Inviter l’art contemporain à la BUA

qu_il_plaise_informerL’initiative de mettre des galeries d’art contemporain au cœur des BU est venue d’une volonté délibérée et cohérente de Jean-Claude Brouillard, directeur de 1971 à 2002 et Olivier Tacheau, directeur de 2003 à 2012.

Contrairement aux deux histoires de collaboration précédentes avec la médecine préventive comme avec le service d’orientation et d’insertion professionnelle où la BU s’est contentée du “pouvoir de dire oui” pour faciliter des idées nées loin d’elle, le volet “Arts plastiques contemporains” de la politique culturelle de l’université d’Angers est d’abord né à la BUA avant d’être adopté en 2013 par la Direction de la Culture qui ne cesse, depuis, de lui donner légitimité, cohérence, visibilité et rayonnement.

1/ Une bonne école

Accueillir des galeries d’art en plein milieu d’une BU est une bonne école pour éviter le laisser-aller en matière visuelle. En effet, conclure des partenariats avec des institutions comme le FRAC, la Maison Européenne de la photographie ou les musées d’Angers veut dire traiter avec des professionnels qui tiennent à ce que les œuvres qu’ils prêtent soient exposées sur des murs nets, dans des espaces non encombrés, et que chaque exposition contribue à construire un univers visuel à part entière.

Depuis la mise en place d’une programmation régulière en 2008, confiée à une galeriste professionnelle, Lucie Plessis, employée en CDD puis CDI par la BU de 2008 à 2012 et à compter de 2012 par la Direction de la culture et des initiatives où elle est maintenant titularisée, la Galerie 5 a accueilli de 2008 à 2011 5 expositions par an, et avec le lancement de la Galerie Dityvon en 2011, 3 expositions à la Galerie 5 et 3 à la Galerie Dityvon, soit 6 expositions par an dans l’enceinte des BU (soit près de 70 expositions différentes en 10 ans).

Les albums Flickr de la BUA et le bandeau de BUApro montrent mieux que ne pourrait le faire un texte la diversité des propositions accueillies et ce qu’elles apportent au quotidien à l’atmosphère des deux bibliothèques.

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Pierre-Yves Cachard, promoteur à la très belle BU du Havre d’une politique culturelle ambitieuse et qualitative de 2008 à 2018, parle de l’importance de la persistance rétinienne créée par la présence d’œuvres d’art dans les espaces publics : inconsciemment, même si les expositions ne font pas l’objet d’une attention délibérée, elles participent de la perception du lieu et d’une acculturation d’un très large public à des codes trop souvent réservés à ceux déjà dotés par leur famille d’un certain capital culturel.

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Nous avons appris bien des choses à accueillir des expositions : en matière de signalétique sur le bon usage des lettrages collés, en lien avec des designers talentueux, en mise en forme d’affiches, en détournement d’usages, en découverte des potentialités d’Emmaüs pour le relooking de petits espaces, et en un mot comme en cent, en entraînement régulier à sortir de notre zone de confort, de nos habitudes, de nos routines. Accueillir l’autre dans ses différences, chercher des solutions, gérer de petites urgences : toutes ces choses qui ont fini par paraître “pas si difficiles” à nombre d’entre nous sont le fruit de l’entraînement régulier provoqué par le fait d’avoir un jour accueilli, tant bien que mal :

  • un lapin géant (mon préféré de tous les temps) | Triptyque 2008

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  • des murs tantôt bleus, rouges, noirs, aubergine, pailletés, dessinés ou blancs…
  • une montagne  de 4 m de haut faite de cartons de livraison peints à la bombe epoxy (une évacuation de la BU pour cause de vapeurs de peinture) | Eveil des sakuras, Collectif R
  • des tapis de feuilles bruissantes autour de photographies de fleurs mortes | Chorégraphies
  • un mur couvert de pétards explosifs (interdit à la dernière minute par l’ingénieur hygiène et sécurité)
  • un piano qui joue tout seul | Touching the Moon

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  • un bonzaï pendu tête en bas (il est mort),
  • des installations vidéos multiples avec leur caisse de 12 télécommandes toutes différentes | Video project 1 et 2,
  • un robot dessinateur capricieux |  Entropie de Yan Bernard
  • une femme à roulettes (volée dans l’aventure) et des pieds de cochon aux ongles vernis | Nanamorphoses

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et bien d’autres rencontres.

2/ Une source de tensions

La légitimité de la présence de l’art contemporain dans les espaces publics et la politique générale de la BUA n’est, aujourd’hui encore, pas acquise dans les esprits.

Côté budget

Olivier Tacheau employait en son temps l’idée que 1% du budget de la BU pouvait/devait être consacré à la politique culturelle, et cela a pu faire l’objet de débats au sein même de l’équipe de direction lorsque des arbitrages devaient être rendus. Même si le rattachement à la Direction de la Culture a permis de régler cette question de “concurrence” d’allocation des moyens au sein de la BU, il reste toujours délicat de défendre le principe d’offrir un accès direct à la création plastique contemporaine, réputée “difficile d’accès” et élitiste.

Côté pratique

Le montage d’une exposition crée du mouvement dans la BU : travaux de peinture, perçages, ponçages, passages… Pas sage tout ça et perçu comme une gêne par les collègues comme par les étudiants venus étudier au calme.

Nous n’avons pas trouvé la panacée, tous les trous, ponçage et rebouchages ne pouvant être faits hors des horaires publics dans des lieux ouverts de 8h30 à 20h ou 22h30. 

C’est aussi, lorsqu’il y a des installations vidéos, l’enfer des télécommandes, la contrainte journalière d’allumer et d’éteindre des installations et, jusqu’ici, peu de collègues s’investissent quotidiennement dans le fait de faire vivre les expositions dont l’allumage repose sur quelques-uns seulement (puissent-ils en être chaleureusement remerciés), avec les inévitables oublis d’allumage les samedis, pendant les vacances etc. révélateurs d’une légitimité sourdement contestée de ces missions et compétences dans l’espace de la BU.

Vernissages ou la ségrégation volontaire des étudiants

6 vernissages par an : dans un monde idéal, nous rêvions d’un temps de rencontre entre les étudiants et les créateurs invités autour d’un jus de fruit, d’un temps où se mélangeraient et rencontreraient en toute simplicité professionnels de l’université, artistes, enseignants, étudiants, politiques…

Il n’en est rien : si les vernissages permettent à l’université et à la bibliothèque une véritable ouverture vers d’autres institutions (CHU, qui accueille des résidences d’artistes, Artothèque, Musées d’Angers, FRAC, Festival Premiers Plans) les vernissages reste le lieu d’un entre soi pour “professionnels” qui ont un effet “repoussoir” pour les étudiants, quels que soient nos efforts pour les inviter à y passer. On y croise peu d’enseignants, peu de personnels de l’UA et même si l’arrivée d’un VP Culture a changé la donne, peu de politiques de l’université même lorsque l’adjoint à la culture de la ville fait le déplacement.

Notamment dans la très calme et très fréquentée BU Saint Serge, il est fréquent que les formulaires contacts portent la trace de mails rageurs “Ce n’est le rôle d’une BU – laissez nous travailler dans le calme – Il faut mieux prévenir pour que nous évitions de venir ce jour là ” et que l’accueil réponde des dizaines de fois à la question “quand est-ce que ça se termine qu’on revienne après”.

En termes de communication, nous poursuivons nos efforts pour identifier comment prévenir les utilisateurs habituels de la BU, sans s’excuser de déranger car nous n’avons pas honte d’offrir cette occasion de rencontres – mais en permettant néanmoins à chacun de ne pas être surpris et de prendre ses dispositions, s’il le souhaite, pour prévoir d’être ailleurs au moment des vernissages : actuellement, nous essayons de ritualiser un dispositif  de communication :

  • Programme annuel et dates fixées dès septembre
  • Affichage in situ la veille (sans doute trop discret) ,
  • annonce micro à la fermeture la veille et juste avant le vernissage,
  • pop-up Affluences la veille,
  • messages positifs Twitter et Facebook.

Cela ne suffit sans doute pas, une plainte récurrente étant “vous auriez pu prévenir !”…

Nous répondons bien sûr systématiquement aux plaintes, plus nombreuses encore lorsqu’il y a des musiciens ou des danseurs invités, en assumant notre choix : 3500 heures par an, les BU sont un lieu de travail, 35 h par an, elles sont une fenêtre vers d’autres manières d’apprendre et de découvrir le monde. Y croire ne suffit pas, et le gros enjeu d’aujourd’hui reste celui de la médiation.

3/ La difficile médiation

Grâce à l’enseignant Dominique Sagot-Duvauroux, spécialiste du marché de la photographie contemporaine et des collectionneurs, les expositions de la Galerie Dityvon sont toutes accompagnées, le jour du vernissage, d’une conférence in situ dans dans les espaces de la BU St Serge en lien avec l’exposition de photographies.

Conférence mai 68 avec D. Sagot

Etre un artiste photographe aujourd’hui (et en vivre), L’iconographie photographique de mai 68, Le marché de la photographie contemporaine, etc. Autant de thèmes traités avec proximité et dialogue… qui peinent pourtant, en dehors d’un public captif d’étudiants en beaux-art de l’UCO, à éveiller la curiosité du public de la BUA St Serge. Bref, les étudiants n’ont pas envie d’un “cours en plus” et les limites de la non-prescription et de la curiosité naturelle sont atteintes.

Roman Spilotros, stagiaire conservateur, a conduit plusieurs dizaines d’entretiens flash à l’automne 2017 sur la perception des Galeries dans les BU et mené un certain nombre d’observations confirmant l’intuition que les galeries sont mal comprises voir peu perçues par le public habituel. Voici la synthèse éclairante qu’il en a faite.

Nous ferons une mise à jour du billet si nous parvenons un jour à résoudre ces contradictions et à mieux permettre la rencontre entre créateurs et étudiants.

La présence d’un artiste angevin, comme Yan Bernard à l’occasion de l’exposition Entropie, à la Galerie 5 de septembre à novembre 2018, ouvre une piste très intéressante : Yan est resté longtemps dans les espaces pour régler son robot dessinateur, qui a souffert de plusieurs avaries lors de son installation. Actif, disponible, il a eu de très nombreuses interactions : nous n’avons pas eu la chance d’avoir un homologue de Roman susceptible de rendre compte par des observations et des entretiens de la qualité apportée par cette présence régulière, mais la rencontre “de hasard” m’a l’air, en toute subjectivité, de créer ce dont je rêve.

4/ De si belles images

Notre proximité de fait avec la Direction de la Culture et la confiance nouée nous rend partenaires de nombreuses propositions : chorégraphies silencieuses à St Serge par des élèves du Centre National de Danse Contemporaine, impromptus de l’orchestre national des Pays de la Loire, décor pour une partie du film de promotion d’une école de charleston angevine (les pieds en délire)…

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Autant d’occasions de créer des images décalées, joyeuses, vivantes, parfaitement en accord avec la stratégie de marque de l’université qui met l’accent sur l’audace et la surprise.

Ainsi, en termes de visibilité institutionnelle de la BUA au sein de l’université, tout le lancement de la stratégie de marque s’est appuyé sur des images réelles prises au sein des BU à l’occasion de ses collaborations fructueuses avec la DCI. Voici un bel exemple de la manière dont les BU peuvent “agir pour communiquer” et contribuer à changer leur image de marque traditionnelle, en s’appuyant sur des directions de la Culture qui leur apportent métier, expérience et contacts de qualité !

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Crédits images :

Echelle de sûreté, Olive Martin, Patrice Bernier, Qu’il vous plaise informer, exposition 2018, https://www.flickr.com/photos/47011911@N05/albums/72157667894757118/with/26644282657/ | pour tout usage, prévenez les artistes.

Voir Flickr, expositions liées autour de chaque image.