La bibliothèque universitaire Saint-Serge est régulièrement saturée dans les périodes précédant les partiels. Ce problème est aggravé par l’habitude prise par certains usagers de « réserver » des places sur de longues durées (plusieurs heures, voire une demi-journée entière) en y laissant leurs affaires alors qu’ils quittent la bibliothèque pour vaquer à d’autres occupations. Ce problème, déjà relevé par le personnel de la bibliothèque, a également ressurgi dans les résultats de l’enquête Libqual fin 2014.
La BU Saint-Serge s’est donc attelée à la question avec pour objectif de proposer une solution à expérimenter dès avril 2015, dans la période des pré-partiels du deuxième semestre.
La méthodologie
Un groupe de travail dédié à la question des « réservations intempestives » de places a été monté fin février 2015. Le délai très court dont nous disposions ne nous a pas permis de travailler de manière participative de A à Z. Nous avons donc trouvé une voie moyenne, le pilote du groupe préparant le terrain en amont et le groupe prenant les décisions en réunion de manière à faire rapidement avancer le projet.
Les retours d’expériences tentées dans d’autres bibliothèques (merci aux collègues ayant répondu à nos sollicitations sur le sujet !) nous ont été précieux dans l’élaboration de la solution. Lors de la première réunion, trois scénarios ont été proposés au groupe :
1. « parking courte durée autorisé » : la gestion des pauses par horodateurs
2. « comme dans un bon resto » : le repérage des places indûment réservées grâce à un plan de salle et l’accompagnement des étudiants en recherche de place
3. « comme des grands » : la mise en place de chariots ou bacs en bouts de tables permettant aux étudiants de déplacer eux-mêmes les affaires abandonnées sur de longues durées
Après une présentation détaillée des scénarios, chaque membre du groupe de travail a mis en évidence quels étaient selon lui les avantages et les inconvénients respectifs des trois solutions. Un consensus s’est établi sur le choix des horodateurs.
Comment fonctionne le système des horodateurs ?
L’étudiant qui souhaite prendre une pause dans sa session de travail dispose un horodateur fourni par la BU sur sa table de travail en le réglant sur l’heure où il quitte sa place. La seconde fenêtre de l’horodateur lui indique l’heure avant laquelle il doit revenir. À la BU Saint-Serge, nous avons opté pour une durée de pause assez longue : de 1h à 1h30 maximum et 2 h au moment de la pause méridienne. Le choix de cette durée s’explique par la contrainte que représente pour le personnel la mise en place des horodateurs : plus le temps de pause est réduit, plus nombreux doivent être les passages en salle des collègues qui vérifient les horodateurs. De plus, nous avions surtout pour objectif de répondre au problème des usagers réservant les places sur une longue durée (supérieure à une heure) tout en assurant une certaine souplesse qui permettrait aux étudiants venant réviser de disposer de créneaux suffisamment importants pour que certaines activités restent possibles (aller à la pharmacie, faire une course,…).
Concrètement, les membres du personnel sont répartis en binômes, chaque binôme ayant pour mission de vérifier les horodateurs une demi-journée par semaine. Dans les faits, les collègues concernés font trois passages en salle, espacés d’une heure chacune, et vérifient les horodateurs sur les places où des affaires sont laissées sans propriétaire. Quand l’heure de retour maximale est dépassée ou en l’absence d’horodateur, ils déplacent les affaires à l’accueil de manière à ce que d’autres usagers puissent disposer de la place. Là encore, une certaine souplesse a été établie dans le cadre de l’expérimentation des horodateurs au printemps 2015 : lorsqu’une table ne présentait pas d’horodateurs par exemple, les collègues en disposaient un qu’ils réglaient sur l’heure de leur premier passage. Ce n’est que lors du deuxième passage que les affaires étaient déplacées. Cette souplesse s’explique notamment par le désir de ne pas mettre d’emblée les collègues en difficulté en les plaçant en situation de déplacer beaucoup d’affaires dans une période où les étudiants ne seraient peut-être pas encore tous au fait du système des horodateurs.
Un message est laissé sur la table, prévenant l’usager qu’il pourra retrouver ses affaires à l’accueil. Enfin une étiquette est complétée avec l’heure d’enlèvement des affaires et l’heure sur laquelle était réglé l’horodateur, ce qui devrait prévenir d’éventuelles contestations au moment de la remise des affaires aux étudiants venant les réclamer à l’accueil de la bibliothèque.
A ce jour, les papiers se sont d’ailleurs révélés inutiles…
La solution proposée : pourquoi les horodateurs ?
Les horodateurs ont été jugés plus ludiques et conviviaux que d’autres solutions comme celle d’une cartographie de la salle qui aurait permis aux collègues de repérer les places inoccupées comportant des affaires. La solution des horodateurs a également l’avantage de responsabiliser les usagers (qui sont conduits à régler l’horodateur) tout en impliquant les personnels. Il nous semblait en effet important que tous les collègues participent à l’opération et que la vérification des horodateurs soit perçue comme une mission faisant pleinement partie du service public. Laisser les étudiants régler seuls le problème (en déplaçant eux-mêmes les affaires abandonnées) nous est apparu comme la pire des solutions : la plupart des étudiants de la BU Saint-Serge n’oseront pas toucher aux affaires d’autres usagers, et s’ils le font, on peut craindre des situations de conflit au moment où le « réserveur » viendra récupérer ses affaires. Du point de vue de l’image de la bibliothèque, il était aussi important d’envoyer un signal fort aux étudiants en montrant que nous prenions en considération un problème souvent relevé par eux.
Une opération potentiellement risquée
L’inconvénient de la solution horodateurs est la contrainte qu’elle représente pour les collègues de la bibliothèque puisqu’une tâche supplémentaire s’ajoute à leurs activités quotidiennes. La perspective de se transformer en « pervenches » et de renouer avec l’image du bibliothécaire revêche n’était pas non plus des plus réjouissantes. La crainte du groupe de travail était donc que les collègues expriment une appréhension importante par rapport à leur intervention en salle et au déplacement des affaires, ou bien que certains jugent que les passages réguliers qui leur étaient demandés pesaient trop sur leur semaine de travail.
Il était en revanche important que la régularité et l’effectivité des passages en salle soient assurées pour que les étudiants soient convaincus de la nécessité de jouer le jeu en réglant leur horodateur à chaque pause.
Quelques étudiants ayant été sondés en amont de l’opération, leurs réactions étaient également suffisamment contrastées pour que nous ne soyons pas certains de leur coopération.
Nous avons donc fait le choix de ne pas introduire les horodateurs à l’année, mais en ciblant les périodes de saturation de la bibliothèque. Il n’était en effet pas envisageable de demander aux collègues de poursuivre un effort important sur des plages où le besoin de libérer des places devenait moins criant.
Enfin, nous avons gardé trois espaces « non régulés » dans la bibliothèque (salles à l’ameublement spécifique) afin d’aller au devant d’éventuels étudiants présentant une allergie incurable aux horodateurs.
La communication
Étant donné les réactions négatives possibles, nous avons mis l’accent sur la communication, aussi bien interne qu’externe. En interne, une réunion a été organisée afin que chacun puisse exprimer ses craintes, voire suggérer des solutions et des aménagements concernant les cas particuliers susceptibles de se présenter. Un memento sous forme de dépliant a été distribué à chaque collègue. Nous avons également programmé d’entrée de jeu une réunion une semaine après le lancement des horodateurs afin de faire le point sur les difficultés rencontrées et d’introduire les modifications nécessaires.
Le design des horodateurs, réalisé en interne par le graphiste de l’université, reprend le logo et les couleurs d’une opération plus vaste, « places en plus », consistant dans la même période de saturation à mettre à disposition des étudiants le restaurant universitaire et un espace de coworking situé à proximité. Le slogan inscrit sur les horodateurs mettait l’accent sur la gestion du temps et l’idée d’une opération exceptionnelle liée à la période exceptionnelle des pré-partiels : « La BU rythme mes révisions ! » La communication sur les horodateurs comme sur les flyers destinés aux étudiants (également réalisés en interne grâce aux compétences d’un collègue de la BUA spécialisé dans le traitement des images) avait pour objectif de présenter de manière positive et constructive une opération pouvant être interprétée comme coercitive : une place pour chaque étudiant dans la période cruciale des révisions.
La communication passait également par des annonces micro ponctuelles en période de lancement, par un mailing à tous les étudiants du site Saint-Serge et, last but not least, par la distribution des horodateurs et des flyers à l’entrée de la bibliothèque plusieurs demi-journées la première semaine, ce qui a eu l’effet de nous offrir un retour immédiat (et très positif !) de la part les étudiants, nous confirmant l’intérêt de l’opération.
Et le porte-monnaie ?
Les horodateurs ont été fabriqués par un prestataire extérieur (1800 euros TTC pour 1000 horodateurs impression couleur recto-verso sur carton 400g). Au vu du coût des horodateurs, il nous a paru nécessaire de les équiper d’antivols, les étudiants n’ayant pas d’emblée le réflexe de les remettre à l’accueil au moment de sortir de la bibliothèque. S’ajoute donc à la dépense un rouleau de puces RFID (environ 250 euros TTC).
Après le lancement
La mise en place des horodateurs a été perçue de manière très positive par la plupart des étudiants : ils ont été nombreux à l’exprimer lors de la distribution, voire à nous remercier de prendre en considération un problème auquel ils étaient quotidiennement confrontés. Reste à faire une évaluation plus objective de l’opération (questionnaire en ligne, système de vote par jetons ?)
Pour la reprise de l’opération à l’automne (dans la deuxième période de saturation de l’année universitaire), des modifications sont envisagées :
– davantage de souplesse dans l’organisation des passages en salle de manière à réduire le nombre de passages par personne ;
– commande de sacs en tissu en remplacement des sacs en papier initialement utilisés pour le rangement des affaires déplacées et jugés trop bruyants (éviter ainsi d’avoir 20 paires de yeux d’étudiants en médecine braqués sur nous au moment où on déplace les affaires)
– élaboration d’un moyen mnémotechnique pour se souvenir des places où on a modifié les horaires ou disposé un horodateur : le flyer de l’opération par exemple, de manière à ce que les places en question soient facilement reconnaissables par les collègues qui passeront en salle au tour suivant.
– communication sur l’importance de régler un horodateur sur sa table y compris pour de (très) courtes pauses.
… et plus tard peut-être, faire fabriquer des horodateurs en carton plastifié encore plus solide et sur lesquels il ne soit pas possible de gribouiller. Certains étudiants imaginatifs ont en effet détaillé heure par heure leur emploi du temps journalier sur l’horodateur…
Le bêtisier
A l’accueil lors de la distribution des horodateurs : « Non merci, je n’ai pas de voiture… »
« – Je suis étudiants PACES, je ne prends jamais de pause. – Vous êtes sûr ? Même de micro-pause (regard éloquent vers les WC). – Non, jamais (soupir). »
L’horodateur semble devenir un objet collector pour certains… qui tentent de l’emporter hors de la BU malgré les antivols et l’exhibent comme un trophée à leurs camarades de promo une fois les portiques antivol franchis. Reste à imaginer les réactions de la police municipale dans le cas où certains auraient l’idée d’utiliser l’objet pour le stationnement de leur véhicule dans les rues d’Angers.
Plus d’images de l’opération dans l’album Flickr :
https://www.flickr.com/photos/47011911@N05/sets/72157649932583593/
Ce billet est signé Katrina Kalda, conservatrice-stagiaire DCB à la BUA de février à mai 2015.