<MàJ du 14 juin 2018>une version améliorée de ce texte a été publié dans le BBF – Contributions</MàJ>
Juste un propos liminaire : il n’est pas question ici de personnes, mais de manières et d’habitudes de travailler. Gardons cela en tête. Merci.
J’ai récemment exprimé quelques interrogations sur l’accord de principe entre Elsevier et Couperin.
Au-delà des maintenant quasi traditionnelles remarques sur la teneur d’une Licence Nationale qui, si elle était signée, nous lierait à nouveau pour quatre ans avec Elsevier au sein d’un cadre qu’on pressent une fois de plus discutable (euphémisme), j’ai évoqué dans ledit billet, vers la fin, l’idée de négociations de licences nationales qui pourrait être transparentes, ouvertes et collaboratives (soit tout le contraire de ce qui se passe actuellement), sans préciser plus avant l’idée. C’est le but des lignes qui suivent.
Rappelons d’abord rapidement le fonctionnement actuel des négociations Couperin : sur chaque ressource négociée (vous en trouverez la liste précise et détaillée ici), plusieurs collègues courageux/courageuses se chargent, pour le consortium, de la négociation avec le fournisseur. Les péripéties et le détail des avancées de ladite négociation sont en général peu ou pas diffusées, en tous cas pas publiquement, jusqu’à ce que l’on aboutisse un beau matin à une annonce indiquant que l’affaire est conclue, et sous quelles conditions. De temps en temps, en cas de négociations embourbées, quelques éléments plus précis sont diffusés, indiquant que ça coince ici ou là. Et puis c’est tout. En gros, on reste assez largement dans du Top ⇨ Down.
Cette pratique me semble problématique à plus d’un titre :
- elle abandonne en frontal une toute petite poignée isolée de négociateurs/négociatrices supportant seule le poids de la discussion ;
- la loi du silence pèse sur le contenu des négociations ;
- la communauté (les bibliothèques, mais aussi les chercheurs et les établissements) n’est pas vraiment amenée à se prononcer publiquement pour ou contre tel ou tel point/condition et/ou ne discute pas le détail précis des points/conditions.
Face à ces pratiques que je trouve personnellement totalement dépassées, je ne peux m’empêcher de penser à des pratiques et outils de décision que l’on voit émerger, engageant une communauté dans des processus de discussions et de décisions réellement collaboratifs et partagés.
En l’occurrence, la démarche pourrait être la suivante :
- un groupe de collègues est chargé de la négociation (ce point ne change pas) ;
- une première mouture de texte décrivant telle ou telle licence est rédigée et devient la proposition initiale soumise à la communauté durant un temps limité via un outil en ligne ouvert publiquement ;
- des commentaires, amendements, suggestions, sont apportés à cette mouture et chaque commentaire, amendement, suggestion, peut faire l’objet d’un vote pour ou contre, entendre qu’on peut le/la pousser en avant ou le/la rétrograder, de manière à ce que les propositions les plus intéressantes pour la communauté émergent ;
- à la fin de la période, le groupe négociant fait la synthèse des propositions et en tire sa feuille de route pour un premier round de négociations avec le fournisseur ;
- de retour de cette première négociation avec le fournisseur, le groupe négociant dispose d’une nouvelle mouture à soumettre à la communauté ;
- GOTO 3.
jusqu’à épuisement des ajouts/modifications/amendements et/ou l’obtention d’un résultat de négociation qui convienne à l’ensemble de la communauté.
Évidemment, cette manière de travailler serait réservée aux licences nationales (par exemple, en mettant une barre à X millions au-delà de laquelle toute négociation doit passer par cette méthode).
Je vois plusieurs avantages à une telle méthode, qui, il me semble :
- éviterait de passer à côté d’un loup caché dans un accord par le fournisseur (on repère mieux les loups à plusieurs) ;
- permettrait de s’assurer au fil de l’eau de l’adhésion permanente de la communauté concernée par la négociation ;
- conforterait la position de l’équipe négociante, qui pourrait s’appuyer sur une base arrière visible et multiple s’étant exprimée publiquement ;
- embarquerait largement ladite base en la responsabilisant ;
- serait conforme aux exigences de transparence actuelle ;
- <update du 05 mai 2019> serait de nature à clarifier enfin les positions des uns et des autres</update du 05 mai 2019> ;
- permettrait de sortir des négociations à la papa, où le fournisseur nous joue le couplet du ne parlez surtout pas des conditions hyper privilégiées que je suis en train de vous consentir alors que dans les faits, il vous enfume comme jamais (B. A. BA du commercial, n’importe quel vendeur de voiture vous le confirmera, c’est le chapitre n°1 du Manuel du parfait petit arnaqueur).
Et je réponds de suite aux arguments du type c’est trop lourd à mettre en place, nous n’aurons jamais le temps de le faire en vous renvoyant aux chiffres de la consultation qui a précédé l’écriture de la Loi pour une République Numérique (spoiler : du 26 septembre 2015 au 18 octobre 2015, 8490 contributions 147549 votes, 21409 participants — oui, c’est pas mal en si peu de temps sur un sujet aussi aride).
Franchement, je pense qu’un tel changement de nos pratiques n’est ni un problème d’outil (les outils du type “consultation collaborative” ne manquent pas), ni un problème de temps (cf. les chiffres ci-dessus, obtenus en moins d’un mois) : c’est juste un choix politique sur la méthode employée pour négocier des licences à plusieurs dizaines de millions d’euros d’argent public, négociations historiquement menées en utilisant la méthode dite de sous le manteau et qu’il est certainement temps de dépoussiérer.
Comme toujours, les commentaires sont ouverts.