Sobriété et attractivité : la BU Belle Beille en transition(s)

Ce billet reprend les éléments présentés lors de la journée d’étude du congrès de l’ADBU de Dijon le 10 octobre 2024. Invité à parler avec Stéphane Amiard (Vice Président Patrimoine immobilier de l’Université d’Angers) des enjeux de transition(s) du campus démonstrateur de Belle Beille, j’en ai profité pour brosser ce qui, selon moi, constitue quelques enjeux majeurs des années à venir pour nos bibliothèques universitaires.


La bibliothèque universitaire Belle Beille a fait l’objet de travaux de rénovation énergétique via un financement Plan de relance de l’Etat (2022-2023), qui a consisté à reprendre toute l’isolation extérieure du bâtiment, à remplacer l’ensemble des menuiseries et les centrales de traitement d’air (5,2 M€). Cette opération a été réalisée par Anthracite Architecture avec pour objectif de baisser de 40% la consommation énergétique du bâtiment.

Une seconde opération, de rénovation intérieure cette fois, est en cours via un financement Contrat de plan Etat Région (CPER, 9,8M€), maitrise d’ouvrage rectorat et MOE My Architect : reprise second œuvre qui a beaucoup souffert, rénovation fonctionnelle avec plusieurs objectifs de sobriété dans la foulée de l’opération précédente : low tech, low maintenance, réusage partiel mobiliers.

Avant de vous proposer un focus sur trois problématiques particulières, j’aimerais dessiner ici les différentes facettes de ce double enjeu de sobriété et d’attractivité. Dans notre démarche, il ne s’agit pas seulement de répondre aux exigences réglementaires (moins consommer, moins émettre).

ET SI ON SE POSAIT LES BONNES QUESTIONS AVANT DE CHERCHER DES RÉPONSES ?

– comment penser un bâtiment robuste et durable (choix de matériaux, coût d’entretien, coût de maintenance) ? Il faut en effet prendre en compte le coût global d’un bâtiment, pas seulement le coût de sa création ou de sa réhabilitation. L’entretien et la maintenance, la consommation de fluides représentent en proportion bien plus que l’investissement de départ (ratio qui peut aller de 1 à 4 ou 5)
– comment penser maintenant un bâtiment adaptable aux usages à venir ? On aménage un bâtiment qui devra évoluer avec les usages dans les trente à quarante ans qui viennent. Dans le cadre de l’opération de rénovation intérieure, nous avons par exemple travaillé sur les problématiques de nomadisme pour les bureaux professionnels afin de dimensionner au mieux les espaces professionnels ou encore sur le nombre de places assises dans la BU au regard de l’évolution prévisionnelle des effectifs dans l’enseignement supérieur.
– comment se concentrer sur ce qui ne se voit pas sur la photo ? C’est l’anti effet Wahou : la plomberie, l’électricité, l’acoustique entre autres. Et la modularité. Ce que l’on créé aujourd’hui doit pouvoir être adapté sans tout casser dans les trente prochaines années.
– comment répondre au défi de l’ouverture sur le territoire et à des usages qui pouvaient sembler illégitimes il n’y a pas si longtemps ?
– comment accompagner, maintenant que nos budgets documentaires sont majoritairement consacrés aux ressources électroniques, l’évolution des profils documentaires de nos collègues ? Combien d’établissements ont d’ores et déjà intégré la médiation documentaire des ressources électroniques dans les profils des BIBAS chargés de collection, que l’on appelle les acquéreurs dans notre jargon ? Nous pensons qu’il est souhaitable de décloisonner notre organisation, qui reposait jusqu’à présent sur les supports (responsable des périodiques papier, responsables des acquisitions de monographies papier par discipline, formateurs, responsable documentation électronique…) et de déplacer l’effort de l’achat vers la valorisation et la médiation. A Angers, nous sommes passés de douze acquéreurs de monographies papier, un responsable des périodiques papier et un responsable de la documentation électronique à dix huit médiateurs documentaires multisupports. Au regard des budgets et des masses documentaires en présence, la collection est pleinement un enjeu de sobriété et d’attractivité. Il faut aller vers des profils de médiateurs documentaires multi-supports, mobilisés sur la valorisation des ressources et sortir du modèle où la principale mission confiée aux médiateurs documentaires est de remplir un caddie virtuel de monographies papier.
– et enfin, comment, en terme de sobriété, passer à l’action ? Même (et surtout) avec des moyens limités, le plus important est surement de faire de petits pas, sur le modèle du Kaizen japonais : mieux qu’hier, moins bien que demain. Faire et tester ce qu’on a fait. Les difficultés budgétaires actuelles nous condamnent-elles à l’inaction ? Non, il y a surement à faire avec ce que l’on a déjà et beaucoup de pistes à creuser autour de la valorisation des ressources libres par exemple, et du développement des compétences de nos équipes.

COMMENT VIEILLIR AVEC GRÂCE ?

C’est une question que nous nous posons tous. Nous devons tous nous la poser concernant nos bâtiments. Ouvrir un magnifique bâtiment neuf ou rénové c’est une chose. Lui accorder notre attention et nos égards au fil des années en est une autre. A Angers, nous menons depuis de nombreuses années une opération annuelle qui s’intitule « Ma BU se fait une beauté » qui mobilise des agents, des ressources budgétaires (0,5 à 2% du budget de fonctionnement) et utilise la période estivale pour permettre de corriger les effets d’une année d’usage intensif. (selon quatre axes : entretien, petits travaux, mobilier, signalétique). La recette : du rapport d’étonnement et un peu de planification.
Ma BU est une beauté est un parfait exemple de petits pas : la durabilité et l’attractivité est une gymnastique du quotidien ! C’est également valable pour l’aménagement des espaces et le mobilier. Ne pas attendre un budget de premier équipement pour faire évoluer nos espaces et les pratiques qui vont avec : investir des petites sommes, déployer, observer ce qui fonctionne est à mon avis une méthode saine, qui a fait ses preuves.

COMMENT ASSEOIR NOTRE FONCTION SUPPORT ?

Nous sommes un service commun, qui dessert toute la communauté universitaire. Et cette desserte s’étend au-delà de la mise à disposition de documentation. Nous sommes largement ouverts, nous avons des compétences utiles et un savoir-faire reconnu en terme d’accueil et de logistique. Cela ouvre bien des pistes, a fortiori dans une période où la recherche d’économies et de sobriété devient le nerf de la guerre.

A Angers, la BU sert de point de ralliement en période de fermeture administrative : tous les agents de l’Université, en service durant ces périodes, utilisent les espaces professionnels de la BU. A la clé, des économies pour l’université : au lieu de chauffer plusieurs bâtiments, seule la BU reste en chauffe.
Cela va bien au-delà. Nous construisons depuis des années des liens avec de nombreux services, avec un double objectif : proposer une offre de services lisible et utile à la communauté, éviter la dissémination des moyens et des compétences.

Quelques exemples angevins : en plus de proposer le prêt de matériels et de salles pour toute la communauté (service désormais répandu dans les bibliothèques), la BUA héberge le service d’innovation pédagogique LabUa ainsi que le User Lab (laboratoire d’analyse des usages), des permanences des assistantes sociales, du service de santé universitaire, le service Infocampus à la rentrée et les galeries d’art Galerie Dityvon et Galerie 5. La BU est également identifiée comme partenaire des associations étudiantes. On trouve donc de la pédagogie, de la recherche, de la santé, de l’orientation, de la culture et de la vie étudiante, en plus de la documentation.
Jouer ce rôle de hub, ou de mall de services est à mon avis un des enjeux des bibliothèques universitaires pour les années à venir. Car nous avons cruellement besoin de bibliothèques habitées.


OCCUPER PLUS OCCUPER MIEUX

Maintenant que nous avons tous ouvert plus et ouvert mieux, nous pensons qu’il est légitime de nous questionner sur la saisonnalité de notre activité, en tous les cas sur les variations de rythme et d’affluence que nous connaissons. Nos bâtiments sont ouverts, chauffés, éclairés, ventilés et staffés quelque soit la fréquentation.

Il y a un coût économique et écologique indiscutable du non usage. A Angers, la BU Belle Beille est quasiment vide quatre mois dans l’année, soit un tiers du temps.
C’est pourquoi dans la famille Center, nous réfléchissons à un modèle de Living Center, cousin du Learning, qui s’inscrit dans un projet global de campus habité, qui prend en compte la vie étudiante dans toute la complexité de ses besoins, avec une attention particulière portée sur l’inclusion.
Sortir de la monoactivité, cela ne signifie pas forcément transformer la BU en laser game ou en discothèque (même si ponctuellement ça fait du bien). Nous avons le potentiel pour aller au-delà, dans les représentations estudiantines, du « la BU ça sert à réviser et emprunter des livres ». Et cela sans renier notre cœur de métier. Il y aurait déjà fort à faire à accueillir les initiatives étudiantes et les événements de l’université, travailler l’expérience utilisateur sans préjugés, interroger nos tabous de bibliothécaires (le boire et le manger dans les BU par exemple). Notre principal enjeu d’attractivité est la cohabitation des usages dans nos bibliothèques. Avant de chercher des réponses, posons-nous les bonnes questions, au rang desquelles par exemple : comment pourrions-nous être utiles à de nouveaux publics (notamment dans nos périodes de faible affluence) ?

Augmenter nos recettes propres va devenir impératif, vu les perspectives budgétaires ; La location d’espaces est une piste à creuser, en lien avec le tissu économique local par exemple, même si ce service ne rapportera pas de quoi faire les beaux jours de nos établissements. Je parie que nous serons nombreux, dans les mois à venir, à travailler sur une offre de mise à disposition payante de nos espaces, pour des séminaires d’entreprises par exemple.

A Angers, nous travaillons actuellement à un projet de valorisation des fonds féministes, qui pourrait prendre la forme d’un centre d’interprétation et qui serait intégré à la BU Belle Beille. A la fois outil pédagogique pour l’ensemble du territoire et objet touristique, ce projet s’intègre pleinement dans notre réflexion autour de la diversification des publics et l’animation du bâtiment.

Nous pourrions enfin nous questionner sur le coût écologique de nos collections : pouvons-nous vraiment nous permettre de continuer à doublonner papier et électronique, à accumuler indéfiniment ? Confrontés à des problèmes de place et motivés par la perspective d’une rénovation fonctionnelle, nous avons pris le parti à Angers de lancer il y a deux ans un grand chantier « stop au syndrome de Diogène ». Dédoublonnage papier électronique, clarification de la politique d’acquisition et de conservation, campagne de désherbage raisonnée et réflexion sur les moyens d’une meilleure appropriation de l’invisible (les ressources numériques). Façon de prendre le taureau par les cornes.

Prendre conscience que nous évoluons dans un monde aux ressources limitées, c’est indéniablement une source d’anxiété, mais c’est aussi une magnifique opportunité pour agir autrement.