Pour des négociations collectives des licences nationales

<MàJ du 14 juin 2018>une version améliorée de ce texte a été publié dans le BBF – Contributions</MàJ>

Juste un propos liminaire : il n’est pas question ici de personnes, mais de manières et d’habitudes de travailler. Gardons cela en tête. Merci.

J’ai récemment exprimé quelques interrogations sur l’accord de principe entre Elsevier et Couperin.

Au-delà des maintenant quasi traditionnelles remarques sur la teneur d’une Licence Nationale qui, si elle était signée, nous lierait à nouveau pour quatre ans avec Elsevier au sein d’un cadre qu’on pressent une fois de plus discutable (euphémisme), j’ai évoqué dans ledit billet, vers la fin, l’idée de négociations de licences nationales qui pourrait être transparentes, ouvertes et collaboratives (soit tout le contraire de ce qui se passe actuellement), sans préciser plus avant l’idée. C’est le but des lignes qui suivent.

Rappelons d’abord rapidement le fonctionnement actuel des négociations Couperin : sur chaque ressource négociée (vous en trouverez la liste précise et détaillée ici), plusieurs collègues courageux/courageuses se chargent, pour le consortium, de la négociation avec le fournisseur. Les péripéties et le détail des avancées de ladite négociation sont en général peu ou pas diffusées, en tous cas pas publiquement, jusqu’à ce que l’on aboutisse un beau matin à une annonce indiquant que l’affaire est conclue, et sous quelles conditions. De temps en temps, en cas de négociations embourbées, quelques éléments plus précis sont diffusés, indiquant que ça coince ici ou là. Et puis c’est tout. En gros, on reste assez largement dans du Top ⇨ Down.

Cette pratique me semble problématique à plus d’un titre :

  • elle abandonne en frontal une toute petite poignée isolée de négociateurs/négociatrices supportant seule le poids de la discussion ;
  • la loi du silence pèse sur le contenu des négociations ;
  • la communauté (les bibliothèques, mais aussi les chercheurs et les établissements) n’est pas vraiment amenée à se prononcer publiquement pour ou contre tel ou tel point/condition et/ou ne discute pas le détail précis des points/conditions.

Face à ces pratiques que je trouve personnellement totalement dépassées, je ne peux m’empêcher de penser à des pratiques et outils de décision que l’on voit émerger, engageant une communauté dans des processus de discussions et de décisions réellement collaboratifs et partagés.

En l’occurrence, la démarche pourrait être la suivante :

  1. un groupe de collègues est chargé de la négociation (ce point ne change pas) ;
  2. une première mouture de texte décrivant telle ou telle licence est rédigée et devient la proposition initiale soumise à la communauté durant un temps limité via un outil en ligne ouvert publiquement ;
  3. des commentaires, amendements, suggestions, sont apportés à cette mouture et chaque commentaire, amendement, suggestion, peut faire l’objet d’un vote pour ou contre, entendre qu’on peut le/la pousser en avant ou le/la rétrograder, de manière à ce que les propositions les plus intéressantes pour la communauté émergent ;
  4. à la fin de la période, le groupe négociant fait la synthèse des propositions et en tire sa feuille de route pour un premier round de négociations avec le fournisseur ;
  5. de retour de cette première négociation avec le fournisseur, le groupe négociant dispose d’une nouvelle mouture à soumettre à la communauté ;
  6. GOTO 3.

jusqu’à épuisement des ajouts/modifications/amendements et/ou l’obtention d’un résultat de négociation qui convienne à l’ensemble de la communauté.

Évidemment, cette manière de travailler serait réservée aux licences nationales (par exemple, en mettant une barre à X millions au-delà de laquelle toute négociation doit passer par cette méthode).

Je vois plusieurs avantages à une telle méthode, qui, il me semble :

  • éviterait de passer à côté d’un loup caché dans un accord par le fournisseur (on repère mieux les loups à plusieurs) ;
  • permettrait de s’assurer au fil de l’eau de l’adhésion permanente de la communauté concernée par la négociation ;
  • conforterait la position de l’équipe négociante, qui pourrait s’appuyer sur une base arrière visible et multiple s’étant exprimée publiquement ;
  • embarquerait largement ladite base en la responsabilisant ;
  • serait conforme aux exigences de transparence actuelle ;
  • <update du 05 mai 2019> serait de nature à clarifier enfin les positions des uns et des autres</update du 05 mai 2019> ;
  • permettrait de sortir des négociations à la papa, où le fournisseur nous joue le couplet du ne parlez surtout pas des conditions hyper privilégiées que je suis en train de vous consentir alors que dans les faits, il vous enfume comme jamais (B. A. BA du commercial, n’importe quel vendeur de voiture vous le confirmera, c’est le chapitre n°1 du Manuel du parfait petit arnaqueur).

Et je réponds de suite aux arguments du type c’est trop lourd à mettre en place, nous n’aurons jamais le temps de le faire en vous renvoyant aux chiffres de la consultation qui a précédé l’écriture de la Loi pour une République Numérique (spoiler : du 26 septembre 2015 au 18 octobre 2015, 8490 contributions 147549 votes, 21409 participants — oui, c’est pas mal en si peu de temps sur un sujet aussi aride).

Franchement, je pense qu’un tel changement de nos pratiques n’est ni un problème d’outil (les outils du type “consultation collaborative” ne manquent pas), ni un problème de temps (cf. les chiffres ci-dessus, obtenus en moins d’un mois) : c’est juste un choix politique sur la méthode employée pour négocier des licences à plusieurs dizaines de millions d’euros d’argent public, négociations historiquement menées en utilisant la méthode dite de sous le manteau et qu’il est certainement temps de dépoussiérer.

Comme toujours, les commentaires sont ouverts.

 

Des sites littéraires, de l’ISSN et du catalogue des bibliothèques

(Petit billet qui n’a strictement rien à voir avec mes activités
au lab’UA — bib un jour, bib toujours)

Or donc : je suis le tenancier de Face Écran, un site littéraire à ISSN (oui madame, et même que mon ISSN, donc, c’est 2428-7709). Et hier, alors que j’étais dans un état semi-somnolent, il me vient une question : est-ce que les bibliothécaires cataloguent/signalent ce type de publications ?

L’interrogation peut paraître étrange, mais il faut que les non-bibliothécaires (soit 99,99% de la population mondiale) sachent que les bibliothécaires aiment cataloguer et signaler, tout cataloguer et signaler, et par là, ordonner le monde, y mettre de l’ordre. Le catalogage, c’est une des grosses affaires du métier et donc, finalement, ma question n’est pas si absurde que cela peut paraître.

Je pose donc la question ici (après l’avoir posée sur mes comptes sociaux mais bon, ici, c’est bien aussi) : toi, collègue bibliothécaire, est-ce que tu catalogues/signales les sites/blogs littéraires avec ISSN ? Si oui, pourquoi, et à quoi cela te sert-il ? Si non, même question. Les commentaires te sont ouverts, tu peux te lâcher : témoignages, avis, welcome.

MàJ : un échange a déjà eu lieu sur twitter entre bibi et @Amyviolet, échange auquel @vocivelo a répondu ici — je vous colle les Q/R ci-dessous, pour les feignasses (je vous connais)

  • vous cataloguez les blogs littéraires à ISSN ?
    Si le blog a reçu un ISSN il est déjà catalogué. La question est plutôt : faut-il le signaler ? au SUDOC => créer un exemplaire ABES a minima pour rendre visible la ressource ou créer un exemplaire pour mon scd pour récupérer la notice dans mon sigb.
    Pourquoi récupérer la notice ? question de politique documentaire => décision de l’acquéreur.
  • D’autre part je doute de la pertinence de cataloguer le web=trop mouvant
    Tout comme le web, les périodiques papier sont très mouvants. Ils ont parfois des durées de vie de quelques semaines ou quelques mois. Cela n’empêche pas de les cataloguer et leur attribuer un ISSN
  • C’est pas celle-la que je prioiserais si je menais un programme de médiation à la littérature sur le web
    ça prend peu de temps d’exemplariser au SUDOC
  • L’intérêt de cataloguer les revues en ligne à ISSN
    La question est plutôt faut-il cataloguer et demander  un ISSN pour les revues en ligne ? => oui

PS1 : je n’ai pas vraiment d’avis sur la question. Cataloguer/signaler ces sites, c’est quelque part cataloguer le web et bon… Par contre, on pourrait considérer que cataloguer/signaler ces sites peut faire partie d’une politique générale de certaines bibliothèques autour du web et de la littérature en train de s’écrire et dans ce cas, ça aurait un intérêt. Vaste débat, n’est-il pas ?

PS : la BNF, elle, le fait, comme en témoigne cette réponse à la question qui m’occupe ici

Objectif Lab

(MàJ janvier 2015)
Contrairement à ce qui est annoncé au bas de ce billet, je passe sur le projet labUA à 100% à compter de janvier 2015 et n’assume plus à présent la responsabilité de la section Bibnum)

———————–

Non, je ne suis pas mort, mais l’actualité a été un peu molle ces derniers temps et puis, je travaille avec d’autres sur un projet qui commence à bien prendre forme et dont maintenant, du coup, je peux parler publiquement.

Or donc : nous sommes actuellement en train de monter une structure dont le nom de code temporaire, labUA, dit assez de quoi il retourne (j’y reviens), et qui doit officiellement démarrer au 01 janvier 2015.

Ladite structure doit rassembler à partir de cette date des personnels de la Bibnum BUA (2 personnes) et des personnels (5 personnes) issus de la DDN UA (la Direction du Développement Numérique, qui s’appelle sans doute DSI chez vous).

Ce labUA a vocation, globalement et très rapidement, à traiter de thématiques numériques, principalement e-pédagogiques mais pas que, le volet recherche devant à mes yeux en être une part aussi, dans des logiques (je vous colle ça en vrac) :

  • de défrichage et repérage, puis tests d’outils utiles qu’on peut ensuite conseiller aux personnels UA en les accompagnant dans leur déploiement ;
  • de travail sur les espaces d’enseignement (c’est quoi une salle de classe en 2014 ? quels outils, quels matériels, quelles occupations des espaces ?) ;
  • de travail sur les méthodes (enseigner avec twitter, au hasard) ;
  • d’accompagnement des enseignants et chercheurs dans leur évolution vers le numérique ;

Vaste programme, qui nous occupe déjà pas mal (le montage d’une telle structure supposant de convaincre en local et donc d’élaborer un modèle qui puisse s’avérer convaincant) ; et nous occupera encore plus à partir de janvier.

On remarquera que le labUA va nous permettre de prendre à bras le corps des problématiques d’innovation numérique qui débordent des bibliothèques où, je l’ai déjà dit et j’en reste persuadé, les moyens nécessaires à répondre au numérique comme à ses impacts ne sont toujours pas présents.

Du point de vue administratif, les personnels qui sont entrés dans l’aventure sont mis à disposition du projet le temps de l’expérimentation, prévue pour durer deux années (le labUA est lui-même un test, une mise en abyme comme je les aime). Un bilan sera alors fait, dont j’espère qu’il sera plus que positif et aboutira à une consolidation et une extension locale du concept.

Pour ma part, je demeure dans le même temps responsable de la section Bibnum BUA. Je garde donc un pied dans le champ des bibliothèques, la question étant tout de même posée, en filigrane et à terme de la place d’une section Bibnum dans la bibliothèque (j’imagine que ce questionnement va faire écho chez pas mal des collègues Bibnum quelque part, qui liront ceci).

Nous devrions également recruter à partir de la mi-novembre une personne qui viendrait prendre en charge mes tâches quotidiennes (faire le café, acheter des bonbons, inventer des blagues toutes pourries) hors pilotage de la Bibnum.

Voilà, c’est tout pour le moment. Nous communiquerons plus largement et finement sur le sujet dans les mois qui viennent, à mesure que les choses se décanteront. En attendant, soyez sages et préparez votre CV, pour les personnes qui pourraient correspondre au profil que j’ai esquissé ci-dessus.

Le fils d’Internet

Le 11 janvier 2013, à New York, Aaron Swartz mettait fin à ses jours. Il avait 26 ans.

Aaron Swartz était connu pour avoir, entre autres (je ne fais pas la liste, elle est proprement incroyable), participé à l’âge de 14 ans (vous avez bien lu) à l’élaboration du format RSS ; et à peine plus vieux, à avoir également participé aux premiers pas, côté technique, des Creative Commons. Il était également un très actif militant de l’Internet et des libertés individuelles (il a dans ce cadre participé largement au blocage du projet de lois SOPA).

Au moment de sa mort, Aaron Swartz était poursuivi par la justice américaine pour avoir téléchargé 4,8 millions d’articles scientifiques issus de la base de données JSTOR, et nombreuses sont les personnes qui lient ces poursuites et ce suicide dramatique.

Un documentaire américain, The Internet’s Own Boy, est sorti tout récemment sur la vie de ce garçon étonnant et ce documentaire est à présent disponible en version sous-titrée française (1).

Je vous invite vraiment (ce sont des sortes de devoirs de vacances) à regarder ce film (2) : au delà du parcours tragique et émouvant de Aaron Swartz, ce documentaire montre très bien quels sont les débats et enjeux actuels autour d’Internet, de nos droits fondamentaux, des usages, des questions de l’accès au savoir pour tous, en soulignant comment Internet interpelle tout le “vieux monde”.

Si vous êtes un/e professionnel de la documentation et des bibliothèques, vous ne verrez plus votre travail de la même manière après ce film, j’en prends le pari.

(1) les sous-titres ont été traduits à partir de la très intéressante plateforme Amara par @symac@btreguier et moi-même, qui remercie les deux premiers. Le documentaire avec ses sous-titres est disponible via torrent ici (restez en seed, merci — je rappelle qu’un torrent peut être parfaitement légal, la preuve). Le fichier srt seul est ici. Ce film est diffusé sous CC BY-NC-SA 3.0 et ses sous-titres en français le sont également.

(2) si vous visionnez via youtube, pensez à activer les sous-titres et éventuellement à régler leur aspect via l’icône ad hoc en bas à droite de la fenêtre vidéo youtube.

Concours (de circonstance)

Bon, d’accord, le titre est très moyen, mais je n’ai pas réussi à m’en empêcher — la honte soit sur moi.
Assez ri, revenons à ceci où, pour les fainéants de la souris, je protestais contre l’endogamie nuisible que portent les sujets du concours de Conservateur. L’été étant passé et la bise venant, j’ai essayé de formaliser ce que pourrait être une évolution de l’actuel concours. Et donc, ci-dessous, quelques réflexions/pistes en désordre.

Une refonte totale de l’actuelle concours, avec disparition de la ridicule dissertation, semble difficile : un concours de recrutement de cadres de la fonction publique se doit apparemment de proposer cette fourche caudine et y toucher, c’est toucher aux fondements de la fonction publique, aux fondements de la République, aux fondations de l’Univers tout entier. Ok, essayons autre chose d’autant qu’après tout, une part des recrutés peut encore être composée aussi de forts en thèmes historiens, philosophes et littéraires (il faut de tout pour faire une bibliothèque).

Cette autre chose pourrait être un concours type troisième voie (la seconde, c’est le concours interne dont je suis issu, ce qui en dit assez les dangers) légèrement différent des deux premières voies, avec par exemple, à l’admissibilité, le maintien de l’écrit de synthèse (ça ne mange pas de pain d’être synthétique dans la vie, et cet écrit permet de vérifier un minimum la maîtrise de la langue écrite — il ne s’agirait pas de laisser la plèbe envahir les golfs) ; et un second volet d’admissibilité sur dossier (CV des candidats, réalisations pro, etc) avec un niveau minimum à bac +3 pour rester entre gens de bonne naissance (toujours dans le souci de protéger les golfs).

Pour l’oral, on garde une bonne vieille épreuve de langue (ça ne mange pas de pain non plus) et un “grand oral” qui porte non pas tant sur la culture générale classique du candidat (du genre, qui a écrit la Septième de Beethoven ou que pensez-vous de la poésie iranienne du 3ème siècle) que sur son parcours personnel et professionnel, et ses motivations à devenir un cadre des bibliothèques.

Il s’agirait dans cet oral, pour les jurys, de repérer les personnes aptes à devenir de bons cadres techniques des bibliothèques car, pour la Xième fois, nous avons besoin de cadres techniques, pas de purs esprits scientifiques déconnectés du réel.

Ce qui précède pourrait aider à changer un peu la composition des populations de conservateurs, surtout si on publicise ce concours vers des viviers autres que nos viviers traditionnels de recrutement (je pense évidemment aux informaticiens et autres ingénieurs en ce qu’on veut, mais en fait, à tout le monde — le but est ici d’ouvrir largement le recrutement dans toutes les directions)

En effet collatéral d’un concours troisième voie de ce type : notre sainte mère l’ENSSIB changerait de nom (entre autres réformes sur son enseignement mais c’est une autre longue histoire) et deviendrait l’ENSCTSB (l’Ecole Nationale Supérieure des Cadres Techniques et Scientifiques des Bibliothèques), manière de rappeler au passage quels sont nos besoins réels de formation et ce que doit être un conservateur.

Les commentaires attendent vos avis et suggestions sur mes vagues idées (à affiner) et vos propositions (elles seront certainement intéressantes) pour une réforme réalisable.

PS : je ne parle pas ici du système des promus, qui est une quatrième voie de fait. Mais je pense qu’il est temps aussi que la promotion bibliothécaire > conservateur cesse d’être ce qu’elle est à l’évidence de manière très générale pour devenir enfin ce qu’elle devrait être, le moyen de faire progresser rapidement et sans concours supplémentaire des collègues bibliothécaires qui en veulent et font du bon boulot. En bref, la promotion doit devenir une promotion au mérite et aux potentialités exprimées, pas un cadeau de départ à la retraite, ce qu’elle est quand même souvent (no offense).

Diverses considérations en vrac qui aboutiront à un billet long et bordélique mais pas si absurde que ça (ou pas)

Le titre étant assez clair sur la manière dont ce billet va être structuré, je commence de suite. Petite précision sur cette affaire : à cette heure, dimanche 27 janvier 2013, 10h56, silence assourdissant de la Bnf malgré les nombreuses réactions un peu partout y compris (ce qui me réjouit un peu) de la part de la plupart des assos professionnelles qui semblent enfin se réveiller d’un long coma intellectuel. Cela dit, la question du bisounoursfight reste entièrement posée parce qu’elle dépasse ce simple épisode.

Du bisounoursfight

#bisounoursfight est un hashtag apparu suite à ce billet appelant à la désobéissance bibliothéconomique au cas où. En résumé, le bisounoursfight est à mes yeux la réponse la plus ultime et cinglante que nous pourrions apporter aux vautours qui sont en train de privatiser un peu partout (on le verra plus bas) les biens communs, et cette réponse consisterait à récupérer et mettre en ligne librement et gratuitement les contenus privatisés dont il est question ici.

Techniquement, nous (les bibliothécaires) n’aurions pas vraiment de difficultés à réaliser cela : nous sommes au bon endroit pour ouvrir certaines vannes/portes dérobées ou utiliser certains outils proches de votre aspirateur domestique afin de récupérer tout ou partie des contenus (quand ils ne sont pas déjà dans nos locaux, sur des disques durs, du fait de l’achat d’archives) que les vautours se sont appropriés pour nous les revendre. Partant de là, il ne serait vraiment pas compliqué de rediffuser ces contenus qui nous appartiennent, à nous, nous tous.

De ce qui est juste

Techniquement (enfin, juridiquement) parlant, le coup de l’aspirateur ou celui de la porte dérobée dont je viens de parler serait illégal : les licences que nous (je parle des Bu) signons avec nos fournisseurs ne nous autorisent à diffuser les contenus acquis qu’au sein de notre communauté universitaire, soit les personnels et étudiants de notre structure.

Moralement et éthiquement parlant, il me semble par contre que ce serait juste. C’est une question qui vaut la peine d’être posée et que vous devriez vous poser. Pour ce qui me concerne, à titre personnel, j’ai ma réponse depuis longtemps.

De la prudence

En discutant avec plusieurs personnes sur mon idée d’engagement public pour des bibliothécaires à procéder si cela devenait nécessaire à des libérations de contenus, j’ai compris que je risquais de faire courir à ces collègues un risque important (les vautours blessés sont très méchants et n’hésitent devant rien).

Je pense à présent que la désobéissance bibliothéconomique, si elle doit se produire, doit se faire collectivement ET anonymement par simple prudence élémentaire — il y a déjà eu assez de dégâts irréparables.

Des malins

Je suis régulièrement épaté de la malignité des éditeurs scientifiques commerciaux qui ont réussi à mettre en place des workflows parfaitement rodés aboutissant à ce que des chercheurs produisent des contenus (articles) qu’ils remettent gratuitement (la majorité des auteurs d’articles scientifiques ne touchent pas un centime de droit d’auteur pour leur production) à des éditeurs qui les revendent très cher aux institutions qui financent lesdits chercheurs. Je trouve ça vraiment très fort.

Des AO

Les Archives ouvertes sont une réponse évidente aux malins et à leurs aspirateurs du savoir qui nous dépouillent des biens communs (oui, pour moi, l’article produit par un chercheur payé par de l’argent public est un bien commun, au même titre qu’un manuscrit du 17ème scanné) pour mieux nous les revendre.

Mais les Archives ouvertes ne prennent pas vraiment, et surtout pas en France, pour partie, à cause de notre inertie (comparativement, un certain nombre des interventions récemment visibles lors des journées Couperin sur les AO étaient à ce titre très parlantes, sans parler du discours ministériel indigent là où tout le monde prétendait que des annonces incroyables allaient êtres faites — mais passons), et par ailleurs, parce que le truc le plus fort est que les vautours ont réussi à nous faire intérioriser l’idée qu’il n’y a pas d’autres alternatives que le système des vautours – et ça, c’est très très fort.

Du système

Oui, je suis en train de glisser de la problématique des contenus du domaine public en passe d’être privatisés vers celle plus générale des contenus produits dans le cadre de la recherche scientifique et qui sont eux ‘siphonnés’ à la source puis commercialisés par les vautours.

Je glisse parce que je pense qu’il y a des similitudes :

  • tout ça est financé par de l’argent public, à tous les niveaux ;
  • tout cela rapporte de l’argent à des sociétés privées qui, sous couvert de diffusion de la science, n’ont plus que des visées de gains financiers ;

Surtout, comme je le disais hier (dans un autre cadre, à propos d’autres dérives, mais cela est valable ici aussi), ce “système fonctionne parce que nous le laissons fonctionner en le faisant fonctionner”

De la conclusion du jour

La conclusion est simple : il n’appartient qu’à nous, collectivement, autour des problématiques de difusion des biens communs issus de la recherche (articles) ou qui servent à la recherche (manuscrits par exemple), de changer les règles, par tous les moyens, en commençant évidemment par les moyens juridiques et politiques, mais aussi, s’il le faut finalement, par des actions alternatives concrètes (voir plus haut, l’idée de #bisounousfight)

Et ce nous, c’est toi.

PS : l’idée du coup de l’aspirateur ou de la porte dérobée marcherait aussi pour la partie vivante des contenus que les fournisseurs de documentation électronique privatisent de fait. Nous ne nous en apercevons pas, mais nous avons tous les éléments en main pour arrêter de nous faire tondre.

PS2 : il a déjà été question ou tenté dans les Bu de boycotter les fournisseurs qui nous escroquaient trop manifestement, en cessant les abonnements à leurs plate-formes. Évidemment, cela n’a jamais marché parce que cela suppose que l’on coupe les accès des chercheurs à la littérature scientifique dont ils ont besoin, ce qui n’est pas tenable. Par contre, si ces contenus ont été auparavant aspirés puis libérés, on peut couper les abonnements, les contenus sont toujours disponibles. Je me demande pourquoi personne n’évoque jamais cette piste.

Le jour où les bisounours mordront les vautours

<MàJ du 20 janvier, 20:12> La position des associations pro et acteurs concernés par cette histoire BNF est attendue avec impatience. Elle sera évidemment décisive, en particulier concernant la question de l’anonymat des “libérateurs” que j’évoque ici. Tout le monde attend. Soyez prudents. </MàJ>

Contexte #1

Un mouvement “souterrain” de privatisation des biens communs par des sociétés marchandes, mouvement dont une nouvelle manifestation vient de se produire avec la signature par la BNF d’un accord livrant une masse considérable de documents à des firmes privées très loin d’avoir des visées philanthropiques ;

Contexte #2
Le suicide d’Aaron Swartz, que je ne peux m’empêcher de lier au procès en cours contre lui à propos de l’affaire Jstor (même si évidemment, cela n’explique pas tout) ;

Conviction #1
Toutes les discussions du monde, les signatures de pétition, les tables rondes, n’arrêteront pas ces firmes ;

Conviction #2
Tant que les bibliothèques se comporteront comme des bisounours, les vautours les mangeront ;

Conviction #3
C’est le groupe qui fait la force (ou “on ne pourra pas amener tout le monde à mettre fin à ses jours” ou “tu ne peux pas arrêter les nuages avec un filet à papillons”)

Proposition
Il est temps pour nous de mettre en place une sorte d’équilibre de la terreur qui repose sur un principe simple : un certain nombre de bibliothécaires (nombre suffisant pour rendre toute poursuite trop compliquée/coûteuse) s’engage à libérer (i.e. diffuser sur le net, via torrent par exemple, ou tout autre moyen technique) tout document issu du domaine public qui aurait été privatisé et qui aurait été acquis par l’institution dans laquelle le bibliothécaire travaille ; et le cas échéant, ces bibliothécaires mettent cette menace à exécution collectivement.

Conséquence #1
Le marché devient de fait beaucoup moins intéressant pour ces firmes, qui savent qu’elles s’engagent sur un terrain miné sur lequel elles risquent d’avoir à se battre devant la justice, autour de questions sur lesquelles leur image sera ternie (et les vautours n’aiment pas ça, les vautours préfèrent passer pour de blanches colombes), et dans des procès qui finiront par leur coûter de l’argent, surtout s’il y a plusieurs “libérateurs” à poursuivre (les vautours n’aiment pas dépenser leur argent, les vautours sont des rapaces) ;

Conséquence #2
Le rapport de forces s’inverse, et on peut enfin arrêter de se faire allègrement plumer en pleurant en plus parce que les vautours sont vraiment trop trop méchants ;

Conséquence #3
On va un peu s’amuser, ça nous changera.

Cela vous plaît, comme idée, j’en suis certain. Non ?

Le home de l’écrivain

Billet en trois points – merci à ceux du fond de lâcher le radiateur et de suivre un peu.

1. Si on suit un peu ce qui se passe dans le milieu littéraire contemporain, on voit émerger des “nouvelles” pratiques d’écriture dans lesquelles l’atelier de l’auteur est en ligne, et ses manuscrits, écrits directement sur le web par le biais de sites dédiés : ici, le manuscrit, c’est le site de l’auteur, tout simplement.

Une des problématiques posées par ces pratiques émergentes est assez triviale, du côté auteur : c’est celle de l’hébergement du site-atelier, hébergement qui :

  • a un coût ;
  • suppose un minimum de compétences techniques ;
  • risque d’être mis à mal à la disparition de l’auteur (les hébergeurs ne sont pas des sociétés philanthropiques : quand vous cessez de payer l’hébergement, cet hébergement s’arrête, et les sites hébergés disparaissent, tout simplement).

2. La BUA recueille parmi ses fonds spécialisés des archives littéraires et parfois, dans ces fonds, des manuscrits (je pense à ceux de Bazin). Ces archives sont principalement des archives papier. Si on a bien lu le point 1., dans quelques années, nous (et les institutions qui recueillent des archives de même type) ne pourrons plus recueillir de manuscrits : il n’y en aura plus sous la forme papier qui prédominait jusque là.

3. Et alors ? Voilà l’idée.

Est-ce qu’on ne pourrait pas imaginer que des Bu (et donc des Universités) mettent en place avec des écrivains des conventions d’hébergement et de dépôt. Cela fonctionnerait comme suit, après signature de la convention :

  • L’université met à disposition de l’écrivain un hébergement web et des outils web et une aide technique si nécessaire, le tout étant destiné à ce que l’écrivain soit débarrassé de toute contingence technique sur ses outils d’écriture web ;
  • l’écrivain utilise cet hébergement pour écrire et diffuser ses textes, avec autant que possible des outils de versionning qui permettent de suivre le chemin de l’écriture ;
  • quand l’auteur disparaît, le site et les productions qui y sont déposées restent en ligne ad vitam aeternam (au minimum) ;
  • bien évidemment, les textes déposés sur le site sont diffusés sous des licences type CC afin d’être lisibles gratuitement par le plus grand nombre ;
  • pour les versions de ces textes publiées via des éditeurs commerciaux, le modèle des ayant-droits (dont on peut espérer qu’il se réformera bientôt, mais c’est un autre débat) reste valide : ces derniers (l’auteur et donc ses ayants-droits) gardent leurs prérogatives.

On verrait ainsi émerger des “home” d’auteurs qui débarrasseraient ces derniers de tous les trucs ennuyeux en les assurant que leurs outils web soient pris en charge et leur survivent ; et que leurs textes continuent à être lus et diffusés ; le tout, via des institutions publiques et des conventions assurant que tout cela reste accessible à tous.

Je ne sais pas ce que vaut cette idée, mais elle me trotte dans la tête depuis pas mal de temps, alors autant m’en débarrasser ici pour qu’on en discute : les commentaires sont ouverts.