Billet écrit par Antoine T. , conservateur des bibliothèques, DCB28. Chaque année, la BU d’Angers propose un stage long aux élèves conservateurs. Ce billet, le 5ème, dont nos stagiaires nous ont fait cadeau (voir aussi ceux de Katrina K, d’Elodie C., d’Anne G., de Roman S.), raconte, avec 18 mois de recul, ce que peut apporter un stage professionnel long et actif pour préparer au “choc initial” d’une vraie prise de poste.
Moi, Antoine T., stagiaire à la BUA…
” Plus d’un an après avoir réalisé un stage de quatre mois à la BUA, dans le cadre de ma formation d’élève conservateur des bibliothèques, et six mois après ma première prise de poste, il me semblait pertinent de faire un retour sur ce que j’ai retiré de ce stage dans ma pratique quotidienne (d’autant plus pertinent que c’est une explication crédible à une formidable procrastination ayant duré une année). La position de stagiaire et d’élève conservateur n’est effectivement pas la même que celle de cadre sortant d’Enssib nouvellement en responsabilité d’une équipe et faisant face aux chocs, plus ou moins anodins, d’une prise de poste et de son appropriation.
Ce billet essayera donc d’être à la fois une version très condensée de mon rapport de stage, une description rapide de mes missions et surtout un retour sur ce que j’ai gardé de mon passage en terre angevine dans mon poste de responsable d’une petite bibliothèque de médecine (300 places) et de services collections en santé et sciences/techniques (avec beaucoup d’encadrement hiérarchique).
1. Planter le décor : contexte et missions du stage
Sans décrire par le menu mon stage, il n’en faut pas moins une contextualisation, même sommaire.
Dans la scolarité d’un élève conservateur (du millésime 2019/2020, DCB28, promotion Louise Michel), le stage professionnel dure 4 mois, de septembre à décembre, et fait suite à six mois de cours théoriques et d’une gestion de projet à l’Enssib. Ce stage précède un retour de 6 mois à l’école pour des cours, la rédaction d’un mémoire d’étude et de recherche et les affectations. Il a donc une position centrale dans la formation aussi bien intellectuelle que professionnelle de l’élève.
La proposition initiale du stage s’articulait autour de la conception et de l’animation de dispositifs participatifs entre les différentes parties-prenantes de l’Université d’Angers (enseignants, personnel des bibliothèques, étudiants) dans l’optique de nourrir le nouveau projet de service de la BUA. Ce qui satisfaisait non seulement mon inclination personnelle aux rencontres et aux échanges mais qui permettait de me familiariser avec des méthodes d’UX design, de participation, etc.
Une fois sur place, mes missions ont évolué pour se centrer sur des dispositifs censés favoriser la réflexion et le décentrement des collègues en faisant faire un « pas de côté » pour découvrir le quotidien et la vie des étudiants. En bref, je devais formaliser des dispositifs qui permettaient aux bibliothécaires de sortir, littéralement, de la bibliothèque et de se mettre, pour un temps, dans les chaussures des étudiants. Avec l’aide de mes tuteurs et grâce à l’implication des collègues, j’ai pu mettre en place des enquêtes de publics, par entretien et questionnaire, des ateliers mêlant étudiants revenus d’Erasmus et bibliothécaires partis en « voyage d’inspiration » à l’étranger, et proposer aux volontaires d’aller assister à un cours magistral (de la discipline qu’ils désiraient) afin de vivre, de manières très éphémère, l’expérience estudiantine et discuter in situ avec les étudiants.
J’ai également eu la chance d’être invité à participer aux deux « voyages d’inspiration » (voir billets BUATour Bénélux et BUAtour off) organisés par la BUA à l’automne 2019 : l’un au Bénélux et l’autre au Danemark (avec un intermède suédois). Une expérience sur laquelle je reviendrai.
Voilà pour le résumé rapide de mon stage de quatre mois. Qu’en est-il maintenant ? Qu’est-ce que je garde de cette période ? En quoi cela a-t-il influencé (ou pas) ma pratique professionnelle ?
2. Plein d’idées et d’inspirations
Lors de cet exercice de remémoration et de confrontation entre mes souvenirs et mon nouveau quotidien, ce qui a d’abord émergé est le fait que cette immersion à la BUA a été une mine d’idées et d’inspirations marquantes et qui, dans une certaine mesure, irriguent ma façon de travailler.
Travailler à la BUA c’est d’abord considérer certains projets comme « allant de soi », non pas qu’ils soient simples à organiser ou plus pertinents que ceux d’autres SCD, mais ils sont mis en place comme n’importe quel autre. Or, j’ai pris conscience de la singularité de certains de ces projets bien après le stage. Plusieurs exemples viennent à l’esprit : durant mon stage j’ai participé aux ateliers de médiation animale permettant aux étudiants de profiter d’une bulle de détente et de convivialité avec des animaux de thérapie. A défaut de la vivre, j’ai suivi les prémisses de la nuit blanche à la BU organisée pour la nuit de la lecture.
Mais surtout, comme je l’évoquais ci-dessus, je suis parti à l’étranger avec des collègues du SCD. Les « voyages d’inspiration » ont enchanté le début de mon stage (en me rapprochant des collègues et me faisant découvrir les usages des bibliothèques du nord de l’Europe). Néanmoins le plus incroyable, avec le recul, réside dans l’idée même de partir à l’étranger avec une dizaine de collègues de tout statut.
Effectivement, ce qui paraissait « naturel » à un stagiaire étonne le nouveau chef de service : la possibilité de partager la chambre de ses N-1 on ses N+1, de cohabiter tous ensemble une petite semaine non pas au-delà des catégories et de la hiérarchie, mais en s’en accommodant fort bien, m’a marqué. Cela m’a montré une facette concrète, avec ses beaux moments et ses difficultés, d’une certaine conception du management. Et si on a vécu ce type d’expérience c’est qu’éventuellement elles sont du domaine du possible (du souhaitable ?) et du reproductible.
Au-delà de ces projets ponctuels, ce qui me reste encore à l’esprit ce sont les dispositifs, formalisés et intégrés au quotidien de la BU, qui s’inscrivent dans une volonté de mettre en œuvre un management participatif mobilisant l’ensemble des collègues volontaires de la bibliothèque.
Je pense ici aux réunions d’équipe focalisées sur un problème bien précis et durant lesquelles l’ensemble des agents sont amené à élaborer une solution : j’ai ainsi assisté à une série de réunions sur le manque de places pour les étudiants à la BU Saint-Serge.
Les collègues y étaient invités à proposer leurs idées, à co-construire sur les propositions les plus pertinentes, etc. Je pense également aux causeries : ces moments d’échanges et de formation informelle sur des sujets aussi divers que la documentation électronique, la GPEEC ou le budget.
J’ai la chance dans mon établissement d’avoir des collègues et une hiérarchie intéressés de longue date par les pratiques participatives et tentant de les mettre en œuvre au quotidien (notamment dans le cadre d’un projet de learning center). Mon stage et ma participation à ces dispositifs managériaux participatifs m’a permis de prendre conscience de leurs écueils, de leur difficulté mais aussi et surtout d’être témoin de plusieurs déroulés de réunion, du séquençage de ces dispositifs (brainstorming puis vote sur les idées les plus pertinentes, répartition des rôles et alternance silence/relance de l’animateur).
En l’occurrence, c’est cette compétence et cette humble expérience que je conserve et alimente précieusement depuis plusieurs mois. J’ai également repris, sans vergogne, l’idée de causerie dans ma nouvelle bibliothèque et je tente de proposer des simili-causeries (la période étant peu propice à ce genre d’exercice). On y retrouve le volontariat des participants, une animation informelle et une volonté de partager des connaissances. D’autres propositions marquantes, tout particulièrement, les séances d’échange de pratiques me restent à l’esprit, même si je n’ai pas encore eu l’occasion de m’y confronter à mon poste.
3. Quelques principes marquants
Les projets et les dispositifs que j’ai mentionnés sont en fait la concrétisation de principes et d’idées bien ancrés dans l’équipe de direction de la BUA. Ces principes «performés» au quotidien (cette « performance » étant un work in progress difficile et permanent) par la direction du SCD sont souvent venus confirmer ou étayer des convictions que j’avais déjà.
Parmi les premiers échanges avec ma tutrice, des discussions sur le nerf de la guerre : les budgets et l’argent. Parmi bien d’autres choses, elle concluait qu’il ne fallait pas tant penser en termes de « toujours plus » pour le SCD mais plutôt en termes d’utilité et de potentiel dans une organisation bien plus large, l’université, dont les BU ne sont qu’une des parties parmi tant d’autres tout aussi utile, si ce n’est plus. L’important n’est pas de demander beaucoup mais de dépenser justement.
Autre principe important, dont l’offre de stage était une des concrétisations : la volonté de se décentrer, d’aller voir ailleurs pour enrichir sa vision du monde et ses pratiques. Ainsi, les réunions générales du SCD sont suivies depuis plusieurs années de visites dans des institutions tout à la fois proches et éloignées des bibliothèques (laboratoires de l’UA, musées, etc). Les « voyages d’inspiration » sont un autre exemple de ce décentrement et de cet enrichissement par l’autre. Il en est de même pour la proposition faite durant mon stage de sortir de la bibliothèque pour aller assister à un cours magistral, par exemple.
Dernier axe de travail important de la BUA et qui m’avait marqué par ce qu’il sous-tend : l’importance d’« aller moins loin ensemble » plutôt que « pousser » une équipe qui n’adhère pas, ne participe pas et n’est pas associé pas aux évolutions de l’organisation. Cette volonté d’association et de travail en commun implique forcément de limiter, dans un sens, certaines ambitions. En effet la concertation et le dialogue visant au consensus (ou tout du moins à un accord largement partagé) prennent du temps et beaucoup d’énergie. Ce principe fait donc le deuil d’une rapidité d’exécution, au moins dans un premier temps, au profit d’une ambiance de travail dynamique et de réalisations partagées.
Mon discours, éminemment subjectif et s’appuyant sur des souvenirs déjà un peu lointains (vous me direz que c’est le problème de rédiger un post de blog un an après les faits), n’est pas un panégyrique de la BUA et de ses réalisations. C’est bien plutôt un condensé de ce que continue à m’apporter mon stage au quotidien : dans la façon dont je mène mes réunions, dans les propositions que je fais et dans ce que j’essaye de faire dans un collectif de travail qui, pour l’instant me satisfait largement au-delà de mes espérances. En bref, et plus concrètement, mon stage à Angers m’a préparé à mettre en place des dispositifs participatifs, à tenter de mettre en œuvre des outils UX (aussi simples et imparfaits soient-ils) et m’a offert une vision très nuancée du management.
Mon stage à la BUA ne m’a néanmoins pas préparé à certains chocs liés à la première prise de poste et au travail d’encadrement. Evidemment, un stagiaire ne reçoit pas 150 mails par jour ; un stagiaire ne travaille pas chez lui le soir ; un stagiaire n’assiste pas à trois, quatre, réunions en une journée tout en chassant les souris des bureaux ; et évidemment, un stagiaire ne doit pas faire avec l’image et les représentations du «chef». Je ne suis de toute façon pas bien sûr qu’un stage pourrait préparer à tout cela, tant ces chocs initiaux font partie intégrante du début de la carrière et du passage, si difficile, de la théorie à la pratique…
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Merci à Antoine T. pour ce retour : en miroir, ses questionnements, sa manière de ne pas prendre pour acquis ce que nous pouvions dire et faire, ses “pourquoi ?” incessants, ont fait de ce stage un moment riche et joyeux où nous aussi avons pu apprendre et réfléchir sur nos pratiques stimulé.e.s par ce regard extérieur…