Former les doctorantes aux enjeux de la bibliométrie : un atelier de 3 heures en classe renversée

[billet rédigé au féminin neutre]

L’école doctorale propose à l’université d’Angers comme partout ailleurs des modules de formation destinés aux doctorantes. Nous y proposons depuis 3 ans un module consacré à la bibliométrie. Cette année, j’ai eu l’opportunité de l’animer avec Ronan Cardinal, responsable des archives ouvertes (portail HAL-UA) à la direction de la recherche de l’UA. En voici les objectifs et le déroulé.

  1. Qui ? Le public est constitué de 10 à 15 doctorantes, travaillant chacune dans des disciplines différentes et en première, voire en deuxième année de thèse. Pour la plupart, elles ne se connaissent pas. Leur connaissance et leur expérience de la bibliométrie sont très inégales. Le module de formation n’est pas obligatoire (il y a un grand catalogue dans lequel chacune peut piocher, afin de valider les 120 heures d’enseignement/conférences/autres obligatoires pour soutenir sa thèse) et ne fait pas l’objet d’une évaluation.

  2. Quoi ? L’objectif de l’atelier est de comprendre les enjeux de la bibliométrie et d’entrer dans ses cuisines. Ni moi ni mon comparse ne sommes des spécialistes du sujet : il ne s’agit pas de faire du public des experts, mais bien de comprendre de quoi on parle.

  3. Comment ? L’atelier est divisé en cinq parties de durée inégales.

    1. Le préambule : chacune se présente en donnant son prénom, sa discipline et son h-index (naan, je blague). 5 à 10 mn.

    2. Activité introductive : par deux, de préférence dans des disciplines distinctes. 20 mn de travail à deux puis 20 mn de restitution collective de 20 mn afin de répondre aux questions suivantes: “Pour vous et dans vos disciplines respectives :

      1. une bonne autrice, c’est…

      2. Un bon article, c’est…

      3. Une bonne université, c’est…”

    Il peut sembler un peu étrange de partir bille en tête dans une activité d’évaluation, impliquant un jugement. Mais ce bref atelier a le mérite de donner un aperçu de toute la richesse et la finesse de la perception des participantes de ce qui “fait” la qualité d’une chercheuse, d’un article, d’une université. Les éléments de réponse sont très variés : qualité des sources, qualité rédactionnelle, richesse du terrain… (pour les articles) ; qualité de l’accompagnement pédagogique, de l’insertion professionnelle… (pour les universités) ; probité, rigueur, capacité à travailler en équipe… (pour les autrices).

    Car – et c’est très intéressant – presque personne ne met en avant à ce stade de l’atelier des données chiffrées. Or, la réponse institutionnelle apportée à ces questions, elle est avant tout quantitative : elle passe par des indicateurs chiffrés et des classements.

    1. Séquence magistrale, 20 mn : rapide historique sur la création et l’essor de la bibliométrie. Nous nous appuyons sur un diaporama qui reprend de manière éhontés les premiers chapitres du livre d’Y. Gingras, Les dérives de l’évaluation de la recherche (2014) [note : je n’étais pas hyper satisfait du diapo qui, outre l’aspect historique, insistait sur les biais disciplinaires des indicateurs bibliométriques employés. Sur le coup cela m’a semblé une bonne idée, mais le diapo était un peu trop long et débordait en outre sur la séquence suivante]. 

    2. Séquence de remue-méninge collective (5 mn  +10 à 15 mn). Après une phase de 5 mn individuelle, chacune  apporte des réponses à la question suivante : “qu’est-ce qui, dans l’ESR, ne fait pas l’objet d’une mesure et d’une évaluation ?”. Les réponses sont là encore très riches : le poids des charges administratives ? Le nombre d’articles déposés en open access ? La part des femmes dans les postes de direction ? Les activités de vulgarisation ? Ce qui est intéressant, c’est que tout devient, progressivement, commensurable, sous l’effet des politiques de la recherche successives…

    3. Soulever le couvercle de la bibliométrie. Consigne : 5 mn ; on passe en classe renversée. Quatre groupe, quatre thèmes :

      1. L’impact factor

      2. Le H Index

      3. Altmetrics

      4. Deux exemples de classement académique : Shanghai et Leiden.

    Chaque groupe a accès à une bibliographie en ligne, produite sur Zotero. L’objectif est de produire, sur paperboard, un poster synthétique  donnant, pour chaque indicateur : 1/l’historique 2/le principe de fonctionnement 3/ les limites.

    Préparation : 1 h.

    Restitution : 10 mn par groupe.

    Les groupes travaillent en autonomie. La qualité est presque toujours au rendez-vous et les échanges sont souvent très riches. Ils font ressortir, outre les limites des outils, toutes les différences entre les disciplines. Tout oppose par exemple la génétique aux études littéraires… Dans la première par exemple, la thèse sur travaux est presque toujours la norme. Et gare à la doctorante qui publierait un article dans une revue à faible IF : elle risquerait de ne pouvoir soutenir. De là à imaginer un score minimale d’IF cumulé pour la thèse, il n’y a qu’un pas que certaines disciplines s’apprêtent à franchir.