Sans archives, l’historien ne peut pas travailler. Les premiers cas d’adoption internationale en France étant apparus au cours des années 1960, ce phénomène n’a pas pu être étudié par les historiens avant les années 2000 en raison de la rareté des sources. Yves Denéchère, historien au CERHIO, a été le premier à se lancer dans cette étude. Il a publié « Des enfants venus de loin – Histoire de l’adoption internationale en France » en 2011.
Beaucoup de livres avaient été écrits sur l’adoption d’enfants étrangers sous l’angle sociologique, juridique mais jamais historique. Yves Denéchère a voulu reconstituer l’Histoire dans laquelle les mémoires familiales peuvent se retrouver. Il a consulté des archives de diverses administrations, du ministère des Affaires étrangères ou encore d’associations. Mais l’adoption étant avant tout une aventure humaine, il a voulu « mettre un peu de chair » dans tous ces documents administratifs, recueillant aussi les témoignages d’adoptants et d’adoptés.
La restriction de l’adoption internationale
Premier constat des recherches menées par l’historien : c’est en raison de la réduction du nombre d’enfants adoptables en France dans les années 1980 que les Français se sont tournés vers l’étranger. À ses débuts, l’adoption internationale était surtout justifiée pour sortir les enfants de la guerre (Corée, Viêtnam) et de la misère. Aujourd’hui, la distinction est bien établie entre l’humanitaire et l’adoption internationale.
La procédure d’adoption est devenue longue et compliquée. « Les histoires d’adoption sont très différentes, mais tous les adoptants s’accordent à dire que la procédure équivaut à un parcours du combattant », note Yves Denéchère. Alors que 30 000 agréments sont actuellement valides en France, 2 800 enfants étrangers ont été adoptés en 2011 et 800 enfants français. La France fait partie des pays européens qui a le plus recours à l’adoption avec l’Espagne et l’Italie. Elle figure en bonne place au niveau mondial juste derrière les USA. leader en matière d’adoption.
La Convention du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale a mis en place des règles strictes et a mis fin à un certain nombre d’abus et de trafics d’enfants en 1970-1980. Juridiquement, l’adoption existe pour donner une famille à un enfant qui n’en a pas et non l’inverse. La convention de la Haye de 1993 précise bien que l’adoption internationale ne peut avoir lieu que si « une famille appropriée ne peut être trouvée dans son État d’origine ». Les enfants étrangers adoptables sont moins nombreux depuis l’entrée en vigueur de cette norme internationale. Et particulièrement les nourrissons, pour qui les États d’origine trouvent facilement des familles sur place prêtes à les accueillir. Le « profil » des enfants étrangers adoptables a donc nettement changé. Les enfants plus âgés, les fratries ou encore les enfants handicapés sont davantage orientés vers l’adoption internationale.
Les États ont la main sur les berceaux
Les pays d’adoption « historiques » entendent davantage contrôler les adoptions. Yves Denéchère, spécialiste de l’histoire des relations internationales, observe que les opinions publiques refusent de laisser partir leurs enfants. Elles perçoivent ces tentatives comme du pillage de la richesse humaine de leur pays. Les gouvernements font de la question de l’adoption un instrument géopolitique, dépendant de leurs liens diplomatiques. La Chine ouvre et ferme ses portes en fonction de considérations idéologiques et des affinités politiques du moment. « Les Français adoptent dans 60 pays d’origine différents », dénombre Yves Denéchère. Beaucoup d’enfants originaires de pays asiatiques ont été adoptés dans les années 1970, puis les enfants d’Amérique du Sud en 1980 et désormais les pays africains. L’Éthiopie, les pays d’Europe de l’est, la Chine, la Russie et la Colombie figurent parmi les pays qui proposent le plus d’enfants aux français.
Les apports de cette recherche et l’expertise d’Yves Denéchère sont reconnus puisqu’il vient d’être nommé par décret interministériel membre du Conseil Supérieur de l’Adoption en tant que personnalité qualifiée. Le CSA émet des avis et formule toutes propositions relatives à l’adoption. Il est obligatoirement consulté sur l’évolution législative et réglementaire en ce domaine.
Thérèse Rosset