Chuuuttt

 (ou comment je n’ai pas donné d’informations sur Elsevier)

En lisant ce billet, et en voyant les graphiques qu’on peut y trouver, je me suis demandé à quoi pouvait bien ressembler la répartition française des coûts VS effectifs pour les ressources Elsevier.

Je suis donc parti des chiffres 2013 pour la France. J’ai utilisé un fichier que tous les correspondants Couperin ont reçu dans leurs mails il y a quelques mois, fichier qui doit servir à calculer les coûts de la licence nationale (toujours) en cours de négociation avec Elsevier et listant donc pour vérification les clients académiques français, les effectifs qu’ils déclarent et… ce qu’ils paient.

Évidemment, j’ai eu tout de suite un problème de conscience majeur : la doctrine Couperin repose sur la confidentialité (cela m’a été assez répété tout récemment, souvenez-vous…) et c’est écrit ici, onglet Charte de l’adhérent, puis Engagement des membres. Évidemment, cette charte n’a pas grande valeur juridique et le seul risque que l’on peut finalement courir est de se voir exclu de Couperin (oh mon Dieu, ça fait peur, n’est-ce pas ?…)

Mais je me suis dit que j’allais jouer ce jeu idiot de la confidentialité pour vous montrer en creux à quel point tout ça n’a pas de sens.

Donc, voici la répartition 2013 des coûts/effectifs Elsevier pour la France. J’ai enlevé les chiffres, les échelles, les étiquettes, bref, j’ai anonymisé le truc.

Elsevier France

Trois précisions :

  • J’ai enlevé les 3 structures les plus “hautes” soit du point de vue de la dime qu’elles paient, soit du point de vue de leur effectif déclaré, parce qu’elles étaient si hautes que cela écrasait le graphique ;
  • Un certain nombre de structures sont sur les axes, tout simplement parce que leurs données (coût ou effectif) n’étaient pas présentes dans le fichier diffusé, ce qui ne lasse pas de m’étonner (par quel mystère Couperin n’a-t-il pas ces chiffres ?) d’autant qu’il s’agit de grosses structures type SCD, pas de CDI de campagne ;
  • Les totaux (je rajoute les 3 structures enlevées auparavant) sont les suivants : XXX XXX pour les effectifs et XX XXX XXX pour les coûts ;

Voilà. Vous n’en savez pas plus, et vous n’en saurez pas plus. Si vous n’avez pas le fichier Couperin, vous ne saurez pas ce que paie votre structure, vous ne saurez pas comment est dépensé l’argent public, votre argent.

Par contre, ce que vous saurez parce que je vous le dis, c’est que cet argent alimente l’extraordinaire rentabilité de la société Elsevier, qui vous remercie du fond du coeur.

Et puis, en creux, vous saurez aussi maintenant que je n’ai pas le droit de vous communiquer certaines informations ou de vous transmettre certains documents, parce qu’un consortium formé uniquement de structures publiques et fonctionnant uniquement grâce à des agents publics dont la très grande majorité est composée de bibliothécaires, accepte une “confidentialité” particulièrement malsaine qu’une entreprise privée en position de quasi-monopole lui impose (cherchez à qui profite le crime du silence et cette confidentialité… Mais si, suivez mon regard…).

En résumé, des bibliothécaires font devant vos yeux ébahis le choix volontaire de ne pas diffuser l’information qui vous concerne directement. Sacré paradoxe, vous ne trouvez pas ?

18 réflexions sur « Chuuuttt »

  1. Merci Daniel pour ce travail. J’ai cependant du mal à interpréter ton graphique car tu ne précises pas ce qui est en abscisse et en ordonnée …

    Je me permets de donner des infos sur mon établissement et qui prouvent notre totale impuissance face à la machine Elsevier (chiffres 2013) :
    – 55% des dépenses en ressources numériques Recherche (environ 800.000 €)
    – 51 % des téléchargements d’articles soit près de 470.000 par an
    Vous faites le ratio et vous constaterez qu’Elsevier reste d’un coût très raisonnable pour le service rendu …
    Je ne parle évidemment que d’un point de vue budgétaire mais hautement sensible dans nos établissements. Et pas des conditions de la LN …

    Donc on fait quoi quand Elsevier reste l’éditeur le plus consulté dans son université, que son coût objectif à l’article reste totalement raisonnable et que la moindre coupure de service provoque des déluges d’appel et de protestations ?

    • Je n’ai pas répondu sur “on fait quoi” ? C’est assez simple : nous oublions que le client est roi. Et quand le client est roi, il impose une baisse ou il quitte le magasin. Crois-moi, Elsevier ne prendra jamais le risque de perdre un marché de près de 200 millions d’euros sur 5 ans pour la France (en gros, pour la LN) ; et même si c’était le cas, si nous sortions avec fracas du piège, ce serait enfin l’occasion d’inventer un nouveau système reposant sur les AO. C’est parce que nous nous sommes laissés prendre au piège et que nous pensons qu’il n’y a pas d’alternatives que nous ne tentons même pas de sortir du piège. L’une des réussites du modèle des grands éditeurs, c’est d’avoir réussi à nous faire croire que nous ne pouvons pas nous passer d’eux, quand c’est exactement l’inverse : c’est eux qui ne peuvent pas vivre sans nous parce que comme tout parasite, ils sont dépendants entièrement de leur hôte : nous.

    • Totale impuissance ? Si Couperin s’était levé en bloc et était sorti en menaçant Elsevier de passer au grand public et de révéler aux citoyens français comment une partie de leurs impôts passe en fumée rapace, je suis sûr qu’Elsevier aurait plié. Vous vous rendez compte : la 5e économie mondiale disant “Non” à voix haute à une multinationale ? Le résultat aurait été une montée en puissance d’autres pays, galvanisés par la France, en particulier l’Italie, et, probablement l’Allemagne. À ce point les 4e, 5e et 8e puissance industrielles commencent à montrer les dents. Et la guerre contre les tarifications abusives auraient été réellement lancée. J’ai vu des formes plus convaincantes d’impuissance…

    • Je me suis sans doute mal expliqué dans mes derniers paragraphes. Effectivement, le graphique ne peut pas être interprété, et c’est la conséquence directe de la confidentialité imposée par Elsevier à Couperin, et acceptée par le consortium. Cette impossibilité d’interprétation est justement ce que je voulais montrer : des choix de bibliothécaires conduisent directement à l’impossibilité d’information. CQFD.

      PS : comme tu es bib, tu peux demander le fichier à ton correspondant Couperin et faire le graphique. Tu vois, tu es une citoyenne privilégiée.

  2. Dans le cadre de cette négo, ce sont les effectifs totaux des structures qui sont prises en compte, ou juste certains niveaux (doctorants+EC ?), ou certaines disciplines?
    Je suppose que tout cela est top secret?

    Mathieu

  3. Daniel, tu prêtes aux bibliothécaires un poids et un pouvoir qu’ils n’ont pas, en oubliant systématiquement les principaux acteurs, pourvoyeurs et utilisateurs du système : les enseignants-chercheurs !! Même si des voix se font entendre dans cette communauté, la grande majorité de nos collègues EC sont hermétiques à nos arguments et alertes, pourtant largement portés par les bibliothécaires.
    Ce qu’ils souhaitent, c’est publier dans des revues à fort impact et pouvoir consulter ScienceDirect sans limitation. J’ai rarement rencontré un EC prêt à renoncer à cela dans un souci collectif …
    Et de plus, les bibliothécaires, même les DirBu les plus gradés 😉 ne sont pas les décideurs dans leurs établissements …

    • Et bien moi j’en croise, de plus en plus. Et encore une fois, ce n’est certainement pas en dégainant l’argument du “ce n’est pas notre faute” qu’on fera avancer le truc. Les bibs utilisent beaucoup cet argument, cela permet de ne rien faire, c’est tellement commode. Nous avons tous de bonnes raisons de ne rien faire.

    • Mais nous avons déjà eu cette conversation. Admettons donc que nous n’avons aucun poids dans l’histoire, ça nous fera gagner du temps.

      Reste quand même un point sur lequel nous avons du poids, c’est Couperin (composé à une très large majorité de bibs) et cette clause ridicule de confidentialité.
      Donc j’attends toujours qu’on m’explique pourquoi cette clause honteuse existe et est supportée par la communauté.

  4. Je n’ai jamais dit que nous ne devions, ou ne pouvions rien faire !!! Juste qu’il y a des paramètres extérieurs et forts en dehors des bibliothèques … Un exemple : mes collègues de la BibNum ont rencontré les 65 labos de l’université dans un cadre général “Numérique”. Le projet d’Archive ouverte institutionnelle a été présenté. Les réactions ont varié entre l’indifférence totale et la réticence absolue. En gros et au final, un seul labo s’est montré réellement intéressé … Il y a du boulot …

  5. En ce qui concerne la clause de confidentialité de Couperin, je m’en tamponne largement le coquillard !!! Toute dépense sur des fonds publics doit pouvoir être vérifiée et justifiée. Il n’y a donc aucun souci pour moi à divulguer la somme payée à Elsevier (déjà fait d’ailleurs …).
    J’irai en prison et pis c’est tout … 😉

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