des factures via l’EDI et la facturation mensuelle, passant de 1500 factures à 12 ; nous avons arrêté de facturer le PEB, que ce soit à nos usagers ou à nos fournisseurs ; nous privilégions l’achat pour certains titres susceptibles d’être réempruntés… Et quand nous voyons qu’un fournisseur extérieur facture l’équipement light, fournitures comprises environ 1,20 € l’ouvrage, nous nous posons la question. Voici plusieurs années que nous arbitrons en faveur du maintien de l’équipement en interne, les compétences et les emplois étant là, fiables et “non fongibles”… Les décisions, fort heureusement, ne se basent pas toujours sur l’optimisation financière, même s’il me paraît sain, notamment lorsque nous souhaitons faire des choses nouvelles à moyens constants, de nous poser la question des choses que nous pourrions arrêter de faire ou faire différemment.

B2. Accueillir

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Ce jeu d’approximation sur “Combien ça coûte d’ouvrir ?” montre une extrême variabilité selon les lieux, et permet de se poser des tas de questions, sur la taille optimale d’une bibliothèque, le nombre de bibliothèques dans un réseau, sur l’organisation de l’accueil, les statuts des personnes qui l’assurent, les horaires d’ouverture, les services rendus, le nombre de places de travail…

Selon que vos 10 000 m2 exigent 20 ou 3 personnes pour ouvrir au public, votre coût d’exploitation sera très différent. Et bien sûr, votre valeur d’usage différera d’un facteur 10 aussi, si vos 10 agents accueillent 1 million de passages par an ou seulement 100 000 !

Vous pourrez jouer (j’ai prévu un tableau “Combien coûte l’ouverture d’une BU ? ” dans le calculateur) si ça vous amuse à comparer le coût d’ouverture de votre SCD à celui de la BU d’Angers, qui du fait de sa configuration et de choix politiques, (contestables comme tous les choix), est à un quasi plancher incompressible en terme de coût d’accueil.

Voici la formule d’un coût d’accueil brut :

Nombre d’heures d’ouverture au public x nombre d’agents nécessaires par tranche horaires et services rendus (si vous avez une configuration où de 8 à 10 la BU est tenue par 3 agents, puis 10 de 10h à 17h, puis à nouveau 3 jusqu’à 22h il faut en tenir compte).

Exemple 1 : la BU Belle-Beille à Angers, 10 000 m2, 1100 places, 2800 heures d’ouverture/an

Nombre de semaines d’ouverture par an : 46 dont 35 à 65 heures par semaine et 11 à .47,5 heures. 8 heures par semaine sur ces 35 semaines, configuration 1 titulaire et 2 moniteurs, le samedi et le matin avant 10h configuration 3 agents soit 17 h, le reste du temps, configuration 4 titulaires (nous allons repasser à 3 en janvier 2020)

  • nombre d’heures en configuration 3 agents dont des moniteurs : 17 x 35 x 3 = 1785 heures/homme ou femme / j’arrondis à 2000
  • nombre d’heures en configuration 4 agents : (65-17) x 35 x 4  = 6720 heures/homme ou femme / j’arrondis à 7000
  • nombre d’heures en configuration 3 agents : (47,5 ) x 11 X 3 = 1567 heures homme ou femme / j’arrondis à 1500

soit 10 500 heures agent, soit 7 etp, dont 0,8 de moniteur, 3 de catégorie B, 3 de catégorie C, 0,2 de catégorie A, soit un coût global en masse salariale de

  • 0,8 etp de moniteur : 24 000 €
  • 3 etp catégorie C : 135 000 €
  • 3 etp catégorie B : 180 000 €
  • 0,2 etp catégorie A : 15 000 €

354 000 € / an qu’on peut arrondir, à des fins de comparaison à 350 000 €. 

Exemple 2 : la BU Saint-Serge, 6000 m2, 900 places, 3900 h d’ouverture/an

Nombre de semaines d’ouverture par an : 48 dont 30 semaines à 91 heures par semaine, 10 à 84 heures et 8 à 47,5 par semaine, sur les 40 semaines hautes, 57 heures tenues par 2 titulaires, les 30 semaines avec dimanches 40 heures (les heures du dimanche valent 1,5) tenues par 3 moniteurs et agent de sécurité, les 10 semaines sans dimanche 30 heures seulement tenues par 3 moniteurs et un agent de sécurité.

  • Nombre d’heures en configuration soirée/dimanche : ((40 x 30) + (10 x 30)) x 3 = 4 500 heures
  • Nombre d’heures en titulaires : ((47,5 x 8) + (57 x 40)) x 2 = 5 320 heures, arrondie à 5 500

soit 10 000 heures par an agent + 1000 heures agent de sécurité soit 7,5 etp dont

  • 3 etp moniteur, soit 90 000 €
  • 1,9 etp catégorie C, soit 85 500 €
  • 1,9 etp catégorie B, soit 114 000 €
  • 0,5 etp agent de sécurité, soit 30 000 €
  • 0,2 catégorie A, soit 15 000 €

334 500 € / an qu’on peut arrondir, à des fins de comparaison à 335 000 €

Jouons maintenant à imaginer des indicateurs :

calendrier affluences

Quel coût par heure et jour d’ouverture ?

Pour la BU Belle-Beille : 350 000 € / 2900 h = 120 € de coûts humains par heure d’ouverture, soit pour 290 jours d’ouverture (moyenne estimée de 10 heures), 1200 € par jour + 800 € fluides et ménage par jour = 2000 € par jour d’ouverture

Pour la BU Saint-Serge : 335 000 € / 3900 heures d’ouverture = arrondi 90 € de coûts humains par heure d’ouverture, soit pour 320 jours d’ouverture (moyenne estimée de 12 heures), 1100 € par jour + 600 € fluides et ménage par jour = 1 700 € par jour d’ouverture.

Là encore, on voit bien qu’il n’y a pas qu’une logique comptable en jeu, et que la sédimentation de choix divers produit, au sein d’un même établissement, des différences non négligeables.

Rapport statistique Affluences (6)

Si on regarde des indicateurs d’usage type, comme le nombre d’entrées : pour 2019 nous comptons 780 000 entrées pour Saint Serge et 570 000 pour Belle Beille (les toilettes de celle-ci étant hors zone de comptage, l’arrondi est à l’inférieur – et vu la fiabilité des compteurs – et vu que j’aime les chiffres ronds, j’arrondis au 5000 supérieur ou inférieur).

On peut estimer grossièrement un coût global par an de “bibliothèque comme lieu d’accueil du public” de 600 000 € pour la BU Belle-Beille (j’introduis le coût infrastructures de 100 €/jour pour 5000 M2, même quand c’est fermé quadruplé quand c’est ouvert) et de 550 000 € pour la BU Saint-Serge… ce qui donnera :

1,05 € par entrée à BB / 0,70 € par entrée à Saint Serge.

Là encore, c’est un indicateur qui n’a pas de valeur en soi (on divise vraiment des torchons par des serviettes : une “entrée” ne mesure pas le temps passé par une personne dans la BU, et c’est un indicateur sensible à la saturation des locaux (des gens entrent et ressortent sans avoir trouvé de place ou au contraire ne viennent pas parce qu’un outil comme Affluences indique que la BU est pleine) , au nombre de fumeurs ou à la qualité et/ou l’emplacement des toilettes à l’intérieur ou à l’extérieur de la zone de comptage de BU : il n’empêche, c’est une donnée que nous mesurons tous, peu ou prou.

L’intérêt de telles approximations de Fermi réside surtout dans le fait de pouvoir comparer, réfléchir, se poser des questions… d’où le fait que ces approximations grossières et très arrondies suffisent, et que vouloir travailler à l’unité près ou avec des décimales est une perte de temps considérable.

Le passage de 4 à 3 agents “en SP” à Belle Beille devrait avoir pour conséquence une baisse de coût, en utilisant nos formules simplifiées :

Nombre d’heures en configuration 4 agents : (65-17) x 35 x 4  = 6720 heures/homme ou femme, arrondi à 7000 = à passer nombre d’heures en configuration 3 agents : (65-17) x 35 x 3  = 5040 heures/homme ou femme, soit 1900 heures de moins, soit 85 000 € de moins par an, ramenant le ratio de Belle Beille à 515 000 €/an et donc, à supposer que les entrées restent constantes, à 0,90 € l’entrée.

Tout cela est très arrondi, discutable, épouvantablement approximatif, mais permet en moins d’une heure de faire un rapide tour d’horizon de “Combien coûte l’accueil du public dans votre organisation actuelle ?” et de jouer avec des scénarios simples comme modifier le nombre d’agents nécessaires à l’accueil du public, faire varier les catégories aux différents postes… C’est aussi une manière de se poser la question : si nous devions faire payer l’entrée pour demander aux seuls utilisateurs de couvrir nos frais, qu’est-ce que ça donnerait ? A 1 € l’entrée (ah, les arrondis ;-), quelqu’un qui entre à la BU 200 fois par an devrait payer 200 €, si les impôts de la communauté nationale ne la finançaient pas  – de quoi donner envie d’arrêter de fumer si la pause clope devait impliquer de repayer son entrée !

B.4 Travailler ensemble

Terra Botanica

Je m’étais amusée, dans le billet BUApro Travailler ensemble, à estimer le temps de travail lié à chaque type de réunion.

Voici une nouvelle fois, le document reprenant nos différents types de réunion à la BUA :

Le délicieux petit calculateur artisanal fait pour ce billet (je ne m’en lasse pas) vous propose un troisième tableur  “Combien coûte cette réunion ?

En gros la formule est toute simple :

Vous prenez la durée de la réunion, le nombre de participants de chaque statut type, vous multipliez le tout par le coût horaire de chacun et le tour est joué.

Donc pour une réunion comme le “Komidi” (réunion de direction à la BUA), qui a lieu 15 fois par an, réunissant pendant 3 heures (180 minutes) 3 conservateurs en chef, 5 bibliothécaires/conservateurs débutants/IGE et 1 B début de carrière, avec 1 heure conservateur en chef de préparation/CR, on arrive à un coût unitaire de 1440 € par réunion, que je vais arrondir à 1500 € (on ne se refait pas), soit 22 500 € par an.

Pour les “REP” réunions d’équipes mensuelles, regroupant pendant 1 heure (60 minutes) : 8 catégories C fin de carrière, 8 catégories C début de carrière, 10 catégories B fin de carrière, 6 catégories B début de carrière, 4 catégories A bibliothécaires/conservateurs débutants, 2 catégories A pas débutants, arrive à 1530 €… que j’arrondis à 1500 € soit pour 9 réunions un coût de 13 500 € par an.

Là encore, ce sont des approximations grossières, mais, à ce prix là, cela donne bien envie de tirer le meilleur possible pour le collectif et les usagers de ces temps là, n’est-ce pas ?

C. Travail visible, travail invisible : le piège des ratios

L’avantage des approximations de Fermi, par rapport aux indicateurs religieusement établis à la décimale près et devenant un objet de foi aveugle pour certains décideurs, c’est de ne pas se sentir obligés de les prendre trop au sérieux. Ce sont des éléments qui aident à réfléchir, à relativiser les indignations de rigueur sur le prix des petits fours ou de communication (les frais de bouche à la BUA, repas annuel de la réunion générale des personnels et chocolats pour les femmes de ménage compris, ne dépassent jamais 2000 € par an) ou la médiation animale (3000 € de frais de fonctionnement, doublé, comme le montrera la note de notre stagiaire DCB, si on inclut l’accompagnement des titulaires et si j’ai su me montrer pédagogue).

Ils permettent aussi d’entrer en empathie avec nos gestionnaires, qui, chaque année doivent se mettre en quête pour trouver 2 à 3 millions d’euros de plus pour que l’université fonctionne “à moyens et projets constants”, du fait d’une subvention annuelle pour charge de service public oubliant le GVT (Glissement vieillesse technicité) ….

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Les estimations comptables ne racontent en effet pas grand chose du travail invisible, de ce qui se mesure difficilement, des courbes d’apprentissage où une mission que l’on découvre prend plus de temps qu’une autre qu’on pratique depuis longtemps, alors que le gestionnaire est tenté de la “peser” pareil pour tous.

Elles n’expliquent pas la perception subjective du temps de travail, où ce qui nous plaît nous est léger et ce qui nous ennuie compte triple. Un exemple : le présent billet a été rédigé en 6 heures, moitié sur temps personnel, moitié sur temps de travail “subi” pour assurer la permanence équipe de direction pour ouvrir la BU un 31/12 : comment l’évaluer ?

  • A l’aune de ma courbe d’apprentissage des fonctions avancées de RECHERCHE dans un tableur (j’y ai “perdu” (ou “investi ?”) deux bonnes heures sur les 6) ?
  • Au nombre de ses lecteurs présumés que la plateforme de blog de l’UA ne me permet pas de quantifier et que j’approximerai à l’aide du nombre d’ouverture de lien depuis un tweet (merci lectrice, merci lecteur d’être encore là, tu fais baisser les coûts d’usage) ?
  • A leur degré d’édification et leur motivation à faire des réunions efficaces et bien préparées ou au contraire aux réactions épidermiques sur les réseaux sociaux de gens ne l’ayant pas lu jusqu’ici et conspuant la “logique gestionnaire qui gangrène l’ESR jusque dans ses bibliothèques universitaires”  ?

Que vaut-il ? les 180 € de coût salarial sur temps de travail que j’y ai mis ? Le sens que j’y trouve en essayant de clarifier mon propos ? Celui que vous y mettez en le lisant jusqu’au bout ?

Je ferai peut-être un jour un billet “Tout ce qui est or ne brille pas” : en attendant, j’utilise cette fin de billet pour mettre un lien vers un diaporama utilisé en demi-journée banalisée pour essayer de parler au collectif BUA de ces questions de coûts cachés, de travail invisible, de missions discrètes et indispensables.

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La question de “Combien ça coûte ?” est toujours légitime quand on travaille avec de l’argent public : décider avec discernement ce qui relève d’un coût utile et justifié ou du “trop cher” est bien plus complexe et ne se laisse pas résumer en un billet ou en une conversation de comptoir. Pensez-y la prochaine fois… et, vous aussi, apprenez à jouer, avec discernement, avec des estimations de Fermi !

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D. Lire plus pour réfléchir plus

Jancovici, Jean-Marc. « CO2 ou PIB il faut choisir ». Leçon inaugurale de rentrée à Sciences Po Paris, août 2019, https://www.youtube.com/watch?v=Vjkq8V5rVy0&feature=youtu.be.
Un ingénieur propose une illustration pratique et politique de l’usage d’approximations de Fermi. Un salutaire rappel que le monde est plein de problèmes mal posés, sur des prémisses inexactes, auxquels il existe de multiples solutions.
Linhart, Danièle. La comédie humaine du travail: de la déshumanisation taylorienne à la sur-humanisation managériale. Erès, 2017.
Une sociologue analyse la doctrine bicentenaire de l’optimisation technicienne du travail et de ses coûts et permet d’interroger les “évidences” managériales du moment. Étonnament lisible et bien écrit pour un livre de sociologie.
Supiot, Alain. La gouvernance par les nombres: cours au Collège de France, 2012-2014. Institut d’études avancées de Nantes ; Fayard, 2015.
https://www.college-de-france.fr/site/alain-supiot/La-gouvernance-par-les-nombres-film.htm avec de belles vidéos chapitre par chapitre, notamment la deuxième “Le rêve de l’harmonie par le calcul”.
Un juriste met en garde contre la tentation des institutions de “trouver dans des représentations et figures mathématiques les clés ultimes de l’harmonie sociale”..
Une illustration de la gouvernance par les nombres, et du trésor de statistiques collecté et partagé pour aider à “piloter la chose publique” : tout cela me fascine, notamment le passage du micro d’un service comme une BU au macro des grands nombres, et la manière dont le sens des actions et des financements se dilue entre les deux.
Nuage de mots en forme d’€ fait à partir du texte de ce billet à l’aide du site Nuages de mots : https://www.nuagesdemots.fr/