Nombreuses sont les bibliothèques universitaires confrontées à la saturation de leurs espaces de travail. Si l’application Affluences permet de renseigner les utilisateurs sur la disponibilité des places de travail dans les BU, elle ne constitue pas à elle seule un dispositif de régulation, et encore moins un moyen de lutter contre le phénomène de réservation de places [je viens à la BU, je dépose mes affaires, je vais en cours, je reviens travailler à la BU, je vais manger en laissant mes affaires, je reviens à la BU…].
Naissance et mort des horodateurs
Confrontée au problème, la BU d’Angers avait mis en place, début 2015, des horodateurs pour tenter de régler/atténuer le phénomène de réservation de places de travail. Voir sur le sujet le billet rédigé par Katrina Kalda, alors conservatrice stagiaire à la BUA. En fonction en 2015 (avril-mai et novembre-décembre), le dispositif a été repensé début 2016, et les horodateurs abandonnés : nous avons observé un détournement de cet outil, initialement conçu pour empêcher la réservation de places dans la BU, qui avait fini par devenir le meilleur moyen de réserver une place de travail, sans faire beaucoup d’efforts. Il suffisait de demander à un voisin de table de régler l’horodateur en cas de passage des bibliothécaires pour déjouer les rondes de vérification. Assez lourd à gérer, le dispositif a provoqué un essoufflement de l’équipe, peu encline à “relever les parcmètres” sur une durée supérieure à cinq semaines consécutives, et assez sensible aux critiques de certains utilisateurs, mécontents de voir leurs habitudes personnelles contrariées pour le bien commun.
Vive le carton orange !
La réflexion qui a suivi l’arrêt des horodateurs était la suivante : comment élaborer un système lisible, qui allie efficacité, anti-magouille et facilité de mise en oeuvre ? Nous avons prototypé un nouveau dispositif, après deux réunions participatives avec l’ensemble du personnel de la BU Saint-Serge. Le carton orange était né. Il a été déployé en avril-mai 2016.
Plus léger à gérer en interne : nous avons fait le choix de déployer le dispositif sur une durée équivalente à celle des campagnes horodateurs, mais de n’organiser des rondes de contrôle qu’en fonction de l’affluence réelle. Au moyen d’Affluences, il était décidé chaque jour de passer en salle ou pas selon l’affluence constatée. Au dessus de 85% de taux de remplissage, nous déclenchions des rondes. Prévues toute la journée pour les horodateurs, les rondes de vérification des cartons orange n’avaient lieu qu’aux pics d’affluence dans la journée, c’est à dire entre 14h et 16h.
Plus difficile à détourner : non réglables, les cartons oranges ont réglé le problème observé avec les horodateurs et évoqué plus haut.
MAIS
Moins bien perçus par les utilisateurs : les horodateurs prévoyaient jusqu’à 1h30 de pause possible. Les cartons oranges ont ramené la pause à une durée maximale de 20 minutes, ce qui n’a pas plu à tout le monde. Moins ludiques, et également moins faciles à détourner, nous avons eu des retours globalement positifs, mais dans une moindre mesure que pour les horodateurs. Une incise ici : les étudiants attendent avant tout, quelque soit le dispositif, que les bibliothécaires prennent en compte le problème de saturation des espaces et agissent pour réguler les choses, peu importe le dispositif.
Un dispositif allégé qui reste contraignant : pour pouvoir fonctionner correctement, le dispositif carton orange exigeait de numéroter toutes les places de travail de la BU et de les représenter sur un plan, afin que lors des rondes, les agents puissent identifier et cocher les places occupées par des affaires (au 1er passage) pour avoir une base fiable de comparaison lors du 2ème passage trente minutes plus tard. Seul moyen de prendre la décision d’enlever les affaires indûment laissées sur place.
Le bilan mitigé du dispositif carton orange a semé le doute dans l’esprit du groupe de travail à l’origine des horodateurs puis du carton orange. Fallait-il retenter une nouvelle campagne avec les cartons oranges ? Inventer un autre dispositif ?
Une chose était certaine : impossible de tout arrêter, j’entends par là de ne proposer aucune solution au problème d’affluence rencontré par nos utilisateurs. En analysant les deux systèmes, nous nous sommes rendus compte qu’ils avaient un point commun : celui de véhiculer une image très contrastée de la bibliothèque. Positive parce qu’active, mais aussi négative par son côté policier qui s’ignore.
Comment réguler l’affluence tout en préservant l’image du service ? Comment répondre à des besoins individuels tout en préservant les intérêts collectifs ?
“Aidez moi à trouver une place” : le bibliothécaire feel-good manager
A cette troisième étape de notre réflexion, nous avions déjà abandonné l’idée un peu folle d’imaginer un service parfait (répondant parfaitement aux besoins très différents de nos utilisateurs) et avions orienté notre réflexion vers un service d’accompagnement individuel.
Abandonnant de fait tout dispositif exceptionnel (outil imposé, communication spécifique, dispositif global et contraignant), nous avons réfléchi à un moyen de prêter attention aux utilisateurs confrontés au manque de place, en allant au-delà de la sympathie (“ah, ben oui, c’est plein, désolé”) pour faire preuve d’empathie : “je comprends votre besoin, et je vais vous accompagner pour essayer de vous trouver une solution”.
Inspiré des services d’ouvreurs/ouvreuses que nous avons tous expérimentés dans les théâtres (mais en bien mieux), ce service joue la carte de la disponibilité du personnel (nous sommes là pour vous) tout en partant d’un constat simple : il est plus utile de placer notre énergie dans le traitement empathique de demandes individuelles ponctuelles, plutôt que de nous épuiser à faire la chasse à des comportements collectifs non souhaités, mais générés par le manque de places en BU.
Et comme par magie, le bibliothécaire qui sort de derrière sa banque de prêt, accompagne dans les espaces, se décarcasse pour trouver une place, n’est plus perçu de la même manière… Dans son positionnement et son rôle, le bibliothécaire a de plus en plus à répondre à des besoins particuliers et à solutionner des problèmes ponctuels. Si les missions des bibliothécaires ressemblent de plus en plus à celles d’un feel-good manager, c’est le signe d’une grande utilité sociale, réjouissons-nous !