Nous avions 3 motivations principales pour nous astreindre à détricoter temporairement le fonctionnement de la BUA après le déconfinement :
1. permettre aux collègues, las de rester assignés à domicile, de revenir travailler sur site,
2. nous habituer, alors que la circulation du coronavirus en Maine-et-Loire est très faible, à intérioriser jusqu’à la routine les gestes barrières,
3. ne pas laisser dormir la montagne de papier imprimé tout l’été alors que quelques étudiants et chercheurs s’en sentaient privés.
Règle N°1 : Ne pas se laisser impressionner par le flou juridique
Nous avons très légèrement anticipé sur le décret 2020-604 du 20 mai 2020, nous appuyant sur le courrier de la Ministre de l’ESR daté du 3 mai :
Nous ne nous sommes pas laissés troubler outre-mesure par l’incohérence du décret 2020-548 du 11 mai 2020 indiquant que les ERP de type S (les BU entre autres) pouvaient ré-ouvrir – quand bien même l’article 12, IV portant sur les établissements de l’ESR interdisait le retour des usagers sur site en dehors de la médecine préventive.
On admirera au passage la clarté et la cohérence des consignes nationales, qui auront eu l’art de plonger dans la perplexité et l’angoisse de très nombreux établissements et collègues. On sent le poids des cultures d’établissement, ouvrant plus ou moins grand les parapluies face à la situation d’incertitude radicale que nous traversons… sans nul doute en lien avec le degré de préparation, plus ou moins grand des uns et des autres, côté sanitaire.
Il faut bien avouer qu’il fait souvent beau en Anjou et que nos parapluies sont assez petits et maniables, par rapport à ceux d’autres universités.
Règle N°2 : S’appuyer sur un protocole sanitaire d’établissement solide voté en CHSCT
Toujours est-il qu’à l’UA, comme je l’expliquais dans le billet “Du PCA au PRA” , un protocole sanitaire d’établissement était prêt et partagé depuis le 28 avril. Notre propre protocole de reprise avait été formalisé et transmis pour le 8 mai après avoir fait l’objet d’un avis informel par la direction de la prévention. Le tout a pu être voté en CHSCT le 14 mai.
Un kit signalétique de prévention était mis à disposition par la Direction de la communication. La livraison de SHA, masques chirurgicaux en quantité suffisante et de plexis était gérée par la logistique. L’élaboration et le partage d’un excellent guide déconfinement et d’un protocole d’accompagnement personnalisé avant la reprise avait été géré par la Direction de la prévention.
Règle N°3 : Étaler dans le temps et l’espace les transactions
Nous avons fait le choix d’essayer d’étaler le plus possible retours et emprunts pour éviter l’afflux brutal de demande et personnes : décalage des dates de retour à septembre, service uniquement sur rendez-vous (Affluences s’est une nouvelle fois révélé un couteau suisse précieux pour gérer la réservation de créneaux), maximum 10 personnes par créneau d’une demi-heure, étalement sur la journée de 10h à 17h, guichets d’accueil à l’extérieur du bâtiment pour profiter du temps estival et limiter les aérosols à l’intérieur.
Nous avons aussi choisi de laisser les gens entrer dans le bâtiment, 10 personnes maximum, masquées et mains lavées au préalable, et choisir leurs documents en rayon : si le virus recommence à circuler, j’aimerais bien essayer d’évaluer a posteriori, à l’aide des données de réservation, si cette décision a contribué à créer un cluster de cas inexplicable par ailleurs ou si, comme nous le pensons, la très faible densité / surface et le protocole geste barrières a été suffisant pour prévenir la transmission de la Covid-19 lors des emprunts et retours de ce début d’été à la BUA.*
Bilan des 3 premiers jours :
- BU Belle-Beille 136 réservations emprunts, 124 réservations retours,
- BU Saint-Serge : 94 réservations emprunts, 94 réservations retours.
- Environ 10 % de lapins
- Moins de 3 personnes en moyenne à un instant T dans le bâtiment.
- 46 agents sur 50 ayant choisi de revenir faire au moins un créneau en présentiel.
L’étalement a donc jusqu’ici très bien marché, au point que nous nous sommes ennuyés sévèrement et que nos (créatifs) marquages au sol provisoires pour organiser des files d’attente ne nous ont été d’aucune utilité 🙂 Quand on voit les collègues d’autres bibliothèques débordés par la préparation de colis, nous avons presque des regrets d’avoir opté pour le choix de laisser les usagers utiliser le libre-service plutôt qu’un Drive, l’attente au soleil ayant son charme, mais les collègues ayant aussi une féroce envie de vraiment retravailler ! Nous pensons quand même que cela nous aide à préfigurer le service dans la durée et à trouver des idées transposables à moyen terme.
Il est possible que cela ne dure pas, les examens à distance de la session 1 touchant à leur fin cette semaine seulement. Nous aurons peut-être à faire face à des usagers plus nombreux et moins disciplinés très bientôt…
Nous avons aussi choisi un étalement de la communication, uniquement via notre compte Twitter nouveau-né à moins de 220 abonnés, notre Instagram 8 mois d’âge, et un petit rappel côté comm’ UA pour commencer, sans passer par le plus efficace mailing.
Côté éléments de langage, nous avons choisi, lors d’une réunion en visio du groupe fonctionnel interne communication de la BU, de communiquer sur la durée (très courte) du créneau, avec le slogan “30 minutes chrono – vos BU sur rendez-vous” et E. Jourdet nous a préparé rapidement une déclinaison visuelle sobre et réussie. Une nouvelle fois s’est illustré le principe que lorsqu’on a décidé de l’élément de contenu qu’il fallait mettre en avant, le reste suivait sans problème.
Le billet sur le site web, la déclinaison sur le répondeur (merci à Maxime d’avoir joué la voix sur un dictaphone et à Philippe d’avoir transformé le fichier en un format exploitable), les brèves Google My business et Affluences… Nos routines bien établies nous ont aidé à aller vite et efficacement.
Nadine Kiker en a profité pour remettre en place un service de standard téléphonique “humain” avec des agents en télétravail et le planning qui va bien : ça passe par un bête renvoi manuel du numéro d’accueil de chaque BU vers un répondant qui prévient par SMS le superviseur sur place du début et de la fin de sa plage de réponse. Ça marche plus ou moins bien selon le superviseur : j’ai été un maillon faible cette semaine, distraite et éloignée de mon téléphone portable, mais cela devrait pouvoir se routiniser, y compris dans la phase suivante, pour éviter le partage d’un combiné de “standard” entre plusieurs agents.
Nous allons monter un peu en puissance la communication externe, maintenant que nous sommes rassurés par nos premiers petits pas.
Règle N°4 : S’organiser pour accueillir une équipe en décalé
Le plus difficile, comme toujours, a été le côté organisationnel. La contrainte était de ne pas dépasser de préférence 25 % de l’effectif sur site par jour, et plutôt 12 % par demi-journée.
Côté communication interne, c’est compliqué : on s’en est sorti avec des entretiens téléphoniques avec les N+1, des mails au service (2 agents sur 3), le partage de documents sur Teams (planning, plans, documents CHSCT vus par environ 1 agent sur 2), un temps d’explication sur site pour tous les agents revenus sur site. C’est loin d’être idéal, mais a été suffisant pour faire fonctionner le service minimal. Les processus sommaires calés pendant le confinement ont tenu au moment du déconfinement.
Nous sommes partis sur une base de 6 agents de 8h30 à 13h et de 6 autres de 13h à 17h30, dont 1 cadre, en privilégiant les repas pris à la maison (même si pour les agents venant de loin, nous avons fait une exception), sur 4 jours de présence (lundi-jeudi) . Personne ne vient sur site plus de 3 1/2 journées, 1 personne sur 10 seulement n’a pas d’autre choix que les transports en commun, et nous fonctionnons avec les seul.e.s volontaires (pour la plupart un peu ou beaucoup frustré.e.s de ne pouvoir venir sur place que de manière si réduite, soit 46 agents sur 50). Port du masque pour tous, fermeture des salles de pause et pas de repas partagés, accueil par un superviseur SST à la prise de poste : revenir sur site est contraignant.
J’en entend au fond demander combien de temps ça a pris : 35 heures homme et femmes à concevoir, une 20ne en comm’ interne et externe, 20ne heures à installer. Un projet à 75 heures maxi mené sur un mode directif, avec une chaîne de conception, décision, mise en place courte.
Nous avons détaillé les emplacements, les procédures et les rôles dans des documents dédiés, partagés dans Teams entre les superviseurs et mis à jour quotidiennement à J1 et J2 pour tenir compte des ajustements et servir de fil rouge et éviter les trop grosses incohérences d’un jour à l’autre. Ce document n’a pas été communiqué aux collègues mais verbalisé au fil des questions…
Naviguer entre ce sur quoi il ne faut pas transiger (le dur), ce qui entre dans la marge de souplesse laissée à chacun (le mou) sans laisser trop de flou (les trucs pas décidés qui bloquent ou énervent) est particulièrement complexe dans une période où tout est nouveau pour tout le monde.
Règle N°5 : Utiliser le provisoire à court terme pour réfléchir au provisoire à moyen terme
J’avoue être assez contente que cette étape du “service minimum” post déconfinement soit à peu près calée à l’Ascension. Cela laisse un peu de temps pour réfléchir et travailler des scénarios pour l’étape d’après qui va être plus longue et un peu plus difficile à négocier.
- Que confier aux collègues en télétravail si la distanciation physique se prolonge à la rentrée ? [- la question des commandes de PC et de l’équipement de chacun est en voie de se régler – l’efficacité des services centraux de l’UA, ici la direction du développement du numérique, est assez bluffante…]
- Comment coopérer avec d’autres services pour valoriser nos compétences ?
- Comment maintenir des temps de coordination collective en période de changement accéléré sans pouvoir se réunir physiquement ? Que garder ou consolider des processus de confinement, que faire évoluer ?
- Quels chantiers avancer en profitant du ralentissement de l’activité ?
- Comment fonctionner en service minimum si nous sommes partiellement confinés en tant que “cas contacts” ?
- Si tant est que nous puissions réouvrir des places de travail en distanciation physique, comment les attribuer, les nettoyer, les réguler ?
Bref, les incertitudes d’il y a deux semaines demeurent, et je n’ai même plus l’organisation du service de transition pour procrastiner le travail de modélisation de scénarios potentiels.
Crédit image : Affiche dessinée par Leonetto Cappiello pour la société Parapluie Revel en 1922 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Parapluie-revel.jpg
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* @PhColomb sur Twitter fait part de ses doutes sur le partage de données pour une étude sur la cohorte des “gens ayant frequenté la BU entre le 18 mai et le 17 juillet”. Je n’y ai pas plus réfléchi que ça pour de vrai : il me semble juste que ça vaudra la peine d’aller voir le centre de recherche du CHU pour voir ce qu’il est possible de faire, notamment si des usagers nous font part d’un passage à la BU juste avant le déclenchement de symptômes. Nous pourrions être un terrain comme un autre et il me semble qu’à une période où nous sommes bien démunis pour savoir mesurer la part de risque de toute décision, il y a une forme d’humilité épistémique à avoir moyen de rechercher de manière proactive les conséquences de ce que nous mettons en place, surtout si elles sont négatives. Bref, se donner les moyens de voir si on s’est trompé et partager ce qu’on en a appris pour éclairer des décisions ultérieures. Mais j’ai peut-être trop lu les Décisions absurdes de Morel et le hors série annuel de Prescrire Éviter l’evitable.